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Dans un monde imprégné par la technologie, scindé entre ceux qui « savent » et ceux qui ne « savent pas », une approche globale du « upskilling » apparaît aujourd’hui comme une condition sine qua non de stabilité et de développement. C’est à la fois un investissement pour l’avenir et une responsabilité collective. États, acteurs de l’éducation, entreprises et organisations : pourquoi doit-on placer dès aujourd’hui les enjeux de formation permanente au premier rang de nos préoccupations ? Éléments de réponse.
Un manutentionnaire de l’industrie automobile remplacé par un automate, un robot dopé à l’intelligence artificielle qui se substitue au recruteur pour trier des CV… Dans le monde de l’entreprise, la révolution technologique a déjà remplacé de nombreuses tâches jusque-là effectuées par des humains. A terme, la technologie fera massivement disparaître des emplois et reconfigurera radicalement les contours de la majorité des métiers et savoir-faire de l’ère post-industrielle. Cette perspective suscite des craintes légitimes. Mais elle semble inexorable tant l’automatisation et les technologies s’imposent à nous de manière exponentielle, dans notre rapport au travail, dans notre manière de créer de la valeur ; à tous les niveaux de la société.
Reste que, dans le même temps, les avancées technologiques sont en train de créer de nouvelles opportunités et de nouveaux métiers, non moins nombreux, entraînant dans leur sillage des pénuries de collaborateurs qualifiés à court et moyen terme.
Faute d’adéquation entre les besoins en main-d’œuvre et les compétences disponibles, les États et les entreprises risquent de voir leur croissance et leurs revenus chuter dans les décennies à venir. Les disparités économiques et les inégalités sociales pourraient alors s’aggraver, laissant tout un pan de la population mondiale sur le bord de la route.
« Nous sommes à une phase similaire de l’histoire : de nombreux emplois sont remplacés par la technologie. On peut s’attendre à voir apparaître de fortes disparités (…) et une multiplication des conflits sociaux. »
Comme le rappelle l’économiste et historien de l’Université d’Oxford, Carl Benedikt Frey, la révolution industrielle avait causé une disruption sans précédent pour une partie de la population mondiale, qui a vu disparaître ses sources de revenus, entraînant des crises violentes et des révoltes populaires.
La mutation annoncée des métiers crée une grande incertitude et ouvre la voie à de nouveaux défis. A l’aube des années 2020, il n’est pas exagéré d’affirmer que « l’avenir du travail est le plus grand challenge de notre société », si l’on reprend les mots de Bob Moritz, Président du réseau international PwC. Car il impacte toutes les autres grandes batailles de notre siècle.
La grande question n’est pas de savoir si les machines vont remplacer l’Homme mais plutôt de s’assurer que les femmes et les hommes, quel que soit leur parcours, seront capables de travailler avec elles.
« C’est surtout la question de la complémentarité entre hommes et l’intelligence artificielle qui se pose – pas celle de la substituabilité » explique Géraldine Galindo, professeure de gestion des ressources humaines à l’ESCP-Europe, directrice de la chaire « Une usine pour le Futur ».
Le rythme effréné des transformations technologiques actuelles exige un effort de montée en compétences de la population mondiale. Ce que l’on appelle « upskilling » traduit un objectif ambitieux : former tous les individus au changement technologique pour monter en compétences, partout dans le monde.
Prendre à bras le corps le défi de la montée en compétences du upskilling consiste d’abord à développer ou renforcer massivement les compétences techniques des individus, pour leur permettre de répondre aux besoins du monde digital.
Coder, développer des algorithmes, des boutiques en ligne, maîtriser les ficelles du webmarketing, explorer et analyser des architectures de données, etc.
A l’égard du phénomène de la digitalisation, les initiatives se multiplient. En France, l’Éducation nationale a inscrit le codage informatique au programme des écoles primaires et des collèges dès 2016. Une spécialité « numérique et sciences informatiques » a en outre fait son apparition au lycée à la rentrée 2018. Non sans polémique, d’ailleurs, sur la formation des instituteurs et professeurs sur ces sujets, que certains estiment insuffisante.
« On ne dit pas que tout le monde doit devenir data scientist – mais pour survivre dans le monde du travail demain, nous devrons tous être capables de travailler avec la technologie, afin de lui donner du sens. »
Mais le mouvement s’enclenche surtout du côté des acteurs privés et associatifs. Les GAFAM, par exemple, ont quasiment tous investi dans des plateformes gratuites d’apprentissage, physiques et/ou virtuelles, vouées à faire monter en compétences le grand public, sur des thématiques numériques. Citons par exemple l’école IA Microsoft, les ateliers digitaux de Google proposés dans une douzaine de villes en France, les applications mobiles Primer ou Grasshoper, également portées par Google, ou le site Learn with Facebook, mettant à disposition des internautes des micro-contenus de formation. En parallèle, de nouveaux modèles émergent dans le domaine de l’éducation. L’écosystème de la Ed-tech est plus que jamais vivace, avec des start-up comme OpenClassrooms qui proposent des cours gratuits en ligne – et des nouveaux modèles d’écoles informatiques gratuites, comme l’école 42, née en France. L’Américaine Holberton School, propose quant à elle à ses élèves de ne payer les frais de scolarité que s’ils trouvent un job payé plus de 3300 dollars par mois à l’issue de leur formation. Les deux écoles possèdent désormais des campus en Amérique du Sud et en Afrique du Nord.
Si la connaissance technique et technologique est désormais largement accessible, souvent gratuitement, elle reste toutefois diffuse, sans un réel empowerment global et massif vis-à-vis de la population mondiale.
Alors que la puissance de calcul des machines est vouée à se démultiplier, à un niveau autrement supérieur à celui des capacités du cerveau, les compétences proprement humaines prennent une importance inédite. En particulier celles qui relèvent du savoir-être, de l’éthique et des capacités cognitives : l’adaptabilité, l’empathie, la capacité de synthèse et d’analyse, par exemple. L’acquisition ou le renforcement de ces soft skills sont fondamentales pour collaborer avec des systèmes technologiques toujours plus intelligents et performants. « Les compétences clés du XXIe siècle ne sont pas techniques. Ce sont celles qui permettent de résoudre des problèmes au sein d’un groupe ou face à des machines : la créativité pour trouver des solutions, l’esprit critique pour réfléchir de manière logique, la coopération et la communication pour travailler en équipe », expose Jérémy Lamri, auteur de l’ouvrage Les compétences du XXIe siècle (Dunod, 2018) et Head of innovation de Job Teaser. « Ces quatre “soft skills” sont certainement les moins informatisables à court ou moyen terme. Il y a aussi une méta-compétence qui est fondamentale : la capacité à apprendre. Tout le monde peut développer ce type de compétences mais l’école a un rôle très important. Car tout se joue en partie au moment de l’enfance et de l’adolescence. »
En conséquence de la fracture numérique, le chantier de la montée en compétences est un enjeu global, tant la technologie est omniprésente et vitale, partout niveau planétaire. Il soulève toutefois des problématiques différentes d’un pays à l’autre, ou d’une région à l’autre, selon la maturité économique et les politiques publiques en vigueur en matière d’éducation et de formation professionnelle.
Une responsabilité alors collective pour créer le bon environnement, donner envie aux gens de s’emparer des technologies et de se former, de se reformer, voire de s’auto-former. Ce défi ne pourra être relevé que s’il est vécu comme un défi collectif. La coopération et les synergies entre les actions des gouvernements, des entreprises et des acteurs du monde de l’éducation sera la clé, pour sécuriser l’avenir du travail.
Bien conscientes des enjeux de formation pour leur business à long terme, les entreprises peinent encore à mettre le pied à l’étrier. Selon la CEO Survey 2020 de PwC, plus des deux tiers des entreprises dans le monde commencent à peine ou avancent lentement dans la mise en place de programmes de montée en compétences. Dépassées, les organisations apprenantes expriment leur difficulté à identifier et à enseigner les « key skills » du futur.
En France, la formation professionnelle a longtemps été perçue comme une obligation légale et donc comme un poste de dépense obligatoire. En bousculant les modalités de financement, la récente réforme de 2018 devrait encourager les organisations à aborder la formation comme un enjeu stratégique et concurrentiel. Infuser une culture de la formation permanente dans nos sociétés dépendra avant tout du leadership des États et des décideurs pour accompagner, former, coacher les individus tout au long de la vie.
Comme le prédisait justement le prospectiviste américain Alvin Toffler dans les années 70’s dans « Le Choc du Futur », les analphabètes du XXIe siècle ne seront pas seulement ceux qui ne peuvent pas lire, écrire et compter, mais aussi « ceux qui ne peuvent pas apprendre, désapprendre et réapprendre ». C’est bien là tout l’enjeu de l’upskilling.