Ce n’est plus une hypothèse mais une réalité : un tiers des dirigeants d’entreprise qui ont investi sur les enjeux de développement durable ont augmenté les revenus des ventes de leurs produits ou services.
Ce résultat est corroboré par une étude récente de la Harvard Business School : les entreprises qui orientent leurs portefeuilles vers des solutions durables connaissent une croissance plus rapide que les autres.
Cela fait des années que les enjeux de développement durable sont considérés comme une contrainte plus que comme un choix par les CEO. Ces contraintes réglementaires de plus en plus fortes sont parfois difficiles à intégrer dans un nouveau modèle économique. 36 % des CEO estiment que les dépenses liées au développement durable entraînent une augmentation des coûts.
Les investissements sur les questions de développement durable ont généré une augmentation des coûts : cela signifie que les entreprises ont mobilisé des budgets et des ressources.
Les CEO ont recruté, mis en place une organisation, des systèmes pour améliorer l’information, etc.
À l’instant T, oui, cela a augmenté les coûts, c’est un fait et une bonne nouvelle. Il est cependant crucial de dépasser le raisonnement et l’analyse à court terme. En matière de durabilité, il est nécessaire de prendre les décisions aujourd’hui, pour en mesurer les résultats demain et après-demain. Il va falloir des années pour évaluer le ROI. La véritable question est de trouver l'équilibre entre court terme et long terme.
Les dirigeants peuvent avoir la tentation d’« attendre d’être au pied du mur ». Mais aujourd’hui, nous savons que c'est la certitude de « dépenser plus pour traiter les enjeux en matière de développement durable. C’est aussi le risque de ne pas avoir anticipé des évolutions de business model qui pourraient créer de la valeur ».
Créer de la valeur au pied du mur est aléatoire, anticiper et adapter sa stratégie est plus sûr.
La PwC Global Investor Survey de 2024 appuie le propos lorsque l’on interroge les investisseurs à l’égard des investissements en matière de développement durable.
Les exemples récents de fragilité et de résilience des opérations de plusieurs groupes, ainsi que les coûts associés, ont clairement marqué les investisseurs. 80 % d’entre eux seraient prêts à augmenter leurs investissements dans les sociétés qui travaillent avec leurs fournisseurs sur la résilience de la chaîne de valeur.
De la même façon, les entreprises qui intègrent les questions de durabilité dans le développement de leurs offres de produits et services se rendraient plus attractives pour 78 % des investisseurs.
Malheureusement, certaines entreprises restent dans leur cœur de métier en étirant leur chaine de valeur. Or, des entreprises dans la cosmétique comme dans l’agroalimentaire ont, grâce aux questions de développement durable, pu se saisir de cette opportunité pour évoluer. C’est vers les problématiques de santé que la solution peut se trouver.
Le cas de la transformation de Danone est très représentatif des enjeux des entreprises du secteur agroalimentaire. Au-delà de la prise en compte de la préservation de l’environnement, Danone se projette avec un nouveau positionnement en lien avec le développement durable puisqu’il s’agit de la santé.
« L’univers de l’alimentaire est entré dans une nouvelle ère : la santé, et plus précisément le rôle que l’alimentation joue dans la santé, deviendra de plus en plus déterminante. J’ai la conviction que cela nous donne une longueur d'avance pour entrer dans un monde différent et y tenir un rôle de leader. » explique Antoine de Saint-Affrique, Directeur Général de Danone, le 20 juin 2024 dans le cadre du Capital Market Event de Danone.
Ce changement de positionnement d’une entreprise agroalimentaire montre comment se saisir des contraintes d’une réglementation pour en faire un levier de croissance. Et pas n’importe lequel puisqu’il s’agit du bien le plus précieux : la santé.
La « tragédie des horizons » est la tragédie des sujets de développement durable quand le dirigeant raisonne à court ou moyen terme. Dans ce domaine, il est nécessaire de penser sur le long terme.
L’investissement dans les sujets de développement durable devient un investissement comme un autre, au même titre que les coûts de communication.
Il faut dépasser l’échéance du court terme et se demander quelles seront les conséquences de réputation, de compétitivité, de résilience des business, etc. si l'on ne réalise pas d’investissements dans les solutions durables.
La question à se poser est : quel aurait été ou quel serait le coût de l’inaction pour l’entreprise ? Et plus encore, comment intégrer ces investissements dans une nouvelle stratégie ?
La réponse : ne pas considérer la réglementation comme une contrainte, mais comme l’opportunité de réinventer sa stratégie avec une nouvelle voie pour la création de valeur. Pour cela, les entreprises ne doivent pas rester dans leur cœur de métier ni étirer sans fin leur chaine de valeurs, en intégrant par exemple l'économie circulaire dans l'ensemble de leur process. Il faut agir et les investisseurs l’ont compris, puisqu’ils sont prêts à miser sur ces changements.
Près de 70 % d’entre eux reconnaissent dans la PwC Global Investor Survey de 2024 que les entreprises doivent investir sur ces enjeux, même si leur rentabilité est réduite à court terme.
Un certain nombre d’entreprises ont perdu beaucoup d’argent par manque d’anticipation sur la question de la durabilité et du changement climatique.
Porsche, par exemple, a perdu récemment 2 milliards d’euros, et son cours de Bourse s'est effondré à cause d'enjeux climatiques liés à la non-résilience de sa Supply Chain en Europe.
Il a été annoncé dans un premier temps que plusieurs fournisseurs étaient touchés par « une importante pénurie d’approvisionnement en aluminium ». Il ne s’agissait pas d’un problème d’extraction mais d’une catastrophe naturelle qui a touché l’usine de production de pièces en aluminium, indispensables pour les carrosseries du groupe.
L’unique fournisseur de petites pièces en aluminium du constructeur allemand a subi une inondation rapide. La fabrication a été immédiatement stoppée en juillet 2024, entraînant une baisse de production d’au moins 10 000 véhicules. Audi a connu la même situation avec des inondations en Bavière. Les sites suisses de Constellium et Novelis ayant eux aussi été impactés par ce même type d’événement climatique.
Ces situations n’ont pas été anticipées, alors que la possibilité d’une défaillance de ces fournisseurs (certains situés en zones inondables) était réelle et connue. Ainsi, la faible résilience de la chaine d’approvisionnement a été sanctionnée par les investisseurs.
La biodiversité et les écosystèmes associés sont indispensables au secteur agroalimentaire qui voit son modèle économique compromis par la dégradation des sols ou encore la baisse de la pollinisation. Dès 2019, José Graziano da Silva, Directeur général de l’Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), déclarait : « La perte de la biodiversité pour l'alimentation et l'agriculture compromet sérieusement notre capacité à alimenter et à nourrir une population mondiale en croissance constante ».
En voulant répondre à la demande croissante de la production alimentaire, les pratiques agricoles actuelles constituent la principale cause du déclin de la biodiversité dans le monde. Les forêts sont remplacées par des terres à des fins agricoles et les prélèvements d’eau douce utilisés pour l’irrigation ont doublé depuis 1960.
Ce système de production alimentaire, qui correspondait aux grands enjeux mondiaux comme la croissance démographique et les marchés internationaux, crée aussi sa perte. Pour limiter les conséquences de ce système, de nouvelles normes et un durcissement de la réglementation ont été mis en place. Tout le secteur a dû transformer ses pratiques pour répondre aux attentes de l’ensemble des parties prenantes.
Il a fallu revoir complètement la manière d’envisager les modes de production en se saisissant de cette opportunité. « Les investisseurs sont prêts à suivre les entreprises qui ont intégré les notions de durabilité dans leur pratiques », insiste Émilie Bobin.
Le passage à l'échelle d'un modèle alimentaire durable nécessite la création de débouchés viables, l’implication de l'ensemble de la chaîne de valeur et un accompagnement adapté qui tienne compte des singularités locales (étude « Vers une alimentation durable : comprendre les défis et identifier les leviers pour rendre son modèle désirable et opérationnel » de PwC).
L’exemple de la stratégie adoptée par Danone est appelé à se renouveler dans l’ensemble des secteurs industriels. Les CEO ne peuvent plus ignorer l’importance des enjeux du développement durable dans les années à venir, sous peine de voir leur activité disparaître. Les entreprises qui intègrent les principes de durabilité dans leurs modèles économiques répondent non seulement aux exigences réglementaires, mais se positionnent également comme leaders innovants et résilients en gagnant une longueur d’avance sur leurs concurrents.