Assurance emprunteur

Une dynamique soutenue dans un contexte de plus en plus incertain

Les trois principales familles d’acteurs présents sur la chaîne de valeur du marché de l’assurance emprunteur (porteurs de risque, gestionnaires et distributeurs) ont su s’adapter face aux contraintes posées par les confinements successifs, profitant de ce contexte pour accélérer leur processus de digitalisation et d’amélioration de l’expérience client. Porté par le  marché de l’immobilier et la croissance des nouveaux crédits, l’assurance emprunteur a résisté à la crise du Covid et affiche un taux de croissance annuel moyen de +4 % sur la dernière décennie. L’effet volume des contrats en cours, ainsi que de l’assouplissement des critères d’octroi des crédits initié par le Haut Conseil de stabilité financière (HCSF) offrent des perspectives intéressantes au secteur. Dans le même temps, le gouvernement semble décidé à contenir la hausse des taux d’intérêt afin de soutenir la consommation et la relance de l’économie. 

La situation géopolitique actuelle pourrait contrarier durablement cette dynamique favorable. En effet, l’impact économique de la guerre en Ukraine et des sanctions ont eu pour conséquence une augmentation des taux d’intérêts et un durcissement des conditions d’octroi des crédits. Dans ce contexte, les consommateurs pourraient devenir plus attentistes, ce qui pénaliserait directement le marché de l’immobilier et de l’assurance emprunteur.

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Un marché toujours dominé par les bancassureurs

En France, le marché de l’assurance emprunteur reste encore aujourd’hui dominé par les bancassureurs, et ce malgré l’ouverture à la concurrence permises par les lois dites « Lagarde » (2010), « Hamon » (2014), et l’amendement dit « Bourquin » (2018). 

Les différentes évolutions législatives ont d’abord visé à autoriser la délégation d’assurance puis à permettre aux assurés de résilier leurs contrats d’assurance emprunteur. En pratique, ce manque de flexibilité additionné à la capacité d’adaptation des banques et au manque d’information des consommateurs n’ont pas permis de libéraliser le marché. La possibilité de proposer leurs propres contrats d’assurance emprunteur aux clients, en les sollicitant dans le cadre d’une demande de crédit immobilier, confère aux banques un avantage concurrentiel important sur les autres acteurs du marché. Bien que les prix ont baissé depuis une dizaine d’années, les bancassureurs continuent de tirer profit d’un effet « stock » des prêts immobiliers en cours. L’association de consommateur UFC “Que Choisir” soulignait en 2021 que le ratio combiné (primes sur sinistres) des banques sur l’assurance emprunteur était supérieur à 60 % : ce qui explique leur forte détermination à préserver leur part de marché. 

En réponse aux évolutions législatives, les banques se sont rapidement adaptées à travers différentes actions. 

  • La sortie des contrats groupe à tarification unique ; 

  • La commercialisation de contrats alternatifs internes, notamment à cotisations dégressives basées sur le capital restant dû ; 

  • Une baisse de leur tarif comprise entre 13 % et 26 %, tout en maintenant les garanties proposées ; 

  • et la signature de partenariats avec les assureurs alternatifs afin de conserver le choix des offres proposées.

Une évolution du cadre législatif nécessaire 

Pour illustrer l’efficacité de ces actions, les contrats groupes et contrats alternatifs internes des bancassureurs représentaient 89 % des cotisations d’assurance emprunteur en 2017 (contre 87,6 % fin 2019, soit une baisse de seulement 1,4 %). 

En termes de cotisations annuelles, les porteurs de risque, les gestionnaires et les distributeurs se partageaient un marché de 10,3 milliards d’euros (en 2020), dont 6,3 milliards d’euros étaient captés par les trois principaux acteurs : CNP AssuranceCrédit Agricole Assurance et le Groupe des assurances du Crédit Mutuel. Des chiffres qui confirment le quasi-monopole des bancassureurs qui pesaient plus de 80 % de la part de marché de l’assurance emprunteur en 2020, malgré l’ouverture à la concurrence. Une situation qui a poussé le ministre de l’Economie actuel, Bruno Lemaire, à commanditer auprès du Comité consultatif du secteur financier (CCSF) un bilan du marché de l’assurance emprunteur dont les conclusions ont confirmé la forte concentration du marché et conduit à une évolution majeure du cadre législatif.

Réforme de l’assurance emprunteur : quels changements pour les consommateurs ?

Le 3 février 2022, le Parlement a adopté un projet de loi, porté par la députée Patricia Lemoine, visant à garantir un accès plus juste, plus simple et plus transparent au marché de l’assurance emprunteur. Les objectifs annoncés de ce projet de loi sont multiples.  

  • Libéraliser le marché de l’assurance emprunteur ; 

  • Augmenter le pouvoir d’achat des consommateurs, sans nuire aux finances publiques, en leur permettant de changer d’assureur et de souscrire à des contrats individuels plus adaptés à leur profil de risque, avec des gains moyens estimés entre 5000 et 15000 euros par assuré ; 

  • Mieux informer le consommateur sur ses droits ; 

  • Améliorer l’inclusion des personnes les plus fragiles en réduisant les freins à leur assurabilité. 

Une nouvelle loi qui permet aux assurés de résilier à tout moment leur contrat d’assurance emprunteur, et vise à supprimer le questionnaire médical pour les prêts inférieurs à 200 000 euros. Quant aux courtiers grossistes (April en tête), utilisés par de plus en plus de consommateurs, ils prennent en charge toute la partie administrative liée à la résiliation et au changement d’un contrat d’assurance emprunteur et vont avoir un rôle clef à jouer dans la libéralisation espérée du marché.

Un an après sa mise en application, comment les assurés s'approprient la loi Lemoine ?

PwC a mené l'enquête pour Assurly auprès de 1000 assurés, pour évaluer leur niveau de connaissance et de compréhension de la loi Lemoine, et force est de constater que les Français manquent d'information pour s'emparer de ce dispositif.

  • 6 Français sur 10 savent qu'ils peuvent changer d'assurance emprunteur à tout moment, même si la moitié d'entre eux ne savent pas comment faire ;
  • 4 Français sur 10 sont au courant de la suppression du questionnaire de santé pour certains profils, alors que cela vise à rendre l'assurance plus accessible à tous.

L'enquête permet également de définir les attentes et besoins de chacun en matière de gestion assurantielle. Sans surprise, en cette période d'inflation et de recherche de pouvoir d'achat, le prix des assurances devient problématique pour les Français et c'est sans doute le critère qui pourra décider l'assuré de s'appliquer cette loi ; dans la mesure où il surpassera les freins de la complexité des démarches à mettre en œuvre face à un banquier qui jusque là ne permettait pas la liberté d'aller voir ailleurs.

Des Insurtechs, telles qu'Assurly, ont pour objectif de montrer le chemin du changement vers plus de transparence, d'économie et de simplicité dans le choix de l'assurance emprunteur.

Une montée en puissance progressive des assureurs alternatifs 

L’ouverture à la concurrence a attiré de nouveaux assureurs alternatifs positionnés sur les contrats individuels délaissés par les banques. En plus des assureurs historiques (Axa, Generali...), deux principales catégories d'acteurs ont vu le jour sur ce marché :

  • les mutuelles d’assurance grand public avec ou sans intermédiaires, qui produisent et distribuent leurs offres, les principales étant la Maif, Macif ou les enseignes du groupe Covéa ; 

  • les mutuelles d’assurance de plus petite taille qui ont développé des alliances et distribuent des contrats sous marque blanche. En s’appuyant sur les acteurs historiques du marché ou sur des courtiers grossistes (April, Utwin…), les nouveaux acteurs distribuant sous marque blanche minimisent leur coût et leur risque de s’attaquer à ce marché.

Une étude de l’Argus de l’assurance (2021) soulignait que deux assureurs dits alternatifs, Generali et la MACIF, ont connu des croissances de leurs cotisations brutes supérieures à 16 % dans un marché impacté par la crise du Covid. Une forte dynamique qui s'appuie sur un investissement précoce dans la fluidification et la digitalisation du parcours de souscription, et des tarifs compétitifs grâce à une approche multicanale offrant une large variété de garanties proposées, adaptées au profil des assurés. 

Les néo-assureurs lorgnent désormais sur l’assurance emprunteur 

Initialement positionnés sur la distribution de contrats d’assurance à travers des activités de courtiers grossistes, 2021 fut une année exceptionnelle pour les néo-assureurs français. Entre levées de fonds records, agréments du régulateur, et élargissement de la gamme des produits d’assurance proposés, la dynamique semble partie pour durer.

Après avoir conquis plus de 150 000 nouveaux clients avec son approche novatrice de l’assurance habitation, Luko s’est lancé en 2021 sur l’assurance emprunteur et pourrait devenir un courtier grossiste important dans quelques années. Son modèle unique, qui reverse une partie de ses résultats à des associations caritatives, pourrait séduire au-delà des primo-accédants soucieux d’avoir une consommation plus vertueuse : lors du lancement de son produit, Luko revendiquait déjà plus de 10 000 pré-inscriptions.

Un modèle 100 % en ligne, une expérience client repensée 

Acheel, un néo-assureur en plein développement, a réalisé une levée de fonds de 29 millions d’euros en 2021 auprès de Xavier Niel et a obtenu son agrément auprès de l’ACPR lui permettant de produire tout type de contrat d’assurance, y compris emprunteur. Acheel s’est positionné sur la souscription en ligne avec pour objectif de revendre ses produits d’assurance à des courtiers soucieux de proposer des offres exclusivement numériques à leurs clients. Cette même année, Lovys et Assurly ont décidé de s’associer pour se positionner sur le secteur de l’assurance emprunteur 100 % digitale, promettant à leurs clients de pouvoir souscrire à leur offre en 10 minutes via une application mobile. Assurly, après une demande d’agrément auprès de l’ACPR, ambitionne de produire ses propres contrats d’assurance emprunteur à des tarifs 50 % moins chers que ceux des bancassureurs et entre 20 % et 30 % moins chers que ceux des assureurs alternatifs.

Ces néo-assureurs, avec leur modèle 100 % en ligne plébiscité lors de la crise sanitaire, ont su repenser intégralement l’expérience client et les parcours de souscription, en profitant des nouvelles technologies et d’un écosystème favorable à leur développement. Ces plateformes 100 % digitales permettent des économies importantes, et donc des marges de manœuvres sur les tarifs proposés aux consommateurs.

Quelles tendances à venir pour l’assurance emprunteur ? 

En période de taux bas, l’assurance emprunteur peut représenter jusqu’à 30 % du coût d’un prêt immobilier. Il semble probable que les Français s’intéressent davantage à réduire ce coût en faisant jouer la concurrence : les courtiers grossistes proposent de prendre en charge l’ensemble des démarches administratives induites par la résiliation et le changement d’un contrat. 

Les néo-assureurs et les assureurs alternatifs, avec une approche multicanale et ayant investi dans la digitalisation de leur parcours de souscription, semblent bien positionnés pour bénéficier de la libéralisation attendue du marché. Les courtiers grossistes et comparateurs en ligne pourraient contribuer à accélérer cette tendance, notamment pour les primo accédants représentant une cible prioritaire. En effet, ils présentent un risque faible, lorsque leur questionnaire médical indiquait qu’ils étaient en bonne santé. Ce ciblage des profils les moins risqués explique l’attractivité des tarifs, qui leurs étaient proposés à travers les contrats individuels. Cependant, il remettait progressivement en question le principe de mutualisation du marché, indispensable à l’assurabilité des personnes fragiles, qui se retrouvaient souvent privées d’assurance, ou à devoir payer des primes particulièrement élevées. Le rapport du CCSF faisait état d’un marché « à deux vitesses » : sur la période 2010-2019, on observe une baisse des prix entre 13 % et 26 % pour les personnes âgées de 25 à 45 ans, et une hausse de plus de 33 % pour les plus de 55 ans.

Suppression du questionnaire médical : un avantage pour les primo accédants ? 

La suppression du questionnaire médical devrait permettre une meilleure assurabilité des personnes fragiles, mais soulève des inquiétudes. Face à ce nouvel aléa, les assureurs pourraient augmenter leurs tarifs pour compenser une plus grande prise de risque, au moins à court terme. Les bancassureurs, grâce à la taille de leur portefeuille et leur forte mutualisation, sont mieux armés que les assureurs alternatifs et néo-assureurs pour absorber ces nouveaux risques et limiter les surcoûts. Quant à la réduction du droit à l’oubli, elle est attendue depuis plusieurs années et concerne des pathologies bien connues : l’impact sur les prix devrait donc être limité.

De nombreux freins existent encore à la libéralisation de ce marché, tels que le manque d’information et de connaissance des consommateurs, ou la position privilégiée des banques et des pratiques anticoncurrentielles dénoncées par les courtiers grossistes et les associations de consommateurs, qui soulignent une tendance des banques à bloquer la délégation d’assurance et à conditionner l’octroi d’un prêt immobilier à la souscription de leur produit d’assurance emprunteur. Il est probable que les banques démontrent leur détermination à ne pas abandonner ce marché, en s’adaptant au nouveau contexte législatif et en continuant d’adapter leur offre à celle proposée par leurs concurrents.

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Louisa Renoux

Louisa Renoux

Associée Consulting Finance, PwC France et Maghreb

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