L’éclairage éco de Stéphanie Villers, conseillère économique de PwC France et Maghreb
La récente annonce de Donald Trump d’imposer des droits de douane à hauteur de 10 % sur l’ensemble des exportations européennes pendant 90 jours, suscite de légitimes inquiétudes. Toutefois, cette mesure mérite d’être analysée avec recul, à la lumière de la structure même du commerce européen.
En effet, l’un des fondements de la construction de l’Union européenne (UE) était d’instaurer une vaste zone de libre-échange entre ses membres. Cet objectif s’est concrétisé : aujourd’hui, près de 62% des échanges commerciaux des pays membres se font au sein même de l’UE. Autrement dit, la majorité du commerce européen est intra-européen.
Certes, les États-Unis constituent le premier partenaire commercial de l’UE en matière d’exportations extracommunautaires. Cependant, les exportations européennes à destination du marché américain ne représentent « que » 8 % du total des exportations de l’Union. Ce chiffre, relativement modeste, relativise d’emblée l’ampleur potentielle du choc économique que pourrait représenter une hausse brutale des droits de douane.
Prenons l’exemple de deux grandes économies européennes : l’Allemagne exporte pour environ 160 milliards d’euros vers les États-Unis, contre 880 milliards au sein de l’UE, soit 5,5 fois plus. La France, de son côté, exporte 47 milliards d’euros vers les États-Unis, contre 335 milliards vers ses voisins européens – soit 7 fois plus. Ces écarts confirment le poids prépondérant des échanges intracommunautaires dans la dynamique commerciale européenne.
Par ailleurs, certains pays européens vont être plus impactés que d’autres par la politique tarifaire de Trump. Il s’agit en particulier de l’Allemagne, de l’Italie et de l’Irlande. La France se situe en quatrième position.
Cela étant dit, certains secteurs français risquent d’être directement et fortement impactés par cette mesure protectionniste américaine, notamment ceux qui ont su conquérir des parts de marché significatives outre-Atlantique.
Selon les données du commerce extérieur français, les secteurs les plus exposés aux droits de douane américains à 20 % sont les suivants :
Dès lors, si l’impact global sur le commerce extérieur de l’UE devrait rester contenu, il n’en demeure pas moins qu’un certain nombre d’acteurs économiques français seront directement pénalisés. Des filières emblématiques telles que l’aéronautique, les vins et spiritueux, les cosmétiques ou encore le luxe pourraient être particulièrement impactées par ces nouvelles barrières commerciales. Face à ce risque, il convient d’envisager des mesures de soutien ciblées, accompagnées d’une stratégie proactive de diversification des débouchés, en explorant de nouveaux marchés de substitution, notamment en Asie, en Afrique ou en Amérique latine.
Mais au-delà de ces ajustements conjoncturels, cette crise commerciale illustre un phénomène plus structurel : la remise en question du libre-échange tel qu’il a dominé les relations économiques internationales depuis la fin du XXe siècle. La mondialisation « heureuse » semble vaciller, fragilisée par les tensions géopolitiques, les logiques protectionnistes et les replis stratégiques. Si les États-Unis, longtemps chantres de l’ouverture commerciale, se permettent aujourd’hui de faire volte-face, il appartient désormais à l’Union européenne de faire bloc pour défendre ses intérêts, renforcer son autonomie stratégique et limiter sa dépendance à un partenaire devenu instable et imprévisible.
Dans cette optique, l’UE doit non seulement intensifier ses relations commerciales avec des partenaires partageant sa vision d’un commerce libre, équitable et multilatéral, mais aussi renforcer davantage les échanges au sein même de son marché intérieur. Avec ses 450 millions de consommateurs, l’Union constitue déjà la première zone de libre-échange au monde. Il semble ainsi crucial de capitaliser sur cette force, en stimulant les synergies économiques, en soutenant les chaînes de valeur européennes, et en poursuivant l’intégration économique. Miser sur la profondeur et la résilience du marché unique pourrait ainsi permettre à l’Europe de mieux absorber les chocs extérieurs, tout en affirmant son modèle économique fondé sur l’ouverture, la coopération et la durabilité.