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Longtemps restée cantonnée à la recherche universitaire ou militaire, cette imminente révolution technologique est en mesure de bouleverser l’économie, et d’avoir des impacts sociaux et culturels majeurs. Avec à la clé, de belles opportunités commerciales, même pour les entreprises qui n’ont pas encore tissé de liens apparents avec l’industrie automobile ou le secteur du transport routier. Services connectés et conduite autonome représenteront chacun, au début de la prochaine décennie, un marché de plusieurs dizaines de milliards de dollars. Plus exactement, les experts de Strategy& analysent, qu’à horizon 2022, ce marché sera estimé à près de 130 milliards. Charles de La Tour d’Auvergne, Senior Consultant chez PwC, nous explique à ce propos, que l’un des enjeux majeurs des acteurs de l’automobile sera, et notamment pour les constructeurs, de conserver une relation privilégiée avec le conducteur/passager et de ne pas laisser aux acteurs du numérique (tels que les fournisseurs de plateformes Alexa, Watson) le rôle de collecteur des données d’usage et de prescripteur.
Le symbole d’un futur lointain, voilà comment le cinéma a toujours montré la voiture sans chauffeur. La fiction se fait déjà rattraper par la réalité : des voitures totalement autonomes seront commercialisées dans moins de 10 ans.
« Nous verrons plus de changements au cours des cinq prochaines années que dans les 50 dernières années », promettait en 2015 Dan Ammann, président de General Motors. Les faits lui donnent raison, et l’impact de l’automatisation de la conduite ira bien au-delà des seuls thèmes évoqués d’ordinaire - confort, efficience, sécurité…
Les prototypes universitaires et les Google Cars qui sillonnent les rues américaines depuis des années sont des véhicules bardés de capteurs encombrants. Mais la voiture autonome de série intégrera avec brio et discrétion les capteurs nécessaires, car de nouveaux acteurs ont su développer des équipements légers et discrets : c’est par exemple le cas du lidar ScaLa conçu par l’Allemand Ibeo en collaboration avec le Français Valeo ou du lidar Velarray de l’américain Velodyne, qui sera disponible en 2018. Dédiés aux voitures autonomes, ils sont petits, légers et peu coûteux (quelques centaines d’euros). Il faut y ajouter une considérable puissance informatique, nécessaire pour fusionner et interpréter les données collectées par les radars, lidars, caméras et capteurs ultrasons.
Mais ensuite ? Pour François Jaumain, associé responsable du secteur automobile chez PwC France, « certaines technologies de conduite autonome sont déjà en circulation, dans des localités très en avance et propices aux expérimentations comme Pittsburgh ou Singapour. Mais les voitures qui y circulent ne sont pas encore infaillibles à ce stade. »
« Pour aller plus loin, il faudra disposer de davantage de systèmes de communication entre les véhicules, mais aussi entre les véhicules et leur écosystème. »
« C’est peut-être d'ailleurs ce qui prendra le plus de temps, car il faudra adapter les infrastructures ». Ce qui n’empêche pas, déjà, certaines démonstrations de force. Pour passer d’un système de conduite autonome de niveau 2 au nouvel « Autopilot » qui devrait atteindre le niveau 4 courant 2018, Tesla a multiplié les capteurs (un radar, 8 caméras et 12 capteurs à ultrasons) et précise que « pour donner un sens à toutes ces données, un nouvel ordinateur de bord avec plus de 40 fois la puissance informatique de la génération précédente gère le nouveau réseau neuronal développé par Tesla pour les logiciels de traitement de la vision, du sonar et du radar ». Mais si le constructeur a ajouté sa patte à la partie software, Tesla n’a pas conçu et assemblé ce système informatique de nouvelle génération. C’est Nvidia, fournisseur majoritaire sur le marché des processeurs et cartes graphiques, et qui est en train de devenir un acteur incontournable dans le secteur de la conduite autonome, grâce une stratégie d’entreprise qui s’est rapidement adaptée aux besoins des industriels de l’automobile.
De nombreux autres acteurs issus de l’économie numérique tirent profit de ce secteur industriel plein de promesses : Uber s’est associé à Volvo, Google (via sa filiale Waymo) à Fiat Chrysler et Lyft à General Motors… Le premier fabricant mondial de semi-conducteurs Intel a racheté l’entreprise israélienne Mobileye, spécialisée dans les capteurs et logiciels pour voitures autonomes. Une transaction à plus de 14 milliards de dollars. Here, spécialiste de la cartographie, a été revendu par Nokia en décembre 2015 à un consortium de groupes automobiles (Volkswagen, BMW, et Daimler) pour 2,5 milliards d’euros. Il se spécialise aujourd’hui dans la fourniture de cartographie 3D en haute résolution, brique incontournable de la conduite autonome de niveau 4 et au-delà. Ce bouleversement industriel peut se transformer en occasion à saisir : « la transformation du secteur a déjà commencé, mais de nouveaux acteurs pourront se développer à mesure que le marché s’étend. Notamment les sociétés spécialisées dans les réseaux, alors que la 5G pointe à l’horizon, ou les infrastructures communicantes, tels que les services d’information en temps réel ou encore les péages urbains », annonce François Jaumain.
Tesla a fait un pari audacieux : proposer rapidement une conduite autonome quasi totale, de niveau 4. Dès 2018. L’Audi A8 disponible à la fin de cette année affichera une conduite autonome de niveau 3. De son côté, PSA fait le choix d’une automatisation progressive, et va d’abord proposer des systèmes de niveau 2, en 2018 : « le premier objectif est d’améliorer la sécurité. 95 % des accidents de la route sont causés par une erreur humaine », confie Vincent Abadie, Expert Leader pour la conduite autonome chez PSA.
Faut-il ainsi progresser par étapes ou envisager une rupture technologique brutale ? Qui de PSA ou de Tesla suit le bon chemin ? « Ces entreprises ne sont pas directement comparables, et ne s’adressent pas à la même catégorie de clients. La différence de timing entre ces constructeurs est logique : d’un côté des constructeurs premium ultra-innovants, de l’autre côté des constructeurs généralistes qui vont aussi généraliser ce type d’équipement mais selon un calendrier qui sera différent. Dans tous les cas, les études montrent que les clients s’habituent extrêmement vite à la conduite autonome, malgré l’appréhension initiale », explique François Jaumain. Mais qui dit délégation de conduite dit nécessité de pouvoir confier à nouveau la maîtrise du véhicule au conducteur. Pour Vincent Abadie, « le monitoring du conducteur sera une fonction très importante : la voiture doit pouvoir détecter s’il s’endort, s’il sort du champ de vision, etc. ». Caméras pour le suivi oculaire, capteurs dans le volant, mesure du rythme cardiaque : autant d’applications matérielles et logicielles à développer, et autant d’opportunités pour les entreprises concernées.
Dans 10 à 15 ans, la voiture aura appris à se passer totalement de conducteur, en atteignant le plus haut niveau de délégation de conduite. Mais la réglementation interdit aujourd’hui de telles possibilités ! Pour François Jaumain, « l’aspect réglementaire est à la fois un frein et un accélérateur. C’est la même chose si l’on se penche sur le sujet du véhicule électrique. La partie réglementaire est fondamentale. Selon que l’on ai ou non des initiatives volontaristes au niveau des villes et des régions, qui pourraient décider de quartiers, de rues ou de voies qui seraient dédiés à ce type de véhicules, cela pourrait accélérer ou non l’uniformisation et le calendrier de déploiement de ce type de véhicules ».
Quand la voiture se passera de conducteur, ce sera une bonne nouvelle pour les entreprises dont les salariés se déplacent en voiture, car la première cause d’accident mortel de travail est l’accident de la route. L’automatisation de la conduite devrait ainsi atténuer drastiquement le risque routier. La disparition du volant et des pédales pourrait aussi, à terme, provoquer d’autres évolutions dans la société et le monde de l’entreprise
« Les révolutions technologiques créent toujours des inquiétudes, mais aussi des opportunités. Que le véhicule soit ou non autonome, nous voyons l’émergence de nouveaux services, qui permettront de créer des emplois, notamment dans la filière liée à ces technologies, et au développement de nouveaux secteurs industriels. »
L’automatisation améliorera la sécurité, mais aussi le confort et la productivité de celles et ceux qui utilisent leur voiture pour se rendre au travail : d’abord parce qu’ils passeront moins de temps sur la route, grâce à un trafic fluidifié et mieux géré du fait de la connectivité entre les véhicules, et avec l’infrastructure routière. Ensuite parce que l’automatisation totale de la conduite libérera du temps pour travailler, se reposer, communiquer… ou se connecter à internet, et donc consommer de la publicité. Google, après avoir racheté l’application de navigation communautaire Waze, a rapidement implanté des publicités ciblées et géolocalisées qui s’affichent à l’arrêt du véhicule. François Jaumain rappelle que c’est un bel avenir qui se dessine « pour les acteurs qui seront présents pour apporter aux passagers du véhicule davantage de services de contenu, et amener une nouvelle expérience client qui petit à petit fera de la voiture le cinquième écran, après la télévision, l’ordinateur, le téléphone et la tablette ».
La raréfaction des accidents consécutive à l’automatisation de la conduite pourrait chambouler à terme le marché de l’assurance automobile. Mais l’émergence de la voiture autonome amènera des dilemmes moraux : en prenant la place de l’être humain, l’informatique embarquée pourrait être amenée à faire des choix délicats en cas de collision inévitable : devra-t-elle percuter l’enfant qui traverse la route, ou projeter la voiture sur le poteau située de l’autre côté de la route, au risque de blesser ses occupants ? « Ce sera au législateur de trancher. Les choix éthiques vont devoir être prédéfinis. Il faudra déterminer les priorités en fonction d’obstacles ou d’accidents éventuels. Ces choix seront définis par les algorithmes, mais ils vont être vraisemblablement fixés par des réglementations. Nous sommes sur un enjeu de réglementation qui est très fort, et qui va au-delà des frontières. Sans ça, il ne peut y avoir de véhicule autonome », rappelle François Jaumain.
L’émergence des véhicules autonomes, composés de logiciels et guidés grâce à l’analyse et l’échange de données, est directement confrontée aux problématiques de cyber-risque, qu’ils soient causés par une défaillance des systèmes ou du fait de malveillance de la part de hackers. Charles de La Tour d’Auvergne nous explique qu’“au-delà du risque d’image, les cyber-risques font porter un risque de pointe c’est-à-dire un risque peu probable, mais aux conséquences majeures : en cas de réalisation, le risque pourrait se matérialiser de façon systématique sur un grand nombre de véhicules. Imaginons le virus WannaCry qui a infecté 57.000 postes informatiques dans 74 pays en quelques heures, appliqué à autant d’automobiles en mouvement”. Une des solutions déjà mise en œuvre est le développement de logiciel dans une logique d’open source, ce qui permet à des experts de la sécurité informatiques de trouver des brèches sans souci de malveillance.
Cependant, la voiture autonome sera avant tout conçue pour prévenir les accidents. « En réalité il y a peu de situations où de tels dilemmes se rencontrent. Le véhicule cherche à limiter les accidents et à anticiper. Elle limitera la casse de toute façon. » confiait Jean-Gabriel Ganascia, spécialiste d’intelligence artificielle au laboratoire d’informatique de l’université Paris-VI, au Monde en 2015. Les constructeurs automobiles auront d’autres dilemmes moraux à résoudre. Non pas du fait de la sécurité liée à ces autos, mais à cause des quantités phénoménales de données qu’elles recueillent, accumulent et transmettent. Au risque de compromettre le respect de la vie privée et des données personnelles. La marque Tesla refuse de communiquer à ses clients les journaux de données de leurs propres véhicules. Mais elle n’hésite pourtant pas à publier des extraits de ces enregistrements lorsque cela lui permet de se défausser suite à un accident. Les données doivent-elles être considérées comme un nouvel eldorado industriel, un outil pour améliorer la sécurité des véhicules ou une menace pour la vie privée ? François Jaumain nous explique que c’est en effet « une question fondamentale, avec des enjeux qui vont bien au-delà de la technique et appellent des cadres juridiques. En France, le cadre existe, puisque la loi informatique et liberté s’applique dès lors qu’il est procédé à un traitement de données à caractère personnel. Sans accord explicite des individus, les données doivent être anonymes. Cela n’empêche pas les acteurs, ensuite, de rassembler au point de vue macro les données pour les exploiter afin d’analyser le comportement des conducteurs et des consommateurs. Il faut distinguer deux éléments : d’une part la nécessité de la protection des données individuelles et des règles de confidentialité, et d’autre part l’exploitation des données qui sont issues des calculateurs et capteurs du véhicule, qui permettent d’améliorer les conditions de sécurité et d’innover sur la qualité des équipements. Toutes les informations collectées et évidemment anonymisées représentent des mannes de données considérables qui pourront être exploitées, et cela représente une belle opportunité pour l’industrie automobile », annonce François Jaumain.
L’essor progressif mais global de la conduite autonome ne va pas révolutionner l’industrie automobile. Mais elle va introduire de nouveaux usages, des modèles commerciaux en rupture et des opportunités technologiques pour les entreprises dans de nombreux domaines : informatique, capteurs, intelligence artificielle, divertissement à bord, services à la personne… Le temps libéré pour le conducteur devenu simple passager et les montagnes de données collectées et reçues par chacune de ces voitures représentent également des terrains à conquérir. PWC et son institut d’analyses automobiles Autofacts seront évidemment présents pour accompagner les entreprises et entités publiques qui veulent monter à bord du train de l’automatisation, et s’assurer de prendre les bons aiguillages…
François Jaumain
Associé Audit - Responsable du secteur Automobile, PwC France et Maghreb
Tel : +33 1 56 57 80 30