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Le 20 juin dernier, lors du salon Mipim Prop Tech, qui réunit les acteurs de l’immobilier à Paris, la start-up Blockchain Partner a choisi de reproduire sur la blockchain Ethereum une importante transaction immobilière et toutes les étapes ayant mené à la signature de ce contrat. Une transaction « virtuelle », pour l’instant, mais qui laisse augurer des transformations à venir dans ce secteur.
Par l’importance des actifs et des flux concernés et la pléthore de documents générés, l’immobilier semble en parfaite adéquation avec la blockchain. Cette technologie apporte la décentralisation, la transparence, l’automatisation contractuelle et la traçabilité nécessaires sur un marché où la preuve et l’authenticité sont essentielles.
Tous les métiers de l’immobilier sont concernés. La blockchain vient ainsi transformer la tenue des cadastres, les transactions, l’investissement immobilier, le marché locatif, comme la gestion et l’exploitation du bâti.
La technologie blockchain est particulièrement utile là où les cadastres existants sont peu fiables et non exhaustifs, permettant l’éventuelle appropriation malhonnête de biens immobiliers et fonciers. Elle permet de répertorier les terrains et de stocker l’information de façon transparente, publique et sécurisée, garantissant la propriété du bien répertorié.
La Géorgie a été le 1er pays, dès 2016, à enregistrer les titres de propriété sur une blockchain. Les pays émergents, et notamment l’Afrique, constituent un champ d’application privilégié. Au Brésil, au Ghana, au Honduras, les exemples sont multiples. Au Ghana, on peut inscrire son terrain sur le cadastre de sa ville en remplissant un formulaire disponible sur internet. Les données sont ensuite enregistrées dans la blockchain développée par l’ONG Bitland pour éviter le piratage des données. Cette innovation numérique crée un registre de propriété transparent et infalsifiable. De nombreux autres pays d’Afrique pourraient être intéressés par cette application.
Mais le cadastre sous blockchain n’est pas l’apanage des pays émergents. En Suède, le bureau national gérant terrains et immobilier a basculé sur des registres distribués reposant sur une blockchain privée : tous les enregistrements relatifs aux propriétés y sont mémorisés et consultables par les acteurs du marché (banques, agences immobilières, propriétaires).
« Implanter un cadastre sous format blockchain se fait d’autant plus aisément qu’il y a peu d’historiques de cadastres sous forme papier ! C’est plus facile de faire bouger les lignes quand on part de zéro ! Cela va permettre aux pays en retard sur la tenue de cadastre (notamment sur le continent africain) de réaliser un autre saut technologique, à l’image de ce qui s’est passé avec la téléphonie mobile (sans passer par la case téléphonie fixe) »
Authentifier les titres de propriété est une première étape. Vient ensuite le temps des transactions. La blockchain trouve ici des applications prometteuses en jouant le rôle d’une chaîne d’enregistrement transparente, décentralisée chez chaque partie prenante de l’opération et historicisant toutes les étapes de l’opération et les documents associés. Bien au-delà d’une simple numérisation de documents, elle permet d’automatiser la succession de ces étapes dès lors que des critères prédéfinis ont été réunis. Avec un gain de temps et des coûts réduits à la clé.
Il est déjà possible d’acheter un bien immobilier en cryptomonnaie via une blockchain. Un appartement en Ukraine et une maison du Vermont ont été vendus via la Blockchain Ethereum et la marketplace californienne de transaction immobilière dématérialisée Propy, créée en 2017 (https://propy.com). Ces transactions ont été entièrement gérées sur blockchain, de la mise en contact entre les différentes parties prenantes dans les pays concernés aux signatures électroniques des contrats et à la validation notariée en passant par le transfert des titres de propriété, via des « smart contracts » : ces contrats « intelligents » se déclenchent automatiquement lorsqu’un certain nombre de conditions mutuellement convenues sont remplies. Propy cible essentiellement les transactions internationales qu’elle entend ainsi simplifier et accélérer en réunissant toutes les parties.
En France, aucune vente par blockchain n’a encore été réalisée. La transaction rejouée lors du Mipim Prop Tech par Blockchain Partner portait sur la cession de l’immeuble IN/OUT (35.000 m2) à Boulogne Billancourt à la société de gestion de portefeuille Primonial REIM. La démonstration visait à démontrer que l’on peut enregistrer les grandes étapes du deal et les preuves des documents associés dans un smart-contract. « La blockchain permet de s’accorder sur la chronologie des documents, de s’assurer qu’ils n’ont pas été modifiés et que chacun se réfère bien au même contenu. Ce qui permet de gagner de la confiance et du temps. De quoi réaliser en deux mois une transaction qui en prend aujourd’hui six » affirment les partenaires de l’opération sur le site de la start-up.
Assiste-t-on à la fin annoncée des notaires ou est-ce la voie vers une blockchain notariale publique ? Pour l’instant les start-up de la blockchain immobilière se développent surtout dans les pays anglo-saxons où les pratiques notariales sont moins régulées qu’en France. Pour Bernard Blaud, PDG de Smarteum, un intégrateur français de blockchain, « se poser la question de garder le notaire ou pas est prématuré. Il faut d’abord songer à simplifier le processus de transaction et identifier les points de blocage que la technologie blockchain peut lever ». Stéphane Adler, notaire et vice-président de la Chambre des notaires de Paris, estime quant à lui que « le primo-accédant comme la famille recomposée qui achètent leur résidence principale ou réalisent un investissement immobilier auront toujours besoin des conseils juridiques, patrimoniaux et fiscaux de leur notaire pour bien appréhender les enjeux, obligations et impacts de leur acquisition ! » Enfin, pour Sébastien Chouckroun, Manager du Blockchain lab chez PwC, « il faut plutôt envisager la blockchain comme un enjeu de transformation des métiers, d’avocat ou de notaire notamment, et non comme un enjeu de suppression de ces expertises ».
« Dans un pays comme la France, on pourra acheter un bien immobilier via une blockchain, quand les notaires le voudront bien ! Et ce qui ne disparaîtra pas c’est la nécessité d’une personne qui certifie que l’acheteur n’agit pas sous la contrainte par exemple ! »
La blockchain n’est pas réservée à l’achat de biens immobiliers. Le marché locatif est également concerné, car la blockchain permet d’enregistrer et de gérer des contrats de location, de la signature du bail au versement des loyers. Et c’est déjà une réalité. La ville de Rotterdam mène un projet dans ce domaine avec CIC, une entreprise de location de bureaux et espaces de coworking : les contrats sont hébergés dans une blockchain. Prochaine étape : le suivi des loyers. Une gestion locative automatisée, à la fois plus sûre et moins coûteuse.
Les locations saisonnières entre particuliers, de type Airbnb, sont aussi concernées. L’idée ? Créer un Airbnb décentralisé où les transactions effectuées sur la blockchain seraient automatisées et désintermédiées via des « smart contracts ». Divers projets de start-up existent dans ce domaine et pourraient menacer les plateformes positionnées comme tiers de confiance, telles qu’Airbnb… Auront-elles un avenir ? Probablement, mais il reste du chemin à parcourir, selon Kosta Stanimirovic, Executive Director chez PwC, qui estime que « sur un tel marché locatif totalement décentralisé, sans tiers de confiance, qui valorisera la réputation des propriétaires ou des locataires ? Qui contrôlera les éventuelles arnaques ? »
Un autre front de rupture s’ouvre. On assiste à la création d’assets immobiliers gérés sur des blockchains qui permettent à quiconque d’acheter ou vendre des flux de revenus issus de l’immobilier via des ICO (Initial Coin Offering). Cette méthode de levée de fonds fonctionne via l’émission d’actifs numériques échangeables de manière sécurisée et sans tiers (banque notamment) contre des cryptomonnaies durant la phase de démarrage d’un projet. On parle de « tokenisation » des actifs immobiliers : les tokens (ou jetons) permettent d’authentifier, pour qui les achètent, la possession d’une partie d’un bien. Ce sont en quelque sorte des morceaux de propriétés immobilières ou foncières qui sont échangés via des blockchains : celles-ci servant à mémoriser et vérifier les transactions. Objectif : permettre à un plus grand nombre de personnes d’accéder au marché et fluidifier l’investissement immobilier. « Le jeton devient le tiers de confiance ! On peut dès lors tout imaginer : financer des immeubles avec leurs habitants et/ou la municipalité, ou regrouper des investisseurs autour d’une communauté d’intérêts : par exemple ceux qui souhaiteraient investir dans un immeuble répondant à de stricts critères environnementaux. C’est une nouvelle façon d’aborder l’investissement immobilier » estime Bernard Blaud. C’est aussi la possibilité, y compris pour les petits épargnants, de se construire un patrimoine immobilier sur mesure à échelle mondiale sans avoir besoin de rémunérer de nombreux intermédiaires. « On peut imaginer d’acheter 5 % d’un appartement à Dubaï, 2 % d’un autre à New York, etc, sous forme de tokens. Il est difficile d’affirmer, à ce stade, si cette possibilité va intéresser les petits acteurs du marché immobilier » note Roman Farcy.
La tokenisation des actifs immobiliers ouvre également la voie à des transactions inédites, via des plateformes décentralisées où l’on pourra échanger les tokens et actifs virtuels sans intermédiaire, c’est-à-dire un bout d’appartement contre toute autre valeur, un morceau d’un tableau de grand maître par exemple ! « Cela rendrait le marché de l’immobilier beaucoup plus liquide qu’aujourd’hui », relève Sébastien Chouckroun. C’est le projet de la start-up israélienne Bancor qui propose d’échanger immédiatement les tokens sans qu’il soit besoin de chercher un acheteur ou un vendeur ayant un besoin correspondant.
La gestion du bâti et de la vie des immeubles est une autre application possible de la blockchain, qui fonctionne comme un registre qui historise tout. Elle permet d’avoir accès à, de partager, et de garder la maîtrise de toutes les données d’exploitation liées à un bien immobilier, ainsi qu’à toutes les informations issues des objets connectés et réseaux intelligents (eau, électricité, énergie, etc.). Le property management pourrait donc être entièrement automatisé sur blockchain pour gérer la répartition des charges dans une copropriété, les travaux, les votes et les décisions en assemblée de copropriété, etc.
L’affinité entre l’immobilier et la Blockchain semble particulièrement forte. Celle-ci pourrait, in fine, remettre en cause le rôle des tiers de confiance traditionnels (notaires, agents immobiliers, syndics, banques). Mais la technologie présente, pour l’instant, certaines limites. Notamment en termes de capacités d’échanges.
Par ailleurs peut-on faire totalement confiance à cette technologie ? Des actes de malveillance sont toujours possibles : plusieurs attaques ont déjà permis à des cybercriminels de dérober plusieurs millions de dollars, en Ether ou en Token, lors d’ICO sur la blockchain Ethereum… qui annonce avoir résolu ces failles de sécurité depuis…
Enfin, le secteur immobilier est, en France notamment, très régulé. Un cadre juridique reste à définir, comme pour toute technologie émergente, avant d’imaginer des usages à grande échelle. Dans l’hexagone, une mission d’information sur les usages de la blockchain a été lancée par l’Assemblée nationale en février dernier et devrait durer 6 à 7 mois. Parmi ses objectifs, l’élaboration de règles juridiques, comptables et fiscales encadrant les échanges des crypto-actifs.
En attendant, les professions susceptibles d’être impactées par le développement de cette technologie ont tout intérêt à se saisir du sujet. C’est ce que fait par exemple la Chambre des Notaires de Paris qui vient de mettre en place une blockchain privée afin de compiler et de partager des informations vérifiées et infalsifiables sur des immeubles parisiens. « C’est pour l’instant un test. L’objectif est de ne plus être obligé de vérifier l’ensemble des données à chaque transaction et d’accélérer ainsi la réalisation des transactions. Si ce pilote est satisfaisant, nous ouvrirons progressivement la blockchain au public » commente Stéphane Adler, notaire et vice-président de la Chambre des notaires de Paris
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