Alors que la COP27 vient de se terminer à Charm el-Cheikh, en Égypte, que retenir de cette édition en demi-teinte ? Quels sujets bénéficient d’un nouvel élan, quels autres vont devoir faire l’objet d'efforts redoublés de la part de toutes les parties prenantes ?
Olivier Muller, associé Développement durable, PwC France et Maghreb, revient sur les points saillants de l’accord final et sur les principales implications pour les entreprises.
Pour rappel, la COP, ou Conférence des Parties, est l'organe décisionnel de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC). Chaque année, ses 197 États membres (les Parties) se réunissent avec pour objectif ultime de “prévenir les activités humaines dangereuses pour le système climatique”.
Les actions de la COP s’articulent autour de trois axes : l’atténuation des changements climatiques via la décarbonation, l’adaptation et, depuis cette année, la réparation, via le financement des pertes et dommages subis par les pays les plus vulnérables. Selon le glossaire du GIEC :
La COP27 s’inscrit dans un contexte où le déni environnemental n’a plus cours au vu des divers bouleversements climatiques constatés, mais où les ambitions des États ont toujours du mal à s’élever à la hauteur de l’urgence. Les entreprises, de plus en plus nombreuses à venir aux COP, sont déterminées à jouer un rôle elles aussi.
Par certains aspects, la COP27 a fait du sur-place par rapport à l'année dernière à Glasgow, au risque de voir les perspectives d'atteindre les objectifs de la COP21 s'éloigner.
En matière d’atténuation, les positions précédentes ont été réaffirmées sans relever le niveau des ambitions de décarbonation fixées par l'Accord de Paris. Conservé in extremis, l’objectif de 1,5°C s’avère de plus en plus compliqué à atteindre. La COP27 a reconnu qu’il faudrait réduire les émissions de GES de 43 % entre 2019 et 2030, dans un contexte d’émissions ascendantes. Elle a rappelé aux Parties en retard de mettre à jour leurs Contributions déterminées au niveau national (NDC), appelé à réduire l’usage de charbon (aucune mention n’est faite du gaz et du pétrole), et demandé la fin des subventions inefficaces accordées aux combustibles fossiles. Aucun plan n‘accompagne ces vœux, qui pourraient de ce fait être plus incantatoires que suivis d’actions.
Guère mieux en matière d’adaptation. La COP27 convient que les efforts actuels sont insuffisants et reconnaît le rôle du fonds d’adaptation et du fonds des pays les moins développés.
C’est sur le front des réparations qu’une avancée décisive a eu lieu. Pour la première fois, un accord acte la création d’un fonds “pertes et préjudices” pour dédommager les pays vulnérables victimes des effets adverses du climat. Cette victoire symbolique des pays en développement reste à se concrétiser (quels montants, versés comment, sur quelle durée ?). Elle n’est en outre qu’une petite partie de la solution : si les symptômes sont traités mais pas les causes du problème, le fonds risque de se transformer en tonneau des Danaïdes.
D’autres nouveautés positives sont apparues dans le texte, qui pour la première fois mentionne la biodiversité et se penche davantage sur les questions d’alimentation. Dans un contexte géopolitique tendu, nourrir la planète est plus d’actualité que jamais.
L’objectif de maintenir le réchauffement sous 1,5°C a été fortement débattu, notamment suite à l’avis de nombreux scientifiques et au dernier rapport du GIEC. Cette volonté a cependant été réaffirmée dans le champ politique, au G20 à Bali puis à la COP27.
Malheureusement, l’accord ne mentionne aucun plan pour y parvenir. La COP27 n'a pas obtenu l'engagement des principaux émetteurs mondiaux de réduire progressivement leur usage des combustibles fossiles, ni de nouveaux engagements en matière d'atténuation du changement climatique. Les efforts les plus ambitieux et les plus construits sont à chercher du côté de l'Union européenne, qui maintient le cap avec son Pacte vert pour l'Europe et son plan REPowerEU.
Au niveau mondial, l’intensité carbone des économies du G20 devra diminuer de 77% d’ici 2030 pour maintenir l’objectif de 1,5°C sur la bonne voie, estime le dernier Net zero economy index de PwC. Pour respecter les objectifs de l’Accord de Paris, le taux annuel de décarbonation nécessaire est de 15%, soit 11 fois plus vite que la moyenne mondiale atteinte depuis 2000.
Une autre étude de PwC, Facteur carbone, montre une amélioration globale sur 20 ans de l’intensité carbone des électriciens européens, qui doivent cependant accélérer en tirant parti de leur potentiel dans les énergies renouvelables (EnR). Parmi elles, l’énergie hydraulique est la plus utilisée en Europe (17,7 % du mix), devant l’éolien (6,4 %) et la biomasse (2,7 %).
Une fois de plus, les entreprises sont venues en force à la COP. Il ne sert à rien de déplorer l'écart entre les accords et l'urgence des actions à mener pour atteindre les objectifs de zéro émission nette. Plusieurs types de démarches sont d’ores et déjà possibles pour les entreprises déterminées à agir.
En matière d’atténuation, les entreprises disposent de plusieurs leviers. Celles qui sont fortement carbonées, par exemple dans l’industrie, peuvent mettre en œuvre des plans de réduction de leurs émissions de GES, puis les mettre en œuvre avec un programme de transformation (organisation, éco-conception, achats, équipements…).
Quel que soit leur secteur, les entreprises sont aussi incitées à se décarboner par leurs donneurs d’ordres. Notre étude RSE : la parole aux fournisseurs montre que les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) – dont l’empreinte carbone – sont un passage obligé dans la relation client commerciale. Cette tendance est renforcée en France par la loi sur le devoir de vigilance.
La question de la transparence est ici centrale : une entreprise doit étayer ses promesses et ses engagements par des actions mesurables si elle veut instaurer la confiance. L’écoblanchiment (greenwashing) n’est plus toléré sur les engagements zéro émissions nettes. Entre en jeu une nouvelle approche des normes comptables afin que le reporting de durabilité atteigne un niveau de qualité comparable au reporting financier.
Pour assurer la confiance, les entreprises peuvent également veiller à ce que toutes les voix soient représentées. Il est de leur ressort de donner aux jeunes, aux femmes et aux collaborateurs vulnérables les outils, les compétences et la voix au chapitre dont ils ont besoin pour contribuer à la solution.
Si nombre d’entreprises sont déjà sur une trajectoire de décarbonation, peu d’entre elles ont entamé une réflexion approfondie autour de l’adaptation. Parent pauvre de la COP27, l’adaptation est aussi un enjeu négligé par les entreprises alors que les risques climatiques sont de plus en plus élevés. “Un monde à +2°C pourrait encore être assurable, un monde à 4°C ne le serait certainement plus", expliquait en 2015 Henri de Castries, alors président d’Axa.
L’adaptation est un chantier éminemment local et sectoriel. Les entreprises doivent évaluer leur exposition aux conséquences du réchauffement climatique sur toute leur chaîne de valeur, en passant en revue leurs opérations pays par pays, site par site. Si ce travail n’est pas fait, impossible de mesurer les vulnérabilités et de prendre des mesures adéquates.
L’adaptation doit faire partie intégrante de la stratégie RSE des entreprises, comme le souligne le rapport sur l'adaptation de PwC avec le Forum économique mondial.
La collaboration radicale est un principe porté notamment par Emma Cox, Global Climate Leader, associée PwC UK. Pour passer des paroles aux actes et atteindre les objectifs d’atténuation et d’adaptation, toutes les parties prenantes doivent travailler ensemble. En particulier, c’est à l’intersection entre l’économie / les entreprises et le politique / le réglementaire que des accélérations seront possibles.
Prenons l’exemple des indicateurs ESG, où les avancées sont en grande partie dues à l’aiguillon réglementaire. En Europe, les outils que sont le règlement taxonomie et la directive CSRD exigent la transparence des informations extra-financières afin de permettre aux investisseurs de prendre des décisions favorables aux enjeux ESG. PwC travaille sur ces questions d’une part avec les régulateurs, d’autre avec ses clients, dont un certain nombre jouent le jeu du reporting de durabilité en avance de phase.
Autre exemple, PwC s’est engagé au niveau mondial dans une alliance qui souhaite avancer avec les gouvernements sur les objectifs climatiques : “Alliance members know that limiting global warming to 1.5 degrees Celsius requires significant collaboration and shared responsibility between the private and public sectors. The corporate leaders are ready to work side by side with governments to accelerate the transition to net zero.”
À la suite des accords ni très ambitieux, ni très engageants de la COP27, les attentes vont naturellement se reporter sur la COP28. Il faudra également suivre de près les décisions du G20 pour estimer les chances que la question de l’atténuation des changements climatiques soit abordée de manière plus volontaire. Dans tous les cas, la COP28 sera l’occasion de découvrir le premier bilan post-COP21, ce qui pourrait donner un nouvel élan au dispositif.
Je voudrais terminer sur une note d'espoir. Cette année, la COP a rassemblé plus de 45 000 participants. Les COP sont des lieux d’échanges vitaux, avec de nombreuses interactions entre des parties prenantes publiques, privées et associatives. Ces rencontres sont aussi une manière de déboucher sur des collaborations fécondes et de faire aboutir des projets qui aideront le monde à atteindre la neutralité carbone.