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Raphaëlle Duchemin : Nous sommes en janvier, ce mois où traditionnellement, nous dressons les bilans, nous regardons dans le rétroviseur pour mieux nous projeter. Nous pesons le pour et le contre. Nous regardons ce qu'il faut laisser et ce qu'il faut,  au contraire, poursuivre. Pas simple quand autour de nous, la géopolitique secoue les économies, quand les enjeux climatiques nous pressent et quand l'instabilité politique est là. Et pourtant, vous allez voir qu'il y a toujours une façon de regarder le verre à moitié plein. Je suis Raphaëlle Duchemin et je vous propose de découvrir ensemble comment les dirigeants voient l'avenir. C'est l'objet de la 28ᵉ Global CEO Survey, menée par les équipes de PwC, que nous allons décrypter. Bonjour Patrice Morot.

Patrice Morot : Bonjour.

Raphaëlle Duchemin : Merci d'être avec nous, vous êtes le Président de PwC France et Maghreb. J'ai peint tout à l'heure à gros traits, c'est vrai, le monde tel qu'il nous apparaît aujourd'hui : bouleversé, instable politiquement, avec des conflits qui éclatent et qui changent aussi pas mal la donne économique. Pourtant, dans cette toute nouvelle étude à laquelle 4 701 chefs d'entreprises ont répondu à travers le monde, il y a de l'optimisme. Cet optimisme est même beaucoup plus net que l'an passé : 60 % des CEO à qui on a posé la question sont optimistes. Je crois qu'ils n'étaient que 38 % l'année dernière. Que s'est-il passé ?

Patrice Morot : Effectivement, c'est la 28ᵉ édition, et qu’est-ce qu’elle nous dit ? En fait, elle pointe deux sujets incontournables qui sont sans surprise : l'intelligence artificielle et le climat. Elle souligne le besoin de réinvention des entreprises, de transformation permanente, qui est un besoin vital. Effectivement, dans ce contexte incertain et compliqué, particulièrement dans notre pays et en Europe, on a quand même, vous l'avez dit, 60 % des dirigeants qui sont optimistes.

Quand on les interroge sur l'environnement mondial, ils sont 60 %. Quand on zoome un peu plus sur la France et qu'on leur demande : quel est le pourcentage ou est-ce que vous êtes confiant dans l'évolution de l'économie française ? Là, ça tombe à 24 %, mais très intéressant. Quand on leur demande dans les perspectives de croissance de votre entreprise, là, ça remonte à presque 50 %. Donc, on voit qu'il y a à la fois une incertitude, et qui est liée à cette instabilité que l'on connaît aujourd'hui en France. Toutefois, paradoxalement, les dirigeants restent quand même optimistes. Pourquoi ? Parce que l'optimisme, c'est un état d'esprit, c'est dans l'ADN des dirigeants.

Raphaëlle Duchemin : C'est ça qui est intéressant, c'est qu'on est connu, nous Français, pour être quand même des champions du pessimisme, qu'on cultive depuis 20 ans. Néanmoins, là, on sent bien qu'il y a un changement d'état d'esprit. Je crois que vous l'avez même mesuré avec un sondage OpinionWay. Ce n'est pas naturel finalement, cette posture, et vous le dites, pourtant, c'est dans l'ADN de l'entrepreneur. Donc finalement, on a cette espèce d'entre-deux aujourd'hui.

Patrice Morot : En fait, ce que l'étude d'OpinionWay a révélé et que j'ai trouvé très intéressante, c'est qu'il faut faire la différence entre le moral qui est une photo, un instantané, et aujourd'hui, le moral des chefs d'entreprise, je parle avec beaucoup de chefs d'entreprise, il est en berne et c'est normal. On a aujourd'hui un gouvernement, on ne sait pas si ce gouvernement va perdurer, on ne sait pas si on va avoir un budget, donc c'est normal. On est en plus dans une situation en Europe où l'Europe ne va pas mieux. Les deux moteurs que sont la France et l'Allemagne sont des moteurs qui sont à l'arrêt. Donc le moral, oui, il est en berne.

Cependant, quand on demande à un dirigeant s'il se projette, s'il est optimiste pour son entreprise, pour la croissance et pour la vision à plus long terme, là, en tout cas, dans l'enquête OpinionWay, on avait presque 90 % des chefs d'entreprise qui se disaient optimistes. Aujourd’hui, on ne peut pas être dirigeant si on n'est pas fondamentalement optimiste. Comment peut-on embarquer des équipes, des collaborateurs, aller voir des clients si on n'affiche pas un optimisme ?

Raphaëlle Duchemin : Ce qui est intéressant aussi quand on creuse un peu, c'est qu'ils ont besoin, ou en tout cas, ils ont compris que c'était véritablement important aujourd'hui d'imprimer ça comme un nouvel élément de culture d'entreprise, cette confiance, ce besoin de le communiquer, d'embarquer les équipes. Ça, c'est aussi quelque chose d'un peu plus nouveau ?

Patrice Morot : Oui, je pense que c'est peut-être un peu plus nouveau. Cependant, ce qu'il faut voir aussi, c'est par quels événements ? Qu'est-ce que les dirigeants d'entreprises ont traversé ces dernières années ? Le covid, la guerre aux portes de l'Europe, le réchauffement climatique. Quand on regarde tout ce que ces chefs d'entreprise doivent traverser : la disruption technologique avec l'arrivée de l'intelligence artificielle en masse, on ne peut pas être dirigeant d'entreprise si on n'a pas une forme d'optimisme pour embarquer ses équipes. Moi, c'est ce que je retiens à la fois de ce sondage d'OpinionWay, de mes échanges avec les dirigeants d'entreprise et des résultats de cette CEO Survey qui montre que quand on recommence à se projeter, oui, il y a de l'optimisme chez nos dirigeants.

Raphaëlle Duchemin : On se projette, et quand on est patron en France, on se projette beaucoup à l'étranger, moins dans l'économie française. Ça aussi, il y a des raisons, vous en avez parlé, on est en panne en ce moment.

Patrice Morot : Ce qui est intéressant dans l'enquête, c'est que, d'abord, on demande aux dirigeants d'entreprise : « Quelles sont vos destinations ou territoires d'investissement ? » La France est toujours dans le top 10. Pour nous, je crois qu'il faut s'en réjouir, elle reste toujours une destination privilégiée pour les dirigeants d'entreprise étrangers. Pour autant, il y a un risque de décrochage. Quand on a fait cette enquête, on voit bien qu'il y a beaucoup de questionnement des dirigeants étrangers sur la capacité de la France à rester un vrai territoire d'investissement.

Vous l'avez dit, là, il y a un chiffre qui interpelle, c'est que quand on interroge les dirigeants français pour leur demander : « Finalement, est-ce que vous avez des plans d'investissement ailleurs qu'en France ? » Ils sont 42 % à citer les États-Unis, ils étaient 30 % l'an dernier. Donc, on voit qu'il y a un vrai changement. Pourquoi on a ce changement ? Simplement parce qu'aujourd'hui, vous avez un pays, les États-Unis, qui a une politique qui est beaucoup plus accommodante, qui est beaucoup plus attractive, qui soutient davantage l'innovation et l'investissement des entrepreneurs. Ce n'est simplement pas dû à l'arrivée de Donald Trump, sous Joe Biden, c'était la même chose.

Vous vous souvenez de l'Inflation Reduction Act qui, là aussi, mettait des investissements massifs au service des entreprises. Pour moi, il faut qu'on se réveille collectivement en Europe, et je ne suis pas le seul à le dire, mais je viens renforcer ces messages. Si l'Europe ne bouge pas, si la France ne bouge pas, si on n'a pas des politiques qui sont incitatives, si on n'a pas des investissements massifs pour développer, aujourd'hui, nos forces et nos compétences en Europe et en France, on prend le risque de voir nos meilleurs talents et nos entrepreneurs aller investir ailleurs. Ça, il faut vraiment aujourd'hui que nos politiques le comprennent.

Raphaëlle Duchemin : Ce qui se dessine finalement sous nos yeux, c'est la création de ces nouveaux modèles. Les chefs d'entreprises du monde entier l'ont compris, certains l'ont anticipé et d'autres y vont en marche forcée. Ceux qui ne veulent pas s'y résoudre, pensant que le monde d'avant peut encore revenir, risquent probablement d'y laisser des plumes, voire carrément leur business. Patrice Morot, c'est aussi un des enseignements de cette 28ᵉ CEO Survey, business as usual, comme on dit, c'est terminé.

Patrice Morot : Ce n'est pas nouveau dans le sens où on avait déjà le même constat les années précédentes. Ce constat, il ne fait que s'amplifier. C'est-à-dire qu'aujourd'hui les dirigeants d'entreprise sont très nombreux. Ils sont plus de 40 % à considérer que s'ils ne font pas évoluer leur business model dans les 10 ans qui viennent, l'entreprise risque de disparaître purement et simplement. D'ailleurs, il y a une notion que j'entends de plus en plus, c'est une notion dont on parle qui est la notion d'entreprise transformative. 

Qu'est-ce que ça veut dire être une entreprise transformative ? Une entreprise transformative, c'est une entreprise qui est capable de mettre la transformation dans toute son organisation et dans tous ses process. On parle parfois, pardonnez-moi pour l'anglicisme, de “by design”. C'est-à-dire que c'est totalement intégré par rapport à des modèles beaucoup plus traditionnels, du type, on lance des plans de transformation successifs qui sont faits un peu en silo et on n'a pas le même impact.

Raphaëlle Duchemin : Donc, il faut que ce soit un tout et que ça soit complètement intégré à la stratégie de l'entreprise ?

Patrice Morot : Il faut que ce soit complètement intégré à la stratégie de l'entreprise et c'est comme ça que l'on peut véritablement accompagner la transformation et ce besoin de réinvention que l'on voit aujourd'hui, à la fois au travers de l'intelligence artificielle, mais aussi au travers du climat. J'aime bien donner l'image en quelque sorte d'une espèce de triptyque. 

Je vais vous donner un exemple qui m'a frappé, ce sont les grands acteurs de la technologie, donc l'AWS, les Google, les Microsoft. Aujourd'hui, ce sont des grands acteurs qui investissent massivement dans l'intelligence artificielle et ce sont des dizaines de milliards d'investissements. Ces investissements, pour développer de l'intelligence artificielle, il faut beaucoup d'énergie et donc de l'émission de gaz à effet de serre.

Par rapport à ça, vous avez l'enjeu du climat. Donc, comment vous réconciliez les deux et comment vous vous réinventez ? Vous devenez un producteur d'énergie décarbonée. C'est-à-dire que ces grands acteurs sont en train d'investir massivement dans de l'énergie décarbonée. On voit bien que là, on est complètement au triptyque de : Intelligence Artificielle, climat, besoin de réinvention, au cœur d’une entreprise transformative. C'est-à-dire qu'ils sont en train de réinventer des business model en passant de mains de producteurs pour leurs propres besoins à vendeurs d'énergie.

Raphaëlle Duchemin : Vous parlez de ces nouveaux business models, et vous l'avez dit, 40 % des CEO ont conscience qu'ils vont devoir aller, dans les cinq ans, sur ces nouveaux secteurs. Le paradoxe, c'est qu'entre les paroles et les actes, il y a parfois encore, un peu loin de la coupe aux lèvres. Ils sont peu nombreux, en tout cas quand on regarde dans la globalité, à investir sur ces fameux nouveaux business. Qu'est-ce qui freine encore ?

Patrice Morot : Quand on regarde, ils sont quand même aujourd'hui, 38 % à nous dire qu'ils ont investi dans des nouvelles industries, de nouveaux secteurs dans lesquels ils n'étaient pas auparavant. Donc, c'est quand même un chiffre important. Évidemment, quand on regarde ce que ça représente en termes de chiffre d'affaires, c'est moins de 10 %. Cependant, quand même, quand on regarde les CEO Survey précédentes, on voit bien qu'il y a une évolution, qu'il y a un changement. Je donnais l'exemple de ces acteurs technologiques parce que pour moi, c'est très emblématique de ce changement radical qui est en train de s'opérer, avec, selon les industries qui sont concernées, des mouvements beaucoup plus importants. Donc aujourd'hui, ça reste que 38 %, pour autant, c'est quand même un chiffre qui est important et on voit bien que le mouvement est entamé, et selon les secteurs, c'est plus ou moins important parce qu'on est plus ou moins affecté soit par l'intelligence artificielle, soit par la transition climatique.

Raphaëlle Duchemin : La prise de décision, la stratégie, les process sont des mots qui reviennent beaucoup dans cette étude. Il va falloir les faire évoluer, là aussi, il va falloir changer la manière d'élaborer cette prise de décision. Parce que ce qui apparaît aussi, c'est que finalement, dans ces nouveaux modèles à inventer, le CEO a un seul véritable levier où il est à 100 %, c'est cette prise de décision. C'est là-dessus qu'il peut agir.

Patrice Morot : Peut-être deux commentaires par rapport à ça. Le premier, ce que dit l'enquête, c'est que lorsque l'on a des dirigeants qui prennent des décisions de manière un peu intuitive, ce n'est pas forcément la meilleure prise de décision. C'est-à-dire que la meilleure prise de décision, c'est celle qui repose véritablement sur des données et sur un embarquement complet d'un comité de direction et pas uniquement une décision du dirigeant. Voilà, ça, c'est le premier commentaire. Donc, plus de données factuelles et de challenges par rapport à la décision elle-même qui pourrait être prise et donc de finalement mettre en relief et en rapport les côtés bons ou mauvais de la décision.

Le deuxième commentaire, c'est la réallocation des ressources. C'est-à-dire que ce qu'on observe quand même au travers, quand on a interrogé ses dirigeants, c'est que, alors qu'avec ces réinventions et ces nouveaux business models, vous devriez avoir beaucoup plus de réallocation de ressources vers ces nouveaux business models, ça reste encore très marginal. Donc là, il y a peut-être un effet un peu d'aversion au risque par rapport au fait qu'il faudrait peut-être investir davantage.

Raphaëlle Duchemin : C'est intéressant parce que quand on parle de réaffecter ces moyens, on parle effectivement des moyens financiers, mais aussi des moyens humains. C'est important. Ceux qui le font, par exemple en France, voient des effets directs, des résultats directs sur leur chiffre.

Patrice Morot : Absolument. C'est-à-dire qu'il y a une certaine corrélation entre ceux qui investissent plus et surtout qui allouent plus de ressources avec la performance ou la rentabilité qui se dégage par rapport à ces nouveaux business models.

Raphaëlle Duchemin : Parmi les chantiers qu'il faut mener pour rester dans la course, il y a, et vous l'avez dit, celui de l'intelligence artificielle. En peu de temps, elle s'est invitée à peu près à tous les étages de l'entreprise. S'ils savent qu'elle est un plus pour l'avenir de leur business, les CEO vont encore devoir manifestement accélérer son adoption et son développement. L'entreprise transformative dont on parlait à l'instant, Patrice Morot, c'est aussi celle qui adopte ces nouveaux modes de fonctionnement. Je crois qu'il y a un CEO sur trois qui a compris que l'IA générative était aussi une source de rentabilité, une source de profits. C'est lent, mais c'est en train d'infuser.

Patrice Morot : Quand on parle d'intelligence artificielle, il faut voir qu'aujourd'hui, il y a de plus en plus de la part des dirigeants, une perception du potentiel de cette intelligence artificielle avec trois grands défis. Le premier, c'est la donnée. C'est-à-dire que pour que vous puissiez avoir des modèles d'intelligence artificielle qui marchent, il faut avoir une donnée fiable, une donnée de qualité, sans biais, une donnée qui soit protégée, sécurisée.

Le deuxième enjeu, le deuxième défi qui est très important, c'est de passer à l'échelle. Quand je dis passer à l'échelle, c'est qu'aujourd'hui, on voit beaucoup d'entreprises qui développent des cas d'usage. Un cas d'usage, c'est très bien parce que ça vous permet de voir si ça va marcher ou pas. Par contre, la question de fond, c'est ensuite comment je fais pour passer à l'échelle ? Là, il faut rentrer véritablement dans l'intégration de l'intelligence artificielle dans toutes les couches de l'entreprise, vos processus clés, vos plateformes, les effectifs, la formation, tout.

Raphaëlle Duchemin : Ça, ils sont d'accord pour le faire, notamment sur tout ce qui est outil de production, un peu moins dans les autres compartiments, en tout cas, c'est un peu plus compliqué pour eux.

Patrice Morot : Ils sont aujourd'hui 46 % à dire qu'ils sont prêts à le faire. Vous l'avez mentionné, ils ne sont que 30 % à dire qu'ils vont l'intégrer dans les effectifs et la formation. Ce qui pour le coup est assez surprenant parce que l'intelligence artificielle, ça passe quand même par les effectifs, ça passe par la formation des collaborateurs et c'est ce que nous disent d'ailleurs la plupart des enquêtes qui ont été faites sur ce sujet. Je reviens simplement sur le dernier défi qui est la confiance, parce que ça, c'est très important. Aujourd'hui, dans l'enquête annuelle, vous n'avez que 30 % des dirigeants qui ont vraiment une confiance dans l'intégration et la capacité d'intégrer de l'IA dans toutes les couches de leur entreprise, ce qui est quand même relativement faible par rapport au fait de se dire qu'on veut déployer à l'échelle cette nouvelle technologie. D'où le fait d'avoir et de pousser pour des infrastructures et des cadres qui permettent en quelque sorte de donner confiance dans le déploiement de cette nouvelle technologie.

Raphaëlle Duchemin : C'est assez paradoxal parce qu'ils disent aussi, ces CEO, qu'ils vont augmenter leurs investissements dans la tech pour faire grossir leurs profits. C'est bien qu'ils ont en tête que, à la clé, il y a un intérêt pour leur entreprise et pour leur business model.

Patrice Morot : On a dit qu'ils étaient 46 % à dire que dans les 12 prochains mois, ils allaient accroître leur performance. Quand on leur pose la question cette année en leur disant : « Finalement, quand vous regardez en arrière, qu'est-ce qui s'est passé ? » Il y en a que 34 % qui répondent que ça a augmenté la performance. Cependant, quand vous leur dites : « Maintenant, dans les 12 prochains mois, est-ce que vous pensez que... ? », à nouveau, ils sont à 50 %. Donc, on voit aujourd'hui qu'il y a eu une sorte de shift, sur le fait qu'aujourd'hui, ça apparaît très clairement que l'intelligence artificielle est une nouvelle révolution, elle est là pour durer et oui, ça va générer une certaine performance. Je vais vous donner un exemple--

Raphaëlle Duchemin : IA égal accélérateur de rentabilité.

Patrice Morot : Accélérateur de rentabilité au travers du développement de nouveaux produits, de nouveaux services, de nouvelles offres au travers d'une meilleure efficacité également dans le temps de travail, et tout ça passe par une meilleure appropriation. Si je vous donne l'exemple de PwC, aujourd'hui, on a fait le choix de déployer des outils d'intelligence artificielle. On a un partenariat avec Microsoft, donc on déploie Copilot auprès de tous nos collaborateurs. Pourquoi ? Parce qu'on considère que c'est extrêmement important que chacun puisse parfaitement maîtriser cette technologie pour accompagner nos clients.

Aujourd'hui, on accompagne nos clients sur beaucoup de sujets. Je regardais dernièrement, on a une compagnie d'assurance que nous avons accompagné sur la mise en place d'une infrastructure qui permet de déployer cette intelligence artificielle, qui permette aussi aux collaborateurs de se l'approprier dans un univers sécurisé. On a un autre client industriel que nous avons aidé sur la mise en place une intelligence... une IA, comme on dit, académique pour permettre de former les collaborateurs dans un environnement. Donc, on voit aujourd'hui que c'est un sujet qui est là pour rester. L'enjeu principal, c'est comment on le déploie de manière massive et à l'échelle.

Raphaëlle Duchemin : Comment se fait-il que les Français soient plus confiants que les autres Européens ? Parce que ça aussi, ça apparaît dans la CEO Survey.

Patrice Morot : Peut-être parce qu'aujourd'hui, on est dans un écosystème en France où on a beaucoup de talents, on a quelques succès, on a Mistral AI, par exemple, qui est une très belle pépite. On a aujourd'hui, un écosystème d'ingénieurs. On voit bien que l'intelligence artificielle, on en parle de plus en plus. Ce que je disais tout à l'heure quand je parlais de l'Europe, quand je parlais des États-Unis, le danger pour nous, c'est que si on ne protège pas l'ensemble de ces investissements, si on n'est pas plus protecteur par rapport à l'agressivité des États-Unis commerciale, bien sûr, et même l'agressivité chinoise, on risque de voir ces talents partir.

Raphaëlle Duchemin : Puisque vous parlez des États-Unis, ça m'amène à vous parler de la réglementation. Parce que ça, c'est peut-être le frein que pointent du doigt les CEO quand on leur parle de cette adoption, finalement, de l'intelligence artificielle. La réglementation, c'est quand même ce qui pose un problème.

Patrice Morot : Comme dans tout, il faut un équilibre. C'est-à-dire qu'il ne faut pas sur-réglementer, mais il ne faut pas sous-réglementer. Je pense qu'avoir un cadre de référence qui permette de donner confiance... Je rappelle que 30 % des dirigeants ont confiance dans leur capacité à intégrer l'intelligence artificielle partout dans leur entreprise. Donc, il faut avoir un cadre de référence, mais par contre, il faut que l'Europe soit attentive de ne pas sur-complexifier, de ne pas sur-réguler. Un cadre de référence qui existe, qui soit simple, qui soit compréhensible et qui permette de garantir et de donner confiance, ça, c'est un atout compétitif. Un cadre de référence qui est trop complexe, qui bride, là, ça bride l'innovation, on va voir tous nos talents partir à l'étranger.

Raphaëlle Duchemin : L'entreprise transformative, c'est aussi celle qui voit les choses avec d'autres lunettes, ce qui va permettre de prendre en compte les changements climatiques dans sa manière de faire ou de produire. Ce n'est plus une option, mais une obligation désormais, et celles qui ont pris les devants sont les premières à s'apercevoir que ce qui pouvait être vu parfois comme une contrainte, offre aujourd'hui un véritable retour sur investissement. Patrice Morot, l'enseignement, c'est que finalement, aujourd'hui, en 2025, on s'aperçoit que le pari du climat est gagnant. Le pari du climat est même payant pour les entreprises qui ont fait ce pari là.

Patrice Morot : La première chose que je pense qu'il faut dire, c'est qu'on ne doit pas opposer climat et business. J'entends malheureusement un peu ça, cette petite musique opposer climat et business. Aujourd'hui, vous l'avez dit, le changement climatique, c'est une réalité. Il suffit de voir les incendies en Californie, il suffit de voir les inondations. C'est une réalité et une réalité qui a un impact sur notre société, sur les entreprises. Donc, adresser ce sujet, c'est un enjeu sociétal d'abord, mais c'est un enjeu de survie de nos entreprises. Donc ça, c'est le premier point et le premier constat.

Ensuite, quand on regarde la CEO Survey, oui, vous avez raison, aujourd'hui, vous avez près de 30 % des dirigeants d'entreprises qui disent que les investissements durables, en quelque sorte, ça génère des revenus supplémentaires. Ça va même jusqu'à 60 % quand on parle des dirigeants chinois. Si je vous donne juste un autre chiffre, deux tiers des dirigeants disent que les investissements durables qu'ils ont faits, soit ont réduit leurs coûts ou n'ont pas eu d'impact, à l'exception notable des dirigeants français ou allemands qui eux, sont aujourd'hui à près de 50 % à estimer que ça a augmenté leur coût. Donc, le climat aujourd'hui, c'est une réalité qu'il faut adresser, et comme vous dites, de plus en plus de dirigeants voient effectivement que ces investissements peuvent être payants.

Raphaëlle Duchemin : Payants effectivement, parce que vous l'avez précisé, ça permet de réduire les coûts, ça permet d'investir sur l'avenir aussi. Chez nous, en France, on a été pionniers, finalement, dans toutes ces décisions. Est-ce qu'on en voit aujourd'hui le retour véritablement ou est-ce que la frilosité des dirigeants français à l'égard des enjeux climatiques est encore palpable ?

Patrice Morot : Je pense qu'on a été effectivement en avance de phase, avec peut-être une tentation de beaucoup réglementer. C’est pour ça qu'il y a cette perception aujourd'hui, qu'il y a beaucoup de réglementations et qu'elles peuvent être un peu contraignantes. Pour autant, quand on parle aux dirigeants et autres, on voit aujourd'hui beaucoup d'entreprises qui investissent, qui ont des investissements dans des produits qui soient plus durables, dans de nouveaux business, qui justement prennent en compte ces enjeux de durabilité. Donc, là, je reviens à la notion de réinvention, ils sont en train de créer de nouveaux business models. Cependant, c'est vrai qu'il y a cette petite musique, en quelque sorte, qui est : « Il y a beaucoup de réglementation », et c'est vrai qu'en France, on a parfois tendance à un peu tout réglementer.

Raphaëlle Duchemin : Ça signifie qu'ils font le distinguo finalement entre des actions très concrètes qui leur ont permis, par exemple, de décarboner et la réglementation à côté qui va les obliger à aller encore plus loin et qui les contraint ?

Patrice Morot : Je crois surtout que les dirigeants d'entreprise sont très conscients de leur rôle. Ils sont très conscients de l'importance et de l'impact du changement climatique. D'ailleurs, c'est une attente de la société, c'est une attente de leurs clients et donc ils sont en train, aujourd'hui, de dérouler et de mettre en œuvre une feuille de route justement pour prendre en compte ces enjeux, et ça, je pense que c'est très positif.

Raphaëlle Duchemin : C'est très positif, mais quand on regarde, on a quand même, pardon, 35 % des CEO Français qui disent ne pas être prêts à accepter des taux de rendement inférieurs pour des investissements durables. Comment on fait pour les convaincre aujourd'hui ?

Patrice Morot : C'est intéressant ce que vous dites, parce qu'on a réalisé une enquête auprès des investisseurs dans le monde et vous avez plus de 70 % de ces investisseurs qui demandent à ce que les entreprises investissent justement dans les enjeux de durabilité, même si finalement, il n'y a pas de rentabilité attendue à court terme. Ce chiffre m'a beaucoup interpellé parce que je me suis dit : « C'est quand même curieux de voir un investisseur qui va accepter une rentabilité moins bonne. » En fait, quand on analyse les choses, on se dit : « Oui, mais les investisseurs, ce qui les concerne d'autant plus, c'est la pérennité de leur investissement. »

Donc si les entreprises n'adressent pas ces enjeux, on revient à ce qu'on se disait en début d'interview, c'est-à-dire que vous avez un risque de voir votre entreprise et votre business disparaître. Parce que si vous ne mettez pas en place les bonnes mesures et les bonnes actions pour réduire votre empreinte carbone demain, pour protéger aussi vos actifs d'inondation, d'incendie ou autre, et pour réinventer votre modèle, pour offrir des produits que vos clients attendent et vous demandent, vous risquez de disparaître.

Raphaëlle Duchemin : Patrice Morot, la conclusion de cette 28ᵉ CEO Survey, j'ai trouvé assez intéressant que PwC choisisse de montrer qu'elle se faisait finalement sous forme de questionnement et que même s'ils n'ont pas répondu à toutes les questions, les CEO qui ont commencé à s'interroger, en tout cas, ou à questionner leur modèle, ont un coup d'avance. C'est comme ça qu'il faut le voir ?

Patrice Morot : Ce qui est intéressant, c'est effectivement de se poser un certain nombre de questions et donc d'ouvrir un peu le débat. Toutefois, j'aimerais conclure en revenant sur cette image du triptyque parce que je trouve qu'elle est très parlante. Finalement, qu'est-ce que nous dit la CEO Survey ? Elle nous dit : « Il y a deux enjeux incontournables : l'intelligence artificielle, et ça, c'est sous votre contrôle. C'est-à-dire c'est vous qui décidez d'investir ou de pas investir. Vous avez le climat et ça, par contre, c'est incontournable, ce n'est pas une question de le décider ou pas le décider, si vous ne faites rien, vous pouvez simplement disparaître.

Le troisième bord de ce triptyque, c'est le besoin de réinvention. Ce besoin de réinvention il passe par ces deux enjeux : l'intelligence artificielle et le climat. Il faut arrêter de faire juste des plans de transformations successifs. Il faut que cette transformation soit intégrée dans votre écosystème, qu’elle soit intégrée dans vos process partout dans l'entreprise, que ça devienne en quelque sorte une routine, que ça devienne un état d'esprit en quelque sorte. Je trouve que c'est très intéressant et je pense que c'est ça qui permettra d'adresser les enjeux auxquels les dirigeants sont aujourd'hui confrontés.

Raphaëlle Duchemin : Patrice Morot, merci.

Patrice Morot : Merci.

Raphaëlle Duchemin : Vous retrouvez la 28ᵉ édition de la Global CEO Survey sur pwc.fr.

Le temps d’une conversation libre, Raphaëlle Duchemin, journaliste, et nos experts partagent leurs points de vue ainsi que leur vision de l’avenir sur les grands sujets d’actualité du monde économique et professionnel.
 

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Xavier Crépon

Xavier Crépon

Clients & Markets leader, PwC France et Maghreb

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