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Les promesses de la médecine personnalisée, ou médecine de précision, laissent augurer des jours (médicaux) heureux. Mais, entre santé fantasmée et réalité concrète du terrain son déploiement renvoie à presque autant de questionnements que d’espoirs. Seule certitude : l’avenir du soin passe par la personnalisation de la prise en charge. Il convient donc de s’y préparer, pour mieux s’en emparer.
Préambule indispensable : s’accorder sur une définition du concept même de médecine personnalisée, qui peut fluctuer selon les interprétations et les contextes. « Celle retenue par PwC est l’ensemble des procédures et pratiques qui s’appuient directement ou indirectement sur la génomique1 ou la protéomique2 pour rendre possibles les approches personnalisées du soin et de la prévention », tranche Elisabeth Hachmanian, Associée Secteur public et Santé. Un cadre « génétique » qui autorise toutefois une délimitation souple : des outils diagnostiques jusqu’aux dispositifs de soins et bien-être, en passant par les technologies d’analyse du génome, mais aussi de traitement, de stockage ou d'échange de données de santé, désormais indissociables de la médecine de précision.
Il aura fallu moins d’une quinzaine d’années pour voir se concrétiser dans les pratiques la notion de médecine personnalisée, née avec le nouveau millénaire. « Une (r)évolution résultant de facteurs croisés : les découvertes scientifiques, les avancées technologiques et l’autonomisation des patients. » Nous sommes ainsi passés d’un budget de cent millions de dollars et plusieurs années de travail pour le séquençage du premier génome humain, finalisé en 2003, à des tests quasi instantanés et aujourd’hui disponibles en ligne pour moins de mille dollars. Un bond en avant intimement couplé à celui du big data et des capacités de traitement et d’analyse des données - toujours plus nombreuses - récupérées.
Encore peu conscients du potentiel de la médecine de précision, les usagers ont en revanche franchi un pas en termes de prise en charge. Devenus acteurs de leur propre santé, ils sont demandeurs d’outils, d’informations, de services pour mieux la piloter en collaboration avec des équipes de soins pluriprofessionnelles.
Les avantages concrets de la médecine personnalisée ? Ils sont nombreux. « Pour le patient, cela revient à passer du prêt-à-porter - le traitement standard, au sur-mesure déterminé selon son profil génétique et environnemental. Le gage d’une efficacité renforcée et d’effets indésirables moindres, mais également d’un dépistage précoce via le suivi régulier des situations à risque. » En résumé : la mise en place d’une stratégie globale au service du parcours de vie. Si son intérêt est évident pour les professionnels de santé, mis en capacité de mieux traiter les malades, cette médecine innovante représente également une lueur d’espoir pour les industriels, dans un contexte de recherche de relais de croissance. Le modèle traditionnel de R&D, consistant à développer seul un médicament chimique, montre ses limites : très long, très cher, très incertain. L’ère des médicaments biologiques, co-conçus en partenariats (start-ups, GAFA, acteurs publics,…) représente la voie d’avenir. L’industrie pharmaceutique en est consciente et y investit toujours plus, comme le confirme, par exemple, le récent partenariat entre Sanofi et Google.
La dynamique de développement de la médecine personnalisée est là, mais elle ne s’attaque pas encore à toutes les pathologies et se focalise, pour l’heure, presque exclusivement sur le cancer. « En 2015, 43 thérapies ciblées étaient autorisées par l’Agence Nationale de Sécurité du Médicament et des produits de santé (ANSM). Toutes dans le cancer, rappelle Elisabeth Hachmanian. De surcroît, les bénéficiaires sont encore minoritaires, 2 traitements ciblés sur 3 concernent moins de 2 000 personnes. » Les efforts de R&D augurent cependant de rapides changements, avec l’extension à de plus amples populations de patients et à d’autres pathologies. De nombreuses études sont ainsi menées sur les maladies chroniques (diabète, troubles cardiovasculaires, asthme,…) et les maladies rares.
La principale interrogation née du déploiement de la médecine de précision est celle des coûts. La personnalisation du diagnostic et des thérapeutiques est-elle compatible avec les modèles actuels de financement de la santé ? Le manque de recul ne permet pas d’avancer de chiffres concrets et les données sont trop parcellaires pour se lancer dans des projections fiables. « La majorité des experts s’accorde néanmoins pour y voir une véritable source d’économies d’échelle. Certes, les traitements mis en place sont plus onéreux, car complexes à mettre au point et à produire, mais l’approche ciblée épargne énormément de surcoûts : errements diagnostics, examens à répétition, traitements inadaptés… » Sans oublier que l’approche prédictive favorise également le dépistage précoce et la prévention, sources d’économies supplémentaires… et de diminution du risque sanitaire.
La médecine personnalisée, panacée du système de santé ? L’idée est belle, mais un peu réductrice. Freins et limites s’esquissent sitôt passées les portes de la théorie pour entrer dans la réalité de la pratique quotidienne. Premier hiatus : celui des compétences. « Les soignants ne sont pas formés à l’analyse et l’interprétation des données génétiques. Et encore moins à la délivrance des résultats obtenus au patient. Quel risque annoncer ? À quel moment ? De quelle façon ? Tout dépend de la maturité individuelle, des capacités de compréhension, mais aussi de la relation avec le médecin. » La personnalisation de l’annonce se révèle un sujet complexe, qui demande beaucoup de travail de pédagogie auprès des professionnels de santé et probablement une législation pour définir les « limites de l’information ».
L’individualisation génétique du risque appelle également à des questionnements éthiques. Au-delà du thème de l’annonce (faut-il dire à un patient qu’il pourrait, un jour, développer une maladie, au risque de le stresser toute sa vie ?), la constitution de portraits génétiques laisse entrevoir une possible médecine à plusieurs vitesses, avec certains soins uniquement proposés aux individus susceptibles de répondre aux traitements.
Autre aspect problématique : l’assurance santé. La crainte d’assister à une adaptation des tarifs des complémentaires, corrélée aux données de santé, notamment génétiques est souvent évoquée. Une menace dont protège la législation en vigueur, mais qui laisse entrevoir la complexité de garantir ad vitam le respect des grands principes d’égalité de santé.
Pour les professionnels de santé, la meilleure réponse à donner à ces déséquilibres potentiels se situe dans la multiplication des techniques et des thérapeutiques afin d’offrir au plus grand nombre une prise en charge optimisée et la moins onéreuse possible.
Si les évolutions structurelles de son système sont en cours de réflexion, la France se préoccupe pour l’heure avant tout d’asseoir son expertise. « Nous sommes un pays leader en termes de compétences scientifiques, médicales et informatiques. Malheureusement, nous manquons d’outils et de moyens de transformation pour mettre en œuvre la médecine de précision à l’échelle du territoire. Nous devons bâtir une filière puissante et cohérente, regroupant scientifiques, industrie pharmaceutique et secteur technologique », insiste Elisabeth Hachmanian.
De fait, la situation évolue. Devenue priorité stratégique gouvernementale, la médecine personnalisée est portée par le Plan médecine génomique 2025, de l’Alliance nationale pour les sciences de la vie et de la santé (Aviesan). Piloté et soutenu par l'état, ce Plan a pour ambition de positionner, d'ici dix ans, la France dans le peloton de tête des grands pays engagés dans la médecine génomique. Pour cela, il se fixe comme objectif de faire émerger une filière médicale et industrielle nationale, et d’en exporter son savoir-faire.
Première mesure phare du Plan médecine génomique 2025 : la création de 12 plateformes de séquençage génétique à très haut débit et le renforcement des collaborations public/privé pour faire passer le nombre de séquençages annuels de 40 000 à 200 000 à l’horizon 2020. Plus de 670 millions d’euro (2/3 public, 1/3 privé) ont été engagés sur 5 ans en vue de promouvoir « une médecine personnalisée, adaptée au capital humain de chacun », pour reprendre les mots de Marisol Touraine, ancienne ministre de la santé à l’origine du projet.
La preuve par l’exemple que les pouvoirs publics ont intégré les principaux enjeux de la médecine personnalisée et comptent en faire une force politique et sanitaire. Reste maintenant à gérer les questions financières, réglementaires, juridiques…et à renforcer les infrastructures qui faciliteront son développement. Probablement le plus grand défi des prochaines années, afin de donner à la France une véritable compétitivité et renforcer son attractivité à l’international.
Sources :
1 Étude du matériel génétique des êtres vivants.
2 Étude de l’ensemble des protéines (ou protéome) d’un organisme, d’un fluide biologique, d’un organe, d’une cellule ou d’un compartiment cellulaire.