Intelligence artificielle, transition climatique, réinvention des business models : Patrice Morot, Président de PwC France et Maghreb, et Raphaëlle Duchemin, décryptent les stratégies des leaders qui embrassent ces transformations.
Dès son apparition, les CEO ont commencé à l’adopter dans leur entreprise. D’autant plus qu’ils ont pu constater rapidement certains résultats prometteurs.
56 % d’entre eux disent que la GenAI a permis à leurs employés d’utiliser leur temps de manière plus efficace. 32 % ont remarqué une augmentation de leurs revenus et 34 % de leur rentabilité.
Même s’ils restent toujours optimistes sur les effets de la GenAI sur leur rentabilité à court terme, les CEO sont moins enthousiastes que l’année dernière. Ils sont toutefois 49 % à penser que cette technologie va améliorer leur rentabilité dans les 12 prochains mois. Ces chiffres sont en adéquation avec les autres études PwC. Dans notre dernière enquête Hopes & Fears, 62 % des employés ont déclaré qu'ils s'attendaient à ce que la GenAI augmente leur efficacité au travail au cours des 12 prochains mois. Également, dans la dernière édition de la Global Investor Survey, 2/3 des investisseurs interrogés ont déclaré qu'ils s'attendaient à ce que les entreprises dans lesquelles ils investissent réalisent des gains de productivité grâce à la GenAI au cours de l'année à venir.
L’utilisation de la GenAI ne semble pas corrélée à une réduction de l’emploi au niveau mondial : 13 % déclarent que l’utilisation de l’IA a entraîné des suppressions de postes lorsque 17 % disent que cela a créé, au contraire, une augmentation de leurs effectifs.
A horizon 3 ans, près de la moitié des CEO déclarent que leurs plus grandes priorités sont l'intégration de l'IA (y compris la GenAI) dans leurs plateformes technologiques ainsi que dans les processus et workflow de leur organisation. La réussite de cette intégration au cœur des outils et process supposera de mettre en œuvre une stratégie robuste à l’échelle de l’entreprise et de renforcer la confiance pour en tirer les bénéfices. A contrario, les chefs d’entreprise sont moins nombreux à penser à l’IA pour développer de nouveaux produits ou repenser leur stratégie commerciale.
Chiffre plus surprenant, seulement 30 % envisagent d’intégrer l’IA pour la gestion de leurs effectifs et compétences. Or, pour réaliser le plein potentiel de la GenAI, les entreprises doivent embarquer et augmenter leurs collaborateurs. Les enseignements de notre dernière enquête Hopes & Fears sont clairs, les collaborateurs sont prêts à accompagner la transformation de leur entreprise sur ce sujet, aux entreprises de les accompagner et de leur offrir les moyens pour y parvenir.
La prochaine étape : surveiller le prix de l’IA. S’il est normal que cette nouvelle technologie intéresse les CEO, il va falloir ensuite étudier les investissements nécessaires pour que cela soit rentable.
Les PDG français ont une plus forte propension que les autres CEO mondiaux à penser que la GenAI va améliorer l’efficacité de leurs collaborateurs. Ils représentent même une majorité (62 %) alors qu’ils ne sont que 38 % en Allemagne et 57 % aux États-Unis.
Autre fait intéressant, ils sont 54% à estimer que la GenAI va augmenter leur rentabilité au cours des 12 prochains mois ; cela les place dans le peloton de tête des CEO à travers le monde. Ce point est d’autant plus important que le défi de l’efficacité opérationnelle est un élément dans la réussite de leur transformation.
Les prises de position fortes des représentants de l’État sur ce sujet avec l’organisation du sommet pour l'action sur l'Intelligence Artificielle organisé les 10 et 11 février, l’accompagnement des ETI dans le développement de la GenAI par Bpi et France 2030, ou les impacts de rapports plus anciens (“Donner un sens à l’intelligence artificielle (IA) de Cédric Villani par exemple), peuvent expliquer cette maturité plus forte des entreprises françaises.
Et si l’IA participait aussi à l’intégration des transformations nécessaires de l’entreprise en matière d’environnement ? Cela peut permettre de lever des freins par rapport à la complexité réglementaire, libérant ainsi les équipes sur des actions à plus forte valeur ajoutée.
Nous avons demandé aux dirigeants d'évaluer l'impact financier de leurs investissements en matière de développement durable. Deux tiers d'entre eux estiment que ces investissements ont permis de réduire leurs coûts ou n'ont pas eu d'impact significatif sur ceux-ci.
Cependant, ces résultats montrent de grandes disparités selon les pays. En France et en Allemagne, 50 % des CEO considèrent que ces investissements ont entraîné une augmentation des coûts, principalement entrainé par la réglementation. Aux États-Unis, seulement 22 % des dirigeants partagent cet avis. En revanche, 60 % des CEO en Chine estiment que ces investissements ont généré des revenus, bénéficiant également du plus haut taux d'aide gouvernementale (46 % contre 13 % aux États-Unis).
Néanmoins, 33 % des dirigeants considèrent que les investissements engagés dans les cinq dernières années ont entrainé une augmentation des revenus des ventes des produits ou des services. Cela reste supérieur aux USA (20 %) et traduit bien l’aspect stratégique de ces investissements.
Globalement, nous constatons que les investissements en faveur du développement durable sont souvent associés à des profits plus élevés. Cette observation est alignée avec les enseignements de la précédente CEO Survey et une étude récente de la Harvard Business School, qui révèle une croissance plus rapide des entreprises qui orientent leur portefeuille vers des solutions durables.
Les investisseurs confirment eux aussi cette tendance : près de 70% d’entre eux reconnaissent dans la dernière Global Investor Survey que les entreprises doivent investir sur ces enjeux, même si leur rentabilité s’en voit réduite à court terme.
Trouver un business model durable : la réponse à un triple dilemme. À savoir garantir un approvisionnement énergétique fiable, réduire les émissions et diminuer les coûts. Certaines organisations deviennent productrices et des consommatrices de leur propre énergie.
En France, la volonté de réaliser des investissements durables est intégrée dans la stratégie de l’entreprise mais elle est freinée majoritairement par la complexité réglementaire. C’est la raison citée en premier par les dirigeants français (44 %). Cette contrainte semble plus forte comparativement à leurs homologues européens (31%) qui opèrent pourtant dans un environnement très similaire. Sans surprise, cet aspect est perçu différemment de l’autre côté de l’Atlantique avec seulement 15% des CEO qui considèrent les textes réglementaires comme un frein.
Si les chiffres sur la réglementation sont assez similaires à ceux de l’année 2023, notons qu’il y a une montée en compétence des équipes, et une pleine adhésion des parties-prenantes (ils ne sont que 2% à ne pas adhérer).
“C’est ce que l’on appelle la « tragédie des horizons » : pour l’instant, le dirigeant a encore l’impression de répondre à une injonction réglementaire mais pourquoi ne pas se saisir de cette opportunité pour imprimer une nouvelle stratégie ? Cela devient un investissement comme un autre, au même titre que des coûts de communication, par exemple.”
Malgré le contexte de tensions géopolitiques et commerciales, les CEO se montrent optimistes à l’égard des perspectives économiques mondiales de 2025. Cela peut sembler étonnant vu de France au regard des incertitudes liés à l’absence de budget, du moral des ménages toujours en berne et la relance des investissements des entreprises toujours en attente. Pourtant, 58 % d’entre eux parient sur une amélioration de la croissance mondiale dans les 12 mois à venir. Rappelons qu’ils étaient 38 % l’année dernière et 18 % il y a deux ans à miser sur une embellie économique.
Depuis le passage de la crise Covid, nous observons un regain de confiance de la part des dirigeants, notamment dû au fait que lorsque l’on surmonte de telles crises et que l’on fait face ensuite à une série de chocs – économiques, géopolitiques, environnementaux, sociétaux, sanitaires – qui ne pouvaient être anticipés, on gagne en confiance dans ses capacités d’adaptation et on prend davantage conscience de la nécessité de se transformer.”
À noter que les CEO ont aussi une grande confiance dans leur entreprise. Ils sont 42 % à prévoir une augmentation des effectifs dans l’année à venir et seulement 17 % à envisager une réduction.
Si la vision est globalement optimiste, il faut noter que les dirigeants allemands sont les plus pessimistes quant à leur économie nationale. Les industries sont confrontées à de nombreuses difficultés : faible demande, pénurie d’énergie ou de main d’œuvre qualifiée, par exemple.
Du côté des risques à horizon 12 mois, le paysage sur le plan international reste inchangé par rapport à l’an dernier avec des craintes de volatilité macroéconomique (29 %), d’inflation (27 %) et de risques cyber (24 %). En France, la culture cyber et les attaques de ces dernières années positionnent les cyber-risques à la première place des menaces auxquelles les chefs d’entreprise se disent exposées (39 %), devant la raréfaction des compétences clés (34 %) et la volatilité macroéconomique (31 %).
“Nous distinguons deux grandes familles de risques : ceux ayant un impact direct sur l’entreprise (les risques économiques et cyber par exemple) et ceux plus indirects et diffus, en lien avec un contexte mondial (sur les aspects climatiques et géopolitiques notamment) dont les impacts ne s'appliquent pas nécessairement sur la performance immédiate de celle-ci et se mesurent sur une échelle de temps plus longue. C’est ce qui explique, sans surprise, la minoration des perceptions de ces menaces à court terme.”
Les dirigeants français sont confiants quant aux perspectives de croissance de leur entreprise, bien plus que les autres CEO internationaux. Ils sont 47 % à être extrêmement confiants à 12 mois (contre 38 % au niveau mondial) et 65 % pour les 3 prochaines années (53 % sur le plan international). Cet optimisme est corrélé par les investissements prévus à l’étranger pour 60 % d’entre eux, et particulièrement aux Etats-Unis où 42 % (contre 30 % en 2024) pensent y investir pour tirer leur croissance. A contrario, les chefs d’entreprise de l’Hexagone parient moins sur leur propre territoire pour développer leur business. Ils sont seulement 24 % à penser que la croissance économique nationale va s’améliorer en 2025.
Un défi s’impose toutefois face à l’exode des opportunités hors de France : nous devons préserver l’élan innovant des entreprises françaises et européennes en créant des conditions propices à leur essor local, afin d’éviter une perte irréversible d’expertise et de leadership au profit des États-Unis.
La nécessité de toujours réinventer son entreprise est à l’esprit de la plupart des PDG mondiaux : 42 % affirment que, sans transformation leur entreprise ne sera pas viable plus de 10 ans (68 % en France). Cet impératif de transformation répond pour partie à des évolutions réglementaires (42 %) mais aussi aux technologies disruptives (27 %).
Les secteurs concernés ? Les médias, les télécommunications et l’industrie, par exemple. Si les CEO de l’industrie pharmaceutique ont longtemps pensé que le secteur n’avait pas besoin de se transformer, cela a changé : de 28 % en 2023, ils sont 45 % cette année à avoir évolué sur cette question.
“En faisant de la transformation une seconde nature, une habitude positive, l’entreprise se donne les moyens de se transformer plus vite, mais aussi de transformer son écosystème. Et si l’entreprise transformative, capable de concilier performance financière et durabilité, faisait partie des raisons de rester optimiste ? Et vous, qu’attendez-vous de cette entreprise capable de se réinventer durablement autour du collectif ?”
Tous secteurs confondus, les dirigeants sont une majorité (63 %) à déclarer qu’ils ont mis en place au moins une mesure importante pour modifier la manière dont leur entreprise produit de la valeur. Le plus souvent, cela consiste à innover en matière de produits et de services.
Ces mesures seront-elles suffisantes ? La réponse est non ! Ces 5 dernières années, les entreprises n’ont tiré des revenus de nouvelles activités qu’à hauteur de 7 % : ce n’est pas assez. Pourtant, les dirigeants qui ont misé sur la transformation du modèle de leur entreprise ont amélioré, plus que les autres, leurs profits.
Cette nécessité de repenser son business model passe par la capacité à avoir une vision très claire de sa stratégie de création de valeur. Il faut disposer d’un modèle opérationnel efficient, intégrer pleinement les technologies et savoir engager et mobiliser les collaborateurs dans cette transformation continue.
Prochaine étape : regarder plus loin. Pour réussir sa transformation, l’entreprise doit être « out of the box » et sortir de sa zone de confort. Revenir sur les points douloureux, se souvenir des besoins non satisfaits sont des moyens de commencer la réinvention.
Les dirigeants doivent transformer leur entreprise et se saisir plus rapidement des opportunités. Malgré la pression pour réinventer le modèle de leur entreprise d’ici 10 ans, la plupart des CEO ne s'attendent pas à rester plus de 3 à 5 ans à leur poste. Dans ce contexte, les transactions de M&A sont un levier de taille pour la transformation des entreprises.
Plus de 50% des CEO prévoient d'effectuer au moins une acquisition majeure dans les trois prochaines années. Ces investissements sont majoritairement orientés vers les États-Unis, avec 42% des répondants français qui envisagent d'y investir (+12 points par rapport à 2024).
“Dans un environnement en évolution rapide, les transactions permettent aux entreprises de gagner du temps en achetant des technologies ou des entreprises déjà opérationnelles, ce qui est crucial pour réussir à se développer sur des nouveaux segments de marché et enrichir son portefeuille d’offre. Les investissements aux États-Unis (30% des intentions) sont au centre de l’attention en raison des perspectives de croissance, de la profondeur des marchés de capitaux américains, et des écarts de valorisation entre l’Europe et les Etats Unis, sans compter l’incertitude des droits de douanes.”
Diriger une entreprise relève de prises de décisions éclairées, rationnelles et objectives. Or les processus de prise de décision stratégique ne semblent pas toujours suivre cette direction. 60 % des CEO internationaux (58 % en France) admettent en effet évaluer la qualité de leurs décisions par rapport aux résultats obtenus plutôt qu’à l’approche qu'ils ont suivie pour y parvenir. Or les derniers peuvent être déterminés par des facteurs comme la chance qui n’est pas un élément que les dirigeants peuvent contrôler. Ils peuvent en revanche déterminer un processus de prise de décision. Notre étude montre pourtant que ce process n’est pas interrogé par la majorité des chefs d’entreprise.
L’intuition et l’expérience ne sont pas des guides fiables : il est important de sécuriser la qualité des décisions prises par les chefs d’entreprise. Ceux qui s’appuient sur des processus plus sûrs ont une plus grande capacité à réussir à se réinventer.
La réallocation dynamique des ressources est essentielle à la réinvention des entreprises. Il est impossible de développer une nouvelle activité sans réallouer des ressources entre des projets aux priorités différentes. Et pourtant, dans la pratique, la majorité des entreprises manquent d'agilité : la moitié des PDG déclarent réallouer 10 % ou moins des ressources financières et humaines d'une année sur l'autre, et plus des deux tiers réallouent moins de 20 %. Or l’impact de ces réallocations sur le business et les profits de l'entreprise est tangible.
Des biais psychologiques peuvent expliquer ces comportements : une tendance à se reposer sur des critères arbitraires (se fier aux budgets et actions réalisées l'année précédente par exemple) et à allouer naïvement les ressources (allouer les ressources de manière égale entre les différents projets au lieu de pondérer les investissements de manière stratégique).
Pour minimiser l'impact de ces facteurs psychologiques, les entreprises peuvent par exemple favoriser les prises de décisions en petits groupes composés de parties prenantes indépendantes les unes des autres, ou dresser, à l’échelle de l’entreprise, un tableau des projets en fonction de la rentabilité attendue.
Les dirigeants qui ont déjà fait le pari de l’IA tablent sur des gains encore plus importants dans les mois à venir, en l’intégrant dans plus de process. La confiance reste toutefois un obstacle à l’adoption plus large de l’IA dans les organisations : seul 1 PDG sur 3, à l’échelle mondiale, indique avoir totalement confiance dans la bonne intégration de l’IA dans les processus clés de son entreprise. Cette tendance se reflète du côté des consommateurs qui se disent à 80 % préoccupés par les développements futurs de l'IA générative dans notre étude Voice of the Consumer Survey 2024 et moins confiants quant à son utilisation dans des services risqués ou amenés à traiter des données personnelles, dans le secteur de la santé par exemple.
Au-delà de la large intégration qui sera nécessaire pour passer des use case à l’échelle, les entreprises vont devoir travailler sur la qualité des données utilisées (fiabilité, traitement des biais et transparence des modèles) et la confiance en celle-ci à travers la mise en place d’infrastructures permettant d’assurer un usage éthique et responsable de l’IA.
Adopter une IA responsable : pour pleinement exploiter l’IA, les entreprises doivent avoir connaissance de ses limites et un contrôle total grâce des modèles de traitement transparents et sécurisés.
À quoi ressemblera l’économie mondiale en 2035 ? Cela dépendra en grande partie de la manière dont les gouvernements, les entreprises et la société vont réagir à la menace que représente le changement climatique et à l'opportunité unique que constitue l'IA. Les entreprises les plus susceptibles de prospérer demain sont celles qui se mobilisent dès à présent et cherchent à comprendre comment ces forces vont remodeler leur secteur et réimaginer leur modèle économique, leurs opérations, et leur utilisation de la technologie et de l’énergie.
PwC a interrogé 4 701 dirigeants d’entreprise du 1er octobre au 8 novembre 2024 dans 109 pays. Les chiffres mondiaux et régionaux du rapport sont pondérés proportionnellement au PIB nominal national ou régional afin de garantir que les points de vue des dirigeants soient représentatifs dans toutes les grandes régions. Les chiffres par secteur et par pays sont basés sur les données non pondérées de l’échantillon complet de 4 701 réponses. 61 dirigeants français ont répondu à l’enquête 2024. Les résultats complets peuvent être consultés sur pwc.com.