Les COP sont des moments clés dans la lutte contre les changements climatiques. Les enjeux sont complexes tant au plan des financements que des solutions techniques. La question de l'adaptation de notre économie et de nos modes de vie est aussi une étape obligée. La COP28 a montré une mobilisation des moyens croissante, mais qui reste de loin très insuffisante au regard des enjeux.
Olivier Muller - Rappelons que, selon l’Organisation météo mondiale, nous avons déjà atteint un réchauffement de +1,4°C en 2023 par rapport à la moyenne préindustrielle (1850-1900). Basé sur les politiques actuelles des États, le scénario mis à jour en décembre 2023 du Climate action tracker indique un réchauffement de +2,7°C à la fin du siècle. Le rapport publié à la même date par le Programme des Nations Unies pour l'Environnement (PNUE) indique lui aussi que nous nous acheminons vers un réchauffement mondial de +2,5 à +2,9°C d’ici à la fin du siècle.
Pourquoi ? Parce que l’effet de serre se renforce, les émissions de CO2 , de l’ordre de 36,8 Gt CO2eq en 2023, sont toujours en augmentation (+1,1 % par rapport à 2022 et +1,4 % par rapport à 2019). On atteint même 40,9 Gt CO2 d’émissions avec la déforestation. S’y ajoutent les feux de forêt, responsables de 7 à 8 Gt CO2 en 2023, soit 19 % à 33 % de plus que la moyenne des autres années.
Sont en hausse les émissions dues au charbon (+1,1 %), au pétrole (+1,5 %) et au gaz (+0,5 %). À ce rythme, le budget carbone du XXIe siècle pour respecter une trajectoire à +1,5° C pourrait être dépensé dans sept ans ! Or, cette COP s’est déroulée à un moment où les effets du réchauffement climatique se font déjà sentir. Il était plus crucial que jamais que des décisions soient prises.
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Olivier Muller - Dans son introduction, ce rapport publié par les Nations Unies reconnaît que des progrès ont été faits en matière d’atténuation et d’adaptation depuis la COP21 en 2015, mais qu’ils sont très insuffisants. Les contributions déterminées au niveau national (NDC), c’est-à-dire les efforts déployés par chaque pays pour réduire ses émissions nationales et s'adapter aux effets du changement climatique, sont à revoir à la hausse. Cela fera d’ailleurs l’objet de la COP30 au Brésil, dans deux ans.
En effet, les trajectoires mondiales de décarbonation ne sont pas en phase avec l’Accord de Paris. Avec des émissions de 55 Gt CO2eq/an, c’est 20-24 Gt de trop à l’horizon 2030. Les possibilités de relever l’ambition et de revenir sur une trajectoire à +1,5°C s’amenuisent rapidement.
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Olivier Muller - Pour rester sur une trajectoire à +1,5°C, les émissions de gaz à effet de serre (GES) doivent baisser de 42 % d’ici à 2030 et de 60 % d’ici à 2035 par rapport à 2019, ceci afin d’atteindre zéro émission nette de CO2 au niveau mondial d’ici à 2050.
Les rapports du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) indiquent clairement qu’il faut réduire drastiquement la production et la consommation de charbon (-95 %), de pétrole (-60 %) et de gaz (-45 %) entre 2019 et 2050. Les pays les plus menacés par la montée des eaux, tels que les nations insulaires, réclament un "traité de non-prolifération" des combustibles fossiles.
Ce n’est pas ce qu’entendent les pays membres de l’OPEC, nombreux à prévoir d’augmenter leur production. Les compagnies pétrolières elles aussi préfèrent évoquer une réduction de leurs émissions plutôt qu’une diminution de leur production.
Olivier Muller - L’accord final de la COP28 est un compromis. Pour la première fois dans l’histoire des COP, le texte mentionne toutes les énergies fossiles pour tenter d’en devenir moins dépendants (on ne parlait jusqu’à présent que du charbon). Mais l’accord parle d’”éloignement” plutôt que de "sortie" des énergies fossiles, ce qui était notamment la position de l’Europe, et ne précise pas de calendrier.
Tout en reconnaissant que la décarbonation progressera à des rythmes différents selon les pays, le texte affirme que l’action doit accélérer “pendant cette décennie critique, de manière à atteindre la carboneutralité en 2050”, et cela “en accord avec la science”. En réponse aux attentes des pays du Sud, l’accord insiste également sur la nécessité que cette transition soit "juste, organisée et équitable".
En anglais, l’accord final de la COP28 comporte plusieurs termes plus ou moins intraduisibles, mais qui éclairent les débats qui ont caractérisé cette session :
Phase out - sortie sèche des énergies fossiles, souhaitée par une centaine de pays
Phase down ou transitioning away - éloignement progressif des énergies fossiles, option retenue par la COP28
Unabated fossil fuels - combustibles fossiles sans réduction substantielle des émissions de GES lors de leur production et consommation (la notion d’unabated reste à préciser)
Olivier Muller - Quel que soit l’accord, il faudra trouver un moyen de décorréler la croissance économique de l’utilisation des énergies fossiles, en activant de manière concomitante plusieurs leviers d’atténuation. Parmi les principaux :
Développement des énergies renouvelables (leur triplement a été l’un des sujets les plus consensuels de la COP28, mais ne doit pas se faire au détriment de la biodiversité)
Électrification, notamment grâce à l’accélération du nucléaire dans le monde (à date, peu de pays ont suivi cette initiative française) et de l’hydrogène bas carbone
Stockage de l’énergie
Élimination progressive de tous les combustibles fossiles sans dispositif d’atténuation (unabated)
Efficacité énergétique (c’est-à-dire l'énergie consommée dans un pays rapportée à son PIB ; la COP28 a acté son doublement)
Fin du déboisement
Réduction des émissions autres que CO2 (méthane notamment)
Mesures axées à la fois sur l’offre et sur la demande
Développement de systèmes de captage et stockage du dioxyde de carbone (CCS, une technologie encore peu mature)
Tout cela doit permettre de relever le niveau d’ambition des objectifs des NDC. La bonne nouvelle est qu’il existe aujourd’hui suffisamment de moyens d'atteindre un bon rapport coût/efficacité énergétique pour combler l’écart d’émissions d’ici à 2030.
Les arguments des scientifiques :
Contre - Une technologie encore très coûteuse et peu efficace, qui ne concerne que les émissions très concentrées (par exemple, dans de grands sites industriels comme les cimenteries) et proches de lieux de stockage géologique adaptés. La CCS n’a pas fait ses preuves à grande échelle et ne devrait pas arriver à maturité avant longtemps. Soupçonnée de servir à justifier une poursuite massive de la production des énergies fossiles, elle pourrait en outre détourner l’attention (et les financements) d’autres méthodes éprouvées d’atténuation, faisant perdre un temps précieux. Selon Climate analytics, se reposer sur des technologies de CCS sous-performantes pourrait entraîner un excédent d’émissions de 86 Gt CO2eq d’ici 2050.
Pour - Une technologie acceptable à terme si elle garantit un taux de captage supérieur à 95 %, assure un stockage permanent, exclut les compensations de carbone et couvre l'ensemble du cycle de vie des combustibles fossiles. Valoriser le CO2 capté à l’échelle industrielle pourrait permettre d’éviter les inconvénients de son stockage. Le GIEC n’accorde cependant au CCS qu'un rôle très minime parmi les stratégies d’atténuation.
Olivier Muller - Comme souvent, l’argent est le nerf de la guerre. Si elle reste déterminante pour la tenue des engagements, la question du financement se pose cependant une fois les objectifs de réduction des émissions de GES établies par les parties - une chronologie inversée par rapport à une loi de finance, par exemple, où le financement conditionne les objectifs.
Dans son rapport de juin 2023, l’IEA évalue à 2 200-2 800 milliards de dollars le besoin annuel en financement pour mettre en place des systèmes énergétiques dans les pays émergents permettant de rester sur les trajectoires de l’accord de Paris. Le First Global Stocktake dit tout aussi clairement que “des milliers de milliards de dollars doivent être débloqués et les investissements doivent être réorientés vers l’action climatique. [...] Les technologies plus propres disponibles doivent être déployées rapidement afin de répondre aux besoins des pays en développement”.
Il va falloir passer de milliards à des milliers de milliards de dollars pour permettre aux pays émergents de rester sur les trajectoires de l’accord de Paris. C’est l'ambition à atteindre.
La finance a été présentée comme un "facteur essentiel de l'action climatique" et le texte final de la COP28 reconnaît "avec inquiétude" que les moyens "restent insuffisants pour répondre à l'aggravation des impacts du changement climatique dans les pays en développement".
Fonds pertes et préjudices (Réparation) |
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Fonds vert pour le climat (Adaptation et atténuation) |
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Fonds d’adaptation (Adaptation) |
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Fonds spécial pour le climat (Adaptation et atténuation) |
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Fonds des pays les moins avancés (Adaptation) |
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Stéphanie Villers - À la nécessité d'investir massivement pour réussir à atteindre la trajectoire mondiale de réduction des émissions de GES, la question du financement reste centrale. La mobilisation des moyens est croissante, mais peine à répondre aux besoins colossaux de la transition écologique. En particulier, les promesses de dons n’ont pas encore atteint une taille critique - la question reste donc sur la table.
Pour autant, une piste pour soutenir les pays les moins riches à lutter contre le réchauffement climatique a été longuement évoquée lors de la COP28 et constitue une réelle opportunité à exploiter. Ce sont les debt for nature swaps. Ce support financier, qui existe depuis plus de 20 ans sans avoir trouvé son envol, offre aujourd’hui de nouvelles perspectives dans le financement des enjeux environnementaux. Les avantages de ce produit financier se trouvent à la fois pour l’emprunteur et pour l’investisseur.
En effet, un État qui émet cette dette va pouvoir bénéficier de taux d’intérêt plus avantageux s’il s’engage en contrepartie dans le financement des enjeux environnementaux. En pratique, les debt for nature swaps disposent de garanties accordées par les institutions financières internationales (Banque mondiale, Banque européenne d’investissement, Agence française de développement, etc.). Ces garanties permettent de facto de refinancer les dettes passées des États émetteurs à des taux plus faibles. Ainsi, la charge des intérêts de leur dette diminue, libérant des liquidités pour investir dans l’environnement. En d’autres termes, ces produits financiers offrent de nouvelles marges de manœuvre pour les pays ne disposant pas de ressources internes nécessaires au financement de la transition écologique.
Les debt for nature swaps offrent de nouvelles opportunités de placement pour les investisseurs compte tenu des garanties accordées. Ces derniers peuvent, en outre, les intégrer dans leurs fonds ESG. Un double avantage qui laisse entrapercevoir le potentiel de développement de ces produits financiers dans les années à venir.
Olivier Muller - De plus en plus investies aux COP, les entreprises étaient une fois de plus présentes dans les quatre espaces de la “zone verte” qui leur était réservée : innovations technologiques, transition énergétique, compétences et finance. Si les entreprises s'étaient rendues à la COP26 de Glasgow pour montrer leur engagement, les centaines d’exposants venus du monde entier à Dubaï avaient davantage pour objectif de montrer leurs solutions.
Au-delà des initiatives des entreprises, on peut aussi souligner les approches sectorielles. Par exemple, de grands transporteurs maritimes (l'italo-suisse MSC, le danois Maersk, le français CMA-CGM, l'allemand Hapag-Lloyd et le coréen HMM) ont annoncé une ambition de décarbonation du secteur des transports maritimes au-delà des objectifs fixés par l’Organisation maritime internationale (OMI).
En Europe, la réglementation influe fortement sur le comportement des entreprises. Mis en œuvre progressivement à partir de 2026, le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF) impose aux industriels européens de réduire drastiquement leurs émissions de GES. Le Parlement européen a également approuvé la fin des moteurs thermiques en 2035.
Fait rare, un certain nombre d’entreprises présentes à la COP28 ont appelé de leurs vœux plus de réglementation. Ces propos traduisent en fait leur besoin de plus de visibilité afin de pouvoir planifier leur transformation durable.
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Olivier Muller - Nous avons besoin de toute urgence d'une action significative pour faire face aux crises du climat et de la nature, ce que seule une collaboration approfondie entre tous les acteurs, publics et privés, tous les secteurs et toutes les zones géographiques peut permettre de réaliser.
Différentes approches ont été tentées pour cela. En 1997, une approche top down à Kyoto pour répartir l’effort de décarbonation. Cette méthode a le mérite d’être claire mais a souffert de la difficulté à trouver une règle consensuelle, contribuant à la sortie des États-Unis de l’accord. En 2015, une approche plus bottom up à Paris, où chaque pays propose ce qu’il estime être capable d’apporter. Cette méthode ne cherche pas à imposer mais à opérationnaliser les engagements.
La COP28 est dans cette continuité. Le First Global Stocktake a servi à faire le bilan et l’accord final à cranter de nouveaux engagements des pays, à qui il est demandé d’en faire un peu plus. On voit déjà des succès sur certains sujets. Par exemple, 134 pays se sont engagés à prendre en compte les émissions de GES du secteur agro-alimentaire et ont approuvé la Déclaration de la présidence de la COP sur l’agriculture, les systèmes alimentaires résilients et l’action climatique. Pour la première fois, l’alimentation et l’agriculture pourront être incluses dans les NDC.
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Stéphanie Villers - La COP29, qui devrait se tenir en Azerbaïdjan, un autre pays pétrolier, aura comme sujet les financements et l’adaptation, qui a été le grand absent de la COP28. Les COP suivantes devraient être organisées par le Brésil et l’Australie, autres pays producteurs d’énergies fossiles. La COP30 sera l’occasion de rehausser les ambitions des pays à travers la publication de nouvelles NDC. Sont particulièrement attendues l’Inde et la Chine, dont les NDC actuelles ne cadrent plus avec les nouveaux principes énoncés dans l’accord final de la COP28.
L’adaptation a été la grande oubliée de la COP28. Tous les pays n’ont pas encore de plan national d’adaptation climatique (PNA), bien que cet outil soit vu comme une première étape pour déterminer les fonds nécessaires. Par ailleurs, les pays les plus touchés par les effets du réchauffement climatique ont de grandes attentes quant au Global Goal on Adaptation. Il est urgent de redoubler d’efforts pour prévenir, réduire et réparer les dommages liés au réchauffement climatique
Merci à Lucile Berenfeld, Associate, PwC France et Maghreb, pour sa contribution à ce texte.