Réinventer son business model : transformer l’urgence en opportunité

Personnes devant un batiment
  • 09 oct. 2025

À l’aune des bouleversements actuels, de nombreuses entreprises reconnaissent que leur modèle économique actuel ne tiendra pas dix ans. Pourtant, rares sont celles qui engagent une transformation de fond. Selon la dernière PwC Global CEO Survey, 68 % des dirigeants français et 42 % au niveau mondial, estiment que leur business model est voué à l’obsolescence… mais seuls 7 % des revenus récents proviennent de nouvelles activités. Mais comment passer de l’intention au véritable changement ?

À VivaTech, trois acteurs, Carrefour, Le Slip Français et Mentalista, ont partagé leurs conseils et retours d’expérience pour passer de l’intention à l’impact. Trois réponses, trois modèles : structurer l’innovation pour l’industrialiser, changer de positionnement pour survivre, ou inventer un marché à partir d’un actif émergent.

Structurer l’innovation pour repenser la proposition de valeur

Innover à grande échelle, pour Carrefour, c’est avant tout savoir où placer le cap : une stratégie structurée, un fonds dédié et une veille active. Dans ce but, le groupe a choisi de se doter de Dastore, son fonds de corporate venture, créé avec le fonds aphni, pour prendre part à l’écosystème tech de manière proactive. Cet outil d’investissement s’inscrit pleinement dans sa stratégie de digital retail et explore plusieurs voies incontournables : futur du e-commerce, fintech, supply chain, ou encore.

Hélène Labaume, Head of Innovation & Venture Capital chez Carrefour, insiste sur cette démarche globale engagée par le groupe : « Nous regardons tout ce qui se passe dans les écosystèmes d’innovation, en France mais aussi aux États-Unis, en Chine, partout. C’est une ouverture permanente pour rester au contact des signaux faibles. »

L’innovation est pensée comme un levier d’amélioration des opérations, mais aussi comme un vecteur d’expériences différenciantes pour les clients. Carrefour a ainsi été le premier en Europe à expérimenter un magasin autonome, entre autres innovations. Le groupe multiplie également les incursions dans les mondes émergents, en anticipant les futurs usages clients. Sa démarche s’appuie sur une conviction : chaque innovation doit enrichir la proposition de valeur, tout en restant scalable dans un modèle de distribution à grande échelle.

Faire émerger l’impact à partir de l’expérimentation

Si l’ambition est globale, l’impact naît souvent de solutions simples et bien ciblées. Carrefour a ainsi co-développé avec ses équipes un outil d’assistance aux directeurs de magasin pour répondre aux verbatims clients. Ce qui a mené à un déploiement national en quelques mois, preuve qu’une innovation bien pensée et orientée peut produire un effet de levier rapide sur le terrain.

Cette agilité s’appuie aussi sur une organisation apprenante, où chaque projet est évalué sur son ROI immédiat et, en parallèle, sur sa capacité à évoluer avec la maturité technologique. Hélène Labaume résume cette logique par une posture d’exploration assumée : « On ne peut pas tout scaler immédiatement. Mais on reste attentifs, car une innovation de niche aujourd’hui peut devenir la norme demain. »

« Nous avons l’un des plus grands data lakes d’Europe, avec plus de milliards de transactions. L’IA est au cœur de notre stratégie, avec un pilotage régulier au niveau du comité exécutif »

Hélène LabaumeHead of Innovation & Venture Capital, Carrefour

Repenser son modèle : du positionnement de niche à la grande distribution

L’exemple du Slip Français montre de son côté combien la réinvention peut être à la fois brutale et salvatrice. Créée en 2011, la marque a connu un succès fulgurant en misant sur une fabrication 100 % française, avec un produit premium vendu 40 euros la pièce. Mais au fil des années, le modèle s’est heurté à un plafond : baisse du chiffre d’affaires, saturation du marché, et montée d’une lassitude autour du discours « durable mais cher ».

Guillaume Gibault, fondateur de la marque, a fait face à un choix stratégique : s’obstiner ou pivoter. Il a choisi la seconde option. « Je ne voulais pas vendre un produit de luxe. Je voulais prouver qu’on pouvait produire localement, avec du bon sens. Si je voulais diviser le prix par deux, il fallait aussi changer notre mode de production et de distribution. »

Le modèle a donc été entièrement repensé : ouverture d’une usine à Aubervilliers, fermeture des boutiques physiques, recentrage sur l’e-commerce, qui représente 70 % des ventes, et partenariat stratégique avec Carrefour pour un déploiement national. La marque est ainsi passée d’un modèle centré sur le cadeau à un produit du quotidien, avec un prix divisé par deux.

« C’était très dur. Quand on est une petite entreprise, personne ne vous fait confiance quand vous changez tout. Même votre équipe doute. Il faut énormément de courage pour avancer sans visibilité, mais en restant fidèle à la mission de départ »

Guillaume Gibault,Fondateur, Le Slip Français

Créer les conditions d’une personnalisation radicale

Mentalista illustre une autre forme de transformation : celle qui consiste à inventer un business model à partir d’une technologie émergente. La deeptech fondée par Bastien Didier développe un écosystème de capteurs et de logiciels permettant d’intégrer la lecture de l’activité cérébrale dans des objets connectés, des casques audio, lunettes, casques VR jusqu’aux équipements de pilotes.

Ce positionnement B2B repose sur la fourniture de capteurs propriétaires, intégrables dans des dispositifs existants, couplés à une plateforme d’analyse de signaux cérébraux (attention, stress, engagement, émotion). La valeur ne réside pas dans le capteur lui-même, mais dans la donnée générée et les insights qu’elle permet d’extraire.

Mentalista développe ainsi des applications dédiées avec des partenaires dans des secteurs aussi variés que le luxe et la défense : « Ce que l’on peut créer, c’est une nouvelle catégorie de produits hyper-personnalisés… des films, des publicités qui s’adaptent à votre niveau de réaction » explique Bastien Didier.

Le business model évolue avec ces usages : vente de matériel, licensing logiciel, intégration technologique, co-développement d’expériences interactives. Mentalista ne vend pas un produit figé, mais une capacité d’adaptation neuro-personnalisée, soit un langage technologique à traduire selon chaque secteur.

Transformer sans perdre sa boussole

Qu’il s’agisse d’intelligence artificielle, de data ou de neurosciences, tous les intervenants convergent sur un point : la technologie ne crée de valeur que lorsqu’elle est mise au service d’une intention précise :

  • Le Slip Français utilise l’IA générative pour générer des visuels et répondre aux clients.
  • Carrefour s’en sert pour enrichir l’expérience client et soutenir la performance opérationnelle
  • Mentalista, de son côté, y voit un moyen puissant améliorer les capacités humaines dans des environnements et secteurs sensibles.

Mais dans chaque cas, le choix des outils est piloté par la mission de l’entreprise, et non par la fascination technologique. Comme le souligne Guillaume Gibault, « Il ne faut pas aller dans la tech juste parce que c’est à la mode. Il faut faire ce qui a du sens pour votre produit, vos clients, votre réalité. »

Conclusion

Réinventer son modèle économique est, dans ces exemples, une dynamique continue, fondée sur l’humilité, le courage et la décision. Pour une PME comme un grand groupe, c’est en outre savoir reconnaître quand un modèle atteint ses limites et créer les conditions pour que le suivant soit plus robuste. Et cela, à travers l’innovation, le changement de paradigme ou par la création d’un modèle 100 % inédit. 

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Pauline Adam-Kalfon

Pauline Adam-Kalfon

Associée responsable de l'innovation et de l'impact, PwC France et Maghreb

Jean-François Marti

Jean-François Marti

Associé, Transformation par l'humain, PwC France et Maghreb

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