Le social au cœur de la transformation des institutions financières

Par Axelle Favre et Timothée Huignard

Piliers de l’analyse de durabilité, les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) sont devenus des outils de mesure de la performance globale des organisations, notamment dans le secteur de la banque et de l’assurance.

Moins médiatisé que les enjeux climatiques, le « S » d’ESG est pourtant au cœur des préoccupations. Une étude mondiale du gestionnaire d'actifs Schroders révèle que, contrairement aux idées reçues, la lutte contre le changement climatique arrive seulement en quatrième position dans les préférences des investisseurs en matière d’épargne durable, derrière des enjeux sociaux tels que la bonne santé et bien-être ou encore l’éducation de qualité.

Au niveau mondial, la question sociale, et en particulier celle des droits humains, a figuré en bonne place lors de la COP27. On sait aujourd’hui que les conséquences des crises environnementales seront massivement sociales et sociétales. Les deux dimensions sont intimement liées.

Dans son projet de Corporate Sustainability Reporting Directive (CSRD), la Commission Européenne apporte des précisions aux institutions financières. Elle propose plusieurs objectifs sociaux déclinés selon trois axes : collaborateurs, clients et communauté.

La manière dont l’entreprise répond à ces questions fait la différence entre une organisation considérée comme durable ou non. Le temps où la prise en compte de ces enjeux représentait un coût ou une est désormais révolu. Elle est aujourd'hui reconnue comme une valeur ajoutée, un facteur de différenciation, une source d’opportunités de développement.

Aujourd’hui, les sujets d'investissement socialement durable, de lutte contre les inégalités, d’équilibre vie professionnelle-vie privée et de féminisation des conseils d’administration sont de plus en plus discutés au sein de nos organisations et deviennent des instruments essentiels dans l’attraction et la rétention des talents.  

Si la volonté d’accélérer sur le volet social des objectifs ESG existe bel et bien au sein des institutions financières, quels sont les principaux axes de progression dans leur secteur ? Quelles pistes d’innovation sociale sont les plus pertinentes pour les institutions financières ?

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Un enjeu de transformation sociale au bénéfice des collaborateurs comme de l’entreprise

Grande démission, démission silencieuse, #balancetonsalaire : pour les institutions financières comme pour l’ensemble des entreprises, les défis humains liés au recrutement, à la rétention des collaborateurs et au sentiment d'appartenance ont franchi un nouveau cap avec la crise sanitaire et l'arrivée sur le marché de l'emploi d'une nouvelle génération de collaborateurs en recherche de sens.

De nombreux cas recensés de burn out et de bore out impactent également le quotidien des entreprises, contraintes de repenser leur organisation et leur culture pour mieux valoriser leur capital humain.

Parce qu'elles sont au cœur de l'économie et engagées dans une transition durable avec les réglementations de durabilité, les institutions financières ont tout intérêt à innover et s'inspirer des meilleures pratiques de valorisation du capital humain.

Les innovations sociales cherchent à répondre à trois grandes questions : comment garantir la santé au travail ; comment promouvoir l’égalité sur tous les plans et lutter contre les discriminations ; et quel modèle d’entreprise pour un meilleur partage des richesses ?

Santé au travail : des mesures innovantes, voire audacieuses

Comment le travail impacte-t-il la santé et l’équilibre de vie du collaborateur ? La santé au travail va au-delà de la santé physique. Les temps de relaxation, espaces de détente et programmes de team building ont montré leur intérêt mais aussi leurs limites. Avec l'essor du télétravail, la flexibilité amène à repenser le travail et la collaboration, quand les moments de cohésion ne sont plus déclenchés par une présence physique dans un espace commun. 

Au-delà des plans de télétravail mis en œuvre par la majorité des institutions financières en Europe comme en Amérique du Nord, certaines organisations font preuve d'innovation - voire d'audace - pour améliorer la santé de leurs salariés. Elles sont ainsi de plus en plus nombreuses, à l’instar d’UBS à New York, à permettre à leurs salariés d'organiser leur journée de travail avec souplesse  (intraday flexibility). Pratiquer une activité sportive de plein air quand il fait jour, effectuer son trajet domicile-travail aux heures creuses ou consacrer plus de temps à sa famille sont désormais possibles dans une organisation flexible du travail. Les résultats sont positifs puisqu’ils augmentent l’attractivité de l’employeur et la satisfaction des collaborateurs, qui gagnent en autonomie et développent un sentiment de confiance renforcé.

D’autres mesures audacieuses portent sur le droit à la déconnexion. Allant au-delà d’une simple charte sur les bonnes pratiques numériques, le constructeur automobile allemand Daimler a décidé d'éteindre ses serveurs le soir et le week-end, assurant ainsi une déconnexion totale. En Espagne, à la suite de la mise en place de règles encadrant le droit à la déconnexion, AXA a mené une étude auprès de certains salariés pour améliorer la pratique de déconnexion des collaborateurs en réponse à l’accord signé entre AXA Spain et les syndicats. Certaines applications proposent même de programmer des déconnexions automatiques.

Ces initiatives contribuent non seulement à l’amélioration du bien-être au travail mais également à l’amélioration de la productivité globale. 

Diversité et inclusion : l'entreprise à l'image de la société

Autre facteur clé de bien-être au travail, l’inclusion améliore également le sentiment d'appartenance à une organisation. En France, alors que des mesures sont prises pour améliorer l'égalité liée au genre (index égalité femmes/hommes, loi Rixain), des efforts sont encore nécessaires pour favoriser l'inclusion des personnes LGBT+ ou issues de la diversité liée à l‘origine, la santé, la mobilité, l’âge ou la qualification.

Les salariés prônent plus de diversité et le souhait de travailler dans des entreprises qui ressemblent à la société. Et c'est au moment du recrutement que les enjeux sont les plus forts. Certaines entreprises recherchent des candidats en dehors des réseaux des grandes écoles (opération Phénix) ou issus de la diversité en faisant appel à des cabinets et des associations spécialisés comme Mozaïk RH, sollicité par exemple par le CIC.

Ces mesures marginales, voire expérimentales, n'ont pas encore intégré à grande échelle les processus de recrutement. Elles sont une source d'inspiration pour des institutions financières à l'image de la société, dans l'ensemble de leurs métiers.

Nouveau modèle social : vers un meilleur partage des richesses

Parmi les attentes des salariés, un sujet revient fréquemment, celui du partage des richesses. Pour un meilleur partage, il est utile d’adopter une vision élargie de la notion de richesse d’une entreprise, dans un environnement de transparence et de bonne gouvernance.

Équité et transparence

La loi PACTE a introduit l’obligation de publication de deux ratios d’équité afin de renforcer la transparence sur la répartition des salaires dans les entreprises cotées. Après deux ans d’application, le constat est mitigé : la transparence s’est accrue sans aboutir à une évolution des disparités salariales. C’est du côté des gérants d’actifs, à l’instar de Allianz Global Investor et BNPPAM, que les actions sont les plus notables puisqu’ils votent désormais majoritairement contre les rémunérations trop élevées des dirigeants. Au-delà des ratios d’équité, les salariés souhaitent plus de transparence notamment sur les grilles salariales, certains réclamant un salary cap.

Le temps de travail réinventé

Une autre manière de partager les richesses consiste à revoir le temps de travail. Alors que la Belgique offre désormais aux salariés la possibilité d’opter pour la semaine de quatre jours, la banque en ligne britannique Atom Bank a déjà adopté ce rythme depuis près d’un an, affirmant que c’est l’avenir de la vie professionnelle.

En France, Orange propose un temps partiel senior pour les personnes en fin de carrière. Ce dispositif est inclus dans un accord qui comprend également un congé de respiration destiné aux salariés en milieu de carrière.

« Cet accord illustre notre ambition d’inventer un nouveau modèle social permettant à chacune et chacun de se projeter avec confiance et sérénité dans sa future vie professionnelle, tout en répondant aux enjeux de croissance du Groupe. »

déclarait fin 2021 Gervais Pellissier, directeur général délégué People et Transformation d’Orange.

Investir dans la formation

Cette initiative peut sembler contre-intuitive mais les études montrent qu’elle est un facteur d’amélioration du bien-être du salarié, d’attraction de nouveaux talents pour l’employeur et finalement de diminution du turnover et d’amélioration de la productivité au travail.

Le client, principal vecteur d’innovation dans la finance à impact social

La priorité donnée au financement de la transition énergétique s’est traduite par la mise en place d’une taxonomie verte préalablement à une taxonomie sociale. Cette chronologie ne doit pas freiner le développement d’une réflexion plus large sur les enjeux sociaux par les acteurs financiers.

Environnement et social sont d’ailleurs intimement liés. L’expérience acquise sur la transition énergétique doit nourrir la transformation vers une finance plus inclusive, à impact social. Et permettre, comme c’est déjà le cas pour certains acteurs, de conquérir de nouveaux marchés grâce à une offre innovante, adaptée aux nouvelles attentes des clients.

En B2C comme en B2B, le niveau d’exigence des clients sur les aspects environnementaux ne cesse en effet de grandir. Le développement des produits et services de la finance à impact social doit répondre à un triple enjeu :

  1. Bénéficiaires : rendre accessibles les produits et services aux clients, notamment ceux qui ont été exclus des parcours dits traditionnels ;
  2. Transition juste : concevoir des produits et services financiers durables, qui accompagnent une transition responsable aux impact sociaux ajustés ;
  3. Risque d’accusation de blanchiment social (social washing) : communiquer avec clarté, transparence et honnêteté sur la nature des produits et services et leurs impacts réels.

Une offre financière accessible à tous

L’accessibilité de chaque citoyen aux services proposés par les institutions financières (crédit, assurance, compte bancaire) est un défi de taille. Il nécessite d’abord d’identifier les clients (malades, résidents de certaines zones rurales, auto-entrepreneurs) qui ne bénéficient pas totalement des produits et services d’une offre financière, et d’analyser les raisons de cette exclusion.

Puis les institutions doivent adapter leurs offres tout en maintenant une rentabilité globale, mise à mal par le coût de la réglementation européenne et les faibles marges sur les taux. Malgré certaines obligations prévues par le législateur, comme l’offre bancaire à destination des personnes en situation de fragilité financière, les initiatives sont encore timides et ne parviennent pas à rendre l’offre financière accessible à tous.

Quelques réflexions de place, telles que le concept d’agences multi-enseignes, font cohabiter services de proximité et impératifs de rentabilité à l’échelle. Elles sont porteuses d’espoir sans être encore parvenues à démontrer une réelle prise en main de la nécessité d’agir à grande échelle.

Une offre de produits et services adaptée à la transition juste

Le concept de transition juste s’oppose à ce que la transition énergétique se fasse aux dépens de la question sociale. L’idée, largement reprise lors de la COP24, n’a depuis fait qu’un court chemin dans les offres de produits et services des institutions financières. La principale raison en est qu’elle lie directement la réflexion autour de l’impact social à la transition énergétique.

Si l’on considère aujourd’hui l’offre de fonds à impact des principales sociétés de gestion, par exemple, chaque fonds classé article 9 aura une thématique particulière, qu'elle soit sociale ou environnementale (diversité, climat, inclusion, énergie, création d’emploi, éducation). Mais il n’existe pas (encore) de fonds spécifiques à la transition juste, qui lierait engagement vers la transition énergétique et impact social.

L’offre bancaire ou assurantielle n’est guère plus avancée et rares sont les institutions qui abordent les deux sujets comme les pièces d’un seul et même puzzle. Ici encore, l’innovation et la mise en commun des expertises au sein d’un programme de transformation et un changement de la manière de penser le sujet de l’ESG, en intégrant l’idée que les trois concepts sont intimement liées, permettront de répondre aux attentes grandissantes d’une clientèle de plus en plus demandeuse de services utiles et cohérents.

Blanchiment social : la transparence comme antidote

Les nombreux scandales qui ont entaché, ces dix dernières années, les relations entre les institutions financières et leurs clients sont un véritable frein à la confiance dans leurs engagements pour une transition juste.

La pression exercée par le public, le régulateur et le consommateur envers les banques et sociétés de gestion d’actifs est de nature à inhiber leur volonté de faire de l’impact social leur nouvel axe de développement stratégique. Pourtant, si l’approche et la méthode sont clairement communiquées, les priorités et l’objectif transparents et les informations de durabilité présentées sans ambiguïté, il ne pourra y avoir d’accusation de blanchiment social.

Le seul reproche pourra alors être, comme l’a souligné Bruno Lemaire lors de son introduction au Climate Finance Day, de ne pas aller assez vite. Mais avant de penser à accélérer, les institutions financières doivent mettre en place l’organisation qui leur permettra de mener à bien une telle transformation.

Qu’elle soit interne ou vis-à-vis des clients, la transformation à opérer au sein des institutions financières pour atteindre les ambitions d’une finance à impact social est immense. La nature, la profondeur et la brutalité du changement dépendent fortement de la maturité de chacune, mais le dénominateur commun reste la transformation culturelle.

La transition juste passera évidemment par une prise de conscience et une réflexion collective. Elle s’exprimera pleinement par la capacité des acteurs financiers à intégrer le facteur social dans leurs activités quotidiennes afin que chaque décision soit prise en ayant mesuré son impact social. De là à parler de gestion du risque social, il n’y a qu’un pas.

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Emilie Bobin

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Associée Développement durable, PwC France et Maghreb

Ericson Opou

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Associé, Responsable Portfolio & Program Management Consulting, PwC France et Maghreb

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Associé People and Organisation, PwC France et Maghreb

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