L’inflation est-elle vraiment en train de s’essouffler ?

Trois zones d’ombre pourraient enrayer le scénario de désinflation : bilan macro-économique de la France à mi-année

Décryptage #6 - Juin 2023

Par Stéphanie Villers, Conseillère économique, PwC France et Maghreb

En France, l’inflation demeure l’inquiétude majeure pour les entreprises et pour les ménages. Pour autant, elle commence à montrer de premiers signes d’essoufflement. 

  • L’envolée des prix pèse sur le pouvoir d’achat des Français, obligés pour la plupart de contraindre leurs dépenses. La conjoncture n’est pas sur une tendance dynamique. Elle intègre les divers bouleversements qui sont venus perturber l’élan de croissance pourtant constaté en sortie de crise de Covid-19. Avec une confiance en berne, la consommation des ménages va rester atone tout au long de l’année et, par conséquent, les prix vont devoir peu à peu s’ajuster au ralentissement de la demande.
  • Le resserrement monétaire enclenché il y a un an montre aussi ses premiers effets sur l’activité. Des taux d’intérêt plus élevés limitent les capacités d’investissement, en particulier dans l’immobilier.

L’ensemble de ces facteurs nous permet d’anticiper un dégonflement progressif de la bulle inflationniste. 2023 marque ainsi un tournant sur les prix, qui vont s’arrêter de croître dans les proportions que nous avons connues depuis mi-2021. En revanche, les prix vont rester sur un plateau plus élevé qu’avant la pandémie.

L’une des principales raisons provient des salaires, qui ont été revalorisés en cette période de poussée inflationniste. N’étant pas flexibles à la baisse, ces derniers vont de facto maintenir la masse salariale à des niveaux plus élevés qu’auparavant. Nous avons vu lors d’un précédent Décryptage économique que l’emploi ne constituait plus la variable d’ajustement étant données les difficultés de recrutement rencontrées dans de nombreux secteurs d’activité.

Pour les matières premières, et notamment l’énergie, les prix suivent une trajectoire volatile qui complique l’exercice de prévisions. Toutefois, même si les cours mondiaux marquent une accalmie, l’indispensable accélération dans la transition écologique laisse penser que les prix énergétiques resteront à des niveaux plus élevés que ceux enregistrés lors de la précédente décennie.

Ainsi, l’inflation va se stabiliser, laissant les prix s’ajuster à la demande en baisse, tout en les maintenant à un niveau plus élevé que lors des précédentes décennies. Dans ce contexte, la croissance en France devrait atteindre 1% en 2023. Néanmoins, il reste quelques zones d’ombre à ne pas ignorer. Parmi elles, trois facteurs pourraient remettre en cause ce scénario :

  1. Le secteur des services, impacté par l’indexation du SMIC, pourrait déclencher un effet auto-entretenu sur l’inflation ;
  2. La dégradation de la note sur la dette française pourrait entraîner la sanction des marchés financiers et faire basculer l’économie française dans un cycle récessif ;
  3. La Chine constitue à moyen et long termes un moteur inflationniste sur les prix des matières premières, et notamment de l’énergie. 

"Trois zones d’ombre pourraient remettre en cause le scénario de stabilisation des prix : l’indexation du Smic dans les services, la dégradation de la note sur la dette française et la reprise industrielle de la Chine.”

Bonjour et bienvenue dans Décryptage, le podcast mensuel de PwC pour décoder notre économie et ses mécanismes. Je suis Aurélie Picosson et tous les mois, j'accueille Stéphanie Villers, notre conseillère économique, pour une discussion autour de l'actu éco. 

Aurélie : Ton dernier décryptage, que l'on peut lire en intégralité sur le site de Let's Go France, est consacré à un bilan à mi-année de l'économie française. On voit que l'inflation demeure l'inquiétude majeure pour les entreprises et pour les ménages, pourtant, elle commence à montrer les premiers signes d'essoufflement. Selon ton analyse, l'inflation va peu à peu se stabiliser, laissant les prix s'ajuster à la demande en baisse, mais les prix vont rester à un niveau plus élevé que lors des précédentes décennies. Peux-tu nous donner plus précisément un éclairage sur l'évolution de l'inflation ?

Stéphanie : Déjà, on observe un ralentissement de la hausse des prix de l'énergie, et ça, ça allège la pression sur l'inflation globale. Les prix de l'énergie ont enregistré en avril une progression de sept pour cent, contre plus de 26 pour cent, un an auparavant. Est-ce à dire que les prix du gaz, de l'électricité ou encore du pétrole vont retrouver des niveaux d'avant crise ? Clairement non. Trois facteurs empêchent tout diagnostic rassurant. Il y a la poursuite du conflit en Ukraine et les incertitudes qui entourent l'économie chinoise, mais aussi les aspirations exprimées par les membres de l'OPEP de maintenir les prix de l'énergie à des niveaux élevés.

Stéphanie : Néanmoins, l'apaisement actuel sur le front de l'énergie reste un indicateur de bon augure à court terme et les premiers effets sur l'indice général des prix sont déjà perceptibles.

Aurélie : En revanche, maintenant, ce sont les prix des produits alimentaires qui s'emballent.

Stéphanie : Oui, les prix de l'alimentation ont pris le relais au cours de l'année 2022. D'après l'INSEE, en avril 2023, l'alimentation contribue à hauteur de 40 pour cent de l'inflation, alors qu'elle ne représente que 16 pour cent du panier moyen de consommation, mais une inflexion est observée depuis quelques mois sur les prix de production, c'est-à-dire les prix sortis d'usine ou sortis de fermes. Cette accalmie sur les prix devrait progressivement se propager sur les prix de vente des consommateurs. Toutefois, si les prix à la production s'infléchissent, ils resteront à des niveaux supérieurs à ceux d'avant crise.

Stéphanie : Ce qu'il faut comprendre, c'est que le tassement de l'inflation qui va se constater, ne va pas se traduire par une baisse généralisée des prix. Les prix alimentaires vont demeurer plus élevés que par le passé. Aujourd'hui, les négociations entre distributeurs et producteurs vont se réaliser sur des niveaux supérieurs et par conséquent, le pouvoir d'achat des ménages risque d'être sous contrainte durant plusieurs trimestres. Il faut ajouter à ça l'aléa climatique, qui constitue une source d'inquiétude grandissante et un facteur structurel de tensions sur les prix des produits agricoles.

Stéphanie : La sécheresse s'est en effet de nouveau installée chez nos producteurs principaux que sont le Maroc et l'Espagne. Ce qui laisse penser qu'il y a encore des risques de pression sur les prix de vente des produits alimentaires sur les trois prochains mois.

Aurélie : Tu nous dis qu'il faut maintenant aussi regarder le secteur des services, qui peut être une nouvelle poche inflationniste. Explique-nous.

Stéphanie : Si on regarde l'inflation sous-jacente qui forme le noyau dur de l'inflation, elle est construite à partir de deux principales composantes, les prix des biens manufacturés et les prix des services. Or, si l'évolution des prix des produits manufacturés devrait rester sur une hausse proche de cinq pour cent, les prix des services, eux, restent plus incertains et vont dépendre des négociations salariales. Or, on sait que c'est dans ce secteur que la part des rémunérations au SMIC est la plus importante.

Stéphanie : La DARES nous dit la proportion de bénéficiaires du salaire minimum atteint 37 pour cent dans le secteur de l'hébergement et la restauration et 20 pour cent dans celui de la santé et l'action sociale, et la proportion au niveau national n'est que 12 pour cent, tous secteurs confondus. Or le SMIC, je rappelle, est le seul salaire qui demeure indexé sur l'inflation. Tous les premiers janviers de chaque année, il est revalorisé en fonction de l'inflation, pour les 20 pour cent des ménages ayant les revenus les plus faibles.

Stéphanie : Il peut être de même réajusté en cours d'année si la hausse des prix augmente d'au moins deux pour cent par rapport à l'indice constaté lors du calcul du dernier montant du SMIC. Dans ce cas-là, ce dernier progresse automatiquement dans les mêmes proportions. Les entreprises de services oû la part des salariés payés au SMIC est élevée, pourraient en effet être incitées dans les mois à venir, à répercuter la hausse de leurs coûts de production sur leur prix de vente. Le risque est de voir à moyen terme une nouvelle poche inflationniste se diffuser par le secteur des services.

Stéphanie : Il faut rappeler enfin, que les services représentent la moitié du poids de l'inflation. On comprend bien que toute augmentation dans ce secteur aura des effets induits palpables sur l'inflation globale.

Aurélie : Pour continuer sur les salaires, où en sommes-nous aujourd'hui ?

Stéphanie : Sur l'ensemble des secteurs, toujours selon la DARES, le salaire moyen de base a progressé d'1,8 pour cent au premier trimestre 2023 et sur un an, il a augmenté de 4,6 pour cent. On observe par ailleurs que le salaire moyen de base et le salaire horaire des ouvriers des employés restent en deçà de l'inflation. Ainsi, la boucle prix-salaires n'a pas été enclenchée, et ça, ça évite un risque d'inflation auto-entretenue.

Aurélie : Les marges des entreprises, quelles tendances suivent-elles ?

Stéphanie : Au niveau macroéconomique, les données de l'INSEE montrent que le taux de marge des entreprises a retrouvé au début 2023 son niveau d'avant crise COVID et ce niveau-là est à 33 pour cent de la valeur ajoutée. La valeur ajoutée, c'est la création de richesses issues de la production. Sur le dernier trimestre 2022, les entreprises ont cherché à reconstituer leurs marges et cet effet rattrapage tend à se stabiliser sur les premiers mois de l'année 2023.

Stéphanie : On a vu lors de la précédente note de décryptage sur l'optimisation des coûts de production que les entreprises avaient retranscrit l'inflation sur leur prix de vente en 2022 et début 2023, mais que maintenant les entreprises s'orientent davantage vers la réduction des coûts de production pour faire face à des niveaux de prix élevés. Elles font par ailleurs face à un ralentissement de la consommation privée, ce qui les oblige, notamment pour certaines, à revoir leur stratégie commerciale pour s'adapter aux contraintes budgétaires des ménages.

Aurélie: L'inflation va baisser, mais les prix resteront à des niveaux élevés ?

Stéphanie : Oui, l'inflation va s'essouffler, car nous sommes dans un contexte de hausse de taux d'intérêt. On a vu aussi que le moral des ménages était en berne. Vraisemblablement, la poursuite de l'inflation telle qu'on l'a connue paraît peu probable. Pour autant, comme tu le disais, les prix vont rester supérieurs à la période d'avant COVID. Comment ça s'explique ? Il faut se rappeler que les politiques monétaires expansionnistes des banques centrales occidentales depuis la crise des subprimes, ça remonte depuis à peu près une vingtaine d'années, ces politiques ont créé les conditions de cette poussée inflationniste.

Stéphanie : Je m'explique. L'afflux de liquidités a d'abord stagné sur les marchés financiers pendant de longues années, jusqu'à la période COVID. L'expansion monétaire s'est cantonnée à la sphère financière, ce qui a débouché sur une forte valorisation des prix des actifs et a entraîné bien sûr conjointement une baisse des taux d'intérêt. En parallèle, la mondialisation et l'entrée de la Chine à l'OMC ont engendré des pressions à la baisse sur les prix pendant une vingtaine d'années.

Stéphanie: Un mécanisme de quasi blocage des prix sur le marché des biens et des services s'est installé, mais la réouverture post-pandémique de l'économie mondiale et le conflit ukrainien ont fait sauter les digues entre les marchés financiers et la sphère réelle, en laissant se déverser ce surplus monétaire sur les prix des biens et des services. L'inflation, qui avait disparu depuis trois décennies, a subitement resurgi.

Aurélie : Ce qu'il faut comprendre, c'est que l'inflation n'est pas que conjoncturelle, c'est aussi un phénomène structurel ?

Stéphanie : Oui, la hausse actuelle des prix est un phénomène qui trouve son ancrage dans un excès de création monétaire et donc ne peut pas uniquement se réduire à un choc d'offre déclenché par la crise sanitaire ou la guerre en Ukraine. Les banques centrales sont conscientes des erreurs passées. Les risques induits des politiques trop expansionnistes, laissent craindre l'apparition de crises de liquidité qui pourraient déboucher sur une crise de la dette, et ces menaces accélèrent la nécessité pour l'ensemble du système monétaire de juguler l'inflation.

Stéphanie : Les banques centrales doivent trouver le juste dosage pour ne pas compromettre durablement la croissance. Des hausses trop brutales ou trop fortes pourraient précipiter l'économie en récession. On observe néanmoins que les taux d'intérêt réels en France et en Europe restent négatifs, ce qui signifie que le recours à l'emprunt demeure attractif. On se pose la question, peut-on vraiment limiter l'inflation avec des taux réels négatifs ?

Aurélie : Néanmoins, la bonne nouvelle, entre guillemets, c'est que la hausse des taux d'intérêt a déjà ralenti l'activité économique.

Stéphanie : Oui, la remontée des taux d'intérêt commence déjà à ralentir la dynamique économique et par effet ricochet, va avoir une incidence sur les prix dans un délai de trois à six mois. Le durcissement monétaire pèse à la fois sur le pouvoir d'achat des ménages et sur leur capacité d'emprunt. La consommation, qui demeure le principal moteur de la croissance française, est perturbée par une inflation élevée. Les ménages se montrent toujours prudents et contraints dans leurs dépenses. On a vu que la consommation privée a stagné sur le premier trimestre 2023 et a reculé de près d'un pour cent au dernier trimestre 2022.

Aurélie : Tu ajoutes aussi dans ton analyse un risque de pression supplémentaire de hausse des taux d'intérêt à cause de la dégradation de la note de la France par l'agence Fitch.

Stéphanie : Oui, la note de la dette souveraine de la France a en effet été dégradée fin avril par Fitch, qui est une des trois agences de notation. Pour cette agence, les emprunts de l’État français se classent désormais dans la dernière catégorie de la tranche haute qualité soit à A-. Si en soi, cette dégradation ne va pas altérer la capacité de la France à se financer sur les marchés financiers à court terme, reste qu'elle jette l’opprobre sur la capacité de la France à se réformer et pourrait ainsi déstabiliser la confiance de certains investisseurs internationaux sur la qualité de la dette française.

Stéphanie : Pour l'heure, ce risque ne fait pas partie de notre scénario central, mais on ne peut pas totalement l'exclure. Pour Fitch, le pays qui fait face à un mouvement de colère déclenché par la réforme des retraites, laisse craindre de nouvelles dérives dans les dépenses publiques. Le risque étant de décaler la fin du quoiqu'il en coûte afin d'apaiser les tensions sociales. La dette de la France, qui atteint aujourd'hui près de 112 pour cent du PIB, reste dans le viseur de Bruxelles. Rappelons qu'elle s'est amplifiée depuis la crise COVID et qu'aujourd'hui un message de rigueur est attendu pour assurer la soutenabilité de la dette française.

Stéphanie : Aujourd'hui, la France a l'avantage d'appartenir à la zone euro, ce qui lui permet de bénéficier de la confiance des marchés vis-à-vis de la Banque centrale européenne. En effet, la BCE a montré sa capacité à endosser le rôle de prêteur en dernier ressort tout au long de la crise sanitaire. Néanmoins, la dette française doit aujourd'hui se refinancer à des taux bien plus élevés qu'il y a un an à près de trois pour cent. Ces taux pèsent de plus en plus sur la charge de la dette et viennent par conséquent dégrader le déficit public.

Aurélie : Par ailleurs, tu penses que la Chine est et restera un facteur d'inquiétude, en particulier sur les prix de l'énergie ? Quelles en sont les raisons ?

Stéphanie : Avec la levée des restrictions sanitaires en décembre dernier, la Chine a repris son activité. Cette remise en route de l'usine du monde constitue à la fois une bonne et une mauvaise nouvelle. En effet, avec la réouverture du marché chinois, les dysfonctionnements et les délais d'approvisionnement se réduisent peu à peu, permettant un retour à la normale pour le commerce mondial. En revanche, des usines chinoises qui fonctionnent de nouveau impliquent une demande en hausse d'importation en énergie. La Chine est en effet le premier importateur mondial de pétrole et de gaz naturel.

Stéphanie : Ses ressources naturelles ne lui permettent de couvrir que 26 pour cent de ses besoins en pétrole et un peu plus de la moitié de ceux en gaz. Le risque à moyen terme est de voir émerger la pression que représente la Chine sur les cours mondiaux de matières premières. Néanmoins, on observe que la réouverture de la Chine n'a pas déclenché jusqu'à présent de tension sur les prix de l'énergie. Comment ça s'explique ? Ça provient de l'atonie de la croissance mondiale.

Stéphanie : La demande des pays développés reste atone et empêche la Chine de tourner à plein régime, mais si jusqu'à présent, les cours des matières premières sont préservés de l'appétit chinois, compte tenu du ralentissement de la croissance mondiale, il faut garder à l'esprit l'ambition du régime de Pékin sur le long terme de développer la demande interne pour alléger sa dépendance vis à vis du commerce extérieur. Aujourd'hui, la part de la consommation privée dans le PIB chinois reste très inférieure à celle des pays développés.

Stéphanie : Elle atteint 40 pour cent du PIB alors qu'elle dépasse 70 pour cent aux États-Unis et près de 60 pour cent en France. Rappelons qu'avec une population de 1,4 milliard d'habitants, la demande de matières premières sera de plus en plus forte en provenance de la première puissance mondiale qui aspire à développer sa classe moyenne. La Chine est en marche pour effectuer son rattrapage économique sur le long terme et tant que les énergies fossiles constitueront une source énergétique incontournable, et bien la demande chinoise représentera une menace inflationniste sur les prix des matières premières.

Aurélie : Merci beaucoup Stéphanie pour ce bilan à mi-année de l'économie française. Merci à tous pour votre écoute et rendez-vous dans un mois pour le prochain Décryptage. Retrouvez d'ici-là sur le site Let's Go France les précédents numéros à lire ou à écouter.

Vivre avec l’inflation : après l’énergie, l’alimentaire prend le relais

L’inflation semble globalement, depuis un semestre, osciller autour d’un plateau de 6%.  Mais, comme le constate l’INSEE, sa composition se modifie au fil des mois. Entre janvier 2021 et avril 2023, les prix ont augmenté de :

  • +41 % pour l’énergie,
  • +20 % pour l’alimentation,
  • +8 % pour les produits manufacturés,
  • +7% pour les services.

Un apaisement sur le front de l’énergie

Depuis le début de l’année, on observe un ralentissement de la hausse des prix de l’énergie qui allège de facto la pression sur l’indice général des prix. En effet, les prix de l’énergie, qui en France pèsent pour plus de 8,5% de l’indice, ont enregistré en avril 2023 une hausse de 7% contre plus de 26% un an auparavant. 

Est-ce à dire que les prix du gaz, de l’électricité ou encore du pétrole tendent à retrouver des niveaux d’avant crise ? L’incertitude qui prévaut dans le contexte géopolitique actuel entre la Russie et l’Ukraine mais aussi l’inquiétude entourant les orientations géo-stratégiques de la Chine, sans oublier les aspirations exprimées par les membres de l’OPEP de maintenir les prix de l’énergie élevés, empêchent tout diagnostic rassurant. Toutefois, l’apaisement actuel sur le front de l’énergie reste un indicateur de bon augure à court terme, les premiers effets sur l’indice général des prix étant déjà perceptibles.

Indices des prix à la consommation

Evolutions annuelles (en %) ; base 100 ; année 2015

 

Pondérations 2023

Avril 2022

Mars 2023

Avril 2023 (p)

Ensemble IPC*

10 000

4,8

5,7

5,9

Alimentation

1 624

3,8

15,9

14,9
  • Produits frais

238

7,1

17,1

10,2
  • Autre alimentation

1 386

3,3

15,7

15,8

Tabac 

185

-0,1

7,8

9,4

Energie

857

26,5

4,9

7,0

Produits manufacturés

2 322

2,6

4,8

4,7

Services

5 012

3,0

2,9

3,2

Ensemble IPCH**

10 000

5,4

6,7

6,9

(p) Données provisoires
* Indice des prix à la consommation
** Indice des prix à la consommation harmonisés
Champ : France
Source : Insee

Dans le détail, les prix des produits pétroliers se replient nettement sur un an (-7,4 % en mars). Les prix du gaz ralentissent légèrement leur progression (+35,6 % après +36,3 % en février). À l’inverse, les prix de l’électricité accélèrent en mars, tirés par la hausse des offres de marché. 

+7% de hausse annuelle du prix de l’énergie en avril 2023, vs +26% en avril 2022

L’alimentaire prend le relais de l’inflation

Si les prix de l’énergie ont tiré l’inflation dès 2021, les prix de l’alimentation ont ensuite pris le relais au cours de l’année 2022. D’après l’INSEE, en avril 2023, l’alimentation contribue à hauteur de 40% à l’inflation, alors qu’elle ne représente « que » 16% du panier moyen de consommation. Les prix de l’alimentation affichaient en avril un rebond de près de 15%. La viande enregistre un des taux d’inflation les plus élevés avec une hausse de 16,5%. 

+14,9% de hausse annuelle des prix de l'alimentation en avril 2023

Indices du mois et variations des prix dans la grande distribution par type de produit

Base 100 : 2015

 

Indices

Variations (en %) au cours

 

Mars 2023

du dernier mois (1)

des 12 derniers mois (2)

Produits alimentaires et boissons (hors produits frais)

122,77

1,6

15,6

  • Viandes

128,79

0,8

16,5

  • Boissons

116,53

1,3

10,6

  • Autres produits alimentaires

122,54

2,1

17,2

Produits d’entretien, hygiène-beauté

108,19

0,5

11,9

Ensemble : grande distribution

120,37

1,5

15,0

(1) Evolution [m/(m-1)]
(2) Evolution [m/(m-12)]
Champ : France métropolitaine
Source : Insee

“L’alimentation contribue à hauteur de 40% à l’inflation, alors qu’elle ne représente que 16% du panier moyen de consommation.”

Selon les dernières enquêtes de l’INSEE auprès du secteur de l’agro-alimentaire, une inflexion est constatée depuis quelques mois sur les prix de production (c’est-à-dire « sortie d’usine » ou « sortie de ferme »). Cette accalmie sur les prix constatés devrait progressivement se propager sur les prix de vente pour les consommateurs.

Notons néanmoins que, si les prix à la production s’infléchissent, ils n’en demeurent pas moins à des niveaux bien supérieurs à ceux d’avant crise. Ainsi, le tassement attendu de l’inflation ne va pas se traduire par une baisse généralisée des prix. Les prix alimentaires vont demeurer plus élevés que par le passé. Les négociations entre distributeurs et producteurs vont désormais se réaliser sur des niveaux supérieurs. Dans ce contexte, le pouvoir d’achat des ménages risque d’être sous contrainte sur plusieurs trimestres.

Par ailleurs, les aléas climatiques constituent une source d’inquiétude grandissante et un facteur structurel de tensions sur les prix des produits agricoles. La sécheresse s’est en effet de nouveau installée chez nos producteurs principaux que sont le Maroc et l’Espagne. À titre d’exemple, les tomates marocaines représentent près de 65% des volumes importés. Ce qui laisse penser que cette nouvelle vague de sécheresse risque de faire pression sur les prix de vente sur les trois prochains mois. 

Secteur des services : l’effet d'entraînement du Smic

Mais regardons l’inflation sous-jacente, qui forme le noyau dur de l’inflation. Ce mode de calcul exclut les prix des produits alimentaires et de l’énergie, considérés trop volatils. Les deux principales composantes de cet indice sont représentées par les biens manufacturés et les services. Or, si l’évolution des prix des produits manufacturés devrait rester sur une hausse proche de 5%, les prix des services restent, pour l’heure, plus incertains et vont dépendre notamment des négociations salariales. 

"Si l’évolution des prix des produits manufacturés devrait rester sur une hausse proche de 5%, les prix des services restent, pour l’heure, plus incertains et vont dépendre notamment des négociations salariales."

Les prix des services ont enregistré en avril une progression annuelle de 3,2%, en augmentation par rapport à mars (2,9%). C’est dans ce secteur que la part des rémunérations au Smic est la plus importante. D’après la DARES, la proportion de bénéficiaires du salaire minimum de croissance atteint 37% dans l’hébergement et la restauration et 20% dans la santé et l’action sociale. La proportion est de 12% tous secteurs confondus.

Or, le Smic est le seul salaire qui demeure indexé sur l’inflation.  Ainsi, le 1er janvier de chaque année, il est revalorisé en fonction de l’inflation pour les 20% des ménages ayant les revenus les plus faibles. Il peut être de même réajusté en cours d’année si l’indice général des prix augmente d'au moins 2% par rapport à l'indice constaté lors de l'établissement du dernier montant du SMIC. Ce dernier progresse alors automatiquement dans les mêmes proportions.

Le risque de voir à moyen terme une nouvelle poche inflationniste se diffuser par le secteur des services devient alors non négligeable. Rappelons l’effet d’entraînement que constitue l’indexation des salaires sur l’inflation. Les entreprises de service où la part des salariés payés au Smic est élevée pourraient en effet être incitées dans les mois à venir à répercuter la hausse de leurs coûts salariaux sur leurs prix de vente. Or, les services représentant la moitié du poids de l’indice général des prix, toute augmentation dans ce secteur aura des effets induits palpables sur l’inflation globale. 

"Les services représentant la moitié du poids de l’indice général des prix, toute augmentation dans ce secteur aura des effets induits palpables sur l’inflation globale.”

Sur l’ensemble des secteurs, le salaire mensuel de base (SMB) a progressé de 1,8% au cours du 1er trimestre 2023, selon la DARES. Sur un an, il a augmenté de 4,6%, après 3,9% le trimestre précédent. Comme l’indique le graphique ci-dessus, le SMB, mais aussi le salaire horaire des ouvriers et des employés, restent en-deçà de l’inflation. Ainsi, la boucle prix/salaire n’a pas été enclenchée, évitant le risque d’une inflation auto-entretenue. 

“Le ralentissement de la consommation privée oblige certaines entreprises à revoir leurs stratégies commerciales afin de s’adapter aux contraintes budgétaires des ménages.”

Les marges des entreprises : un niveau post-Covid

Au niveau macro-économique, les données de l’INSEE montrent que le taux de marge des entreprises a retrouvé début 2023 son niveau d’avant la crise du Covid-19, soit à 33% de la valeur ajoutée (c’est-à-dire de la création de richesse issue de la production). Sur le dernier trimestre 2022, les entreprises ont cherché à reconstituer leurs marges. Cet effet rattrapage tend à se stabiliser sur les premiers mois de 2023.

Un précédent Décryptage économique a montré qu’après avoir retranscrit une partie de l’inflation sur leurs prix de vente en 2022 et début 2023, les entreprises françaises s’orientent désormais vers la réduction des coûts de production. Réduire leurs charges d’exploitation leur permet notamment de limiter l’impact contraignant de la flambée des cours des matières premières, et de l’énergie en particulier. Elles font par ailleurs face à un ralentissement de la consommation privée qui les oblige, pour certaines, à revoir leurs stratégies commerciales afin de s’adapter aux contraintes budgétaires des ménages.

Pourquoi l’inflation va baisser mais les prix vont rester à des niveaux élevés ?

Dans un contexte de hausse de taux d’intérêt, de moral des ménages en berne et d’activité atone, la poursuite de l’inflation à des niveaux constatés jusqu’alors paraît peu probable. Pour autant, les prix vont rester supérieurs à la période d’avant le Covid-19.

Prenons une image communément utilisée pour expliquer ce paradoxe : la pâte de dentifrice. S’il est aisé de l'extraire de son tube, une fois sortie, il devient compliqué de l’y faire rentrer. Le phénomène est comparable pour l’inflation, qui finira par s’essouffler, mais sans qu’il soit possible de faire revenir les prix des biens et services à leurs niveaux antérieurs.

Comment expliquer ce mécanisme ?

  1. Depuis la crise des subprimes, les politiques monétaires expansionnistes des banques centrales occidentales ont créé les conditions de cette poussée inflationniste. L’afflux de liquidités a d’abord stagné sur les marchés financiers pendant de longues années. Ainsi, jusqu’à la crise du Covid-19, l’expansion monétaire s’est cantonnée à la sphère financière, ce qui a débouché sur une forte valorisation des actifs et conjointement sur une baisse des taux d’intérêt.
  2. En parallèle, la mondialisation et l’entrée fin 2001 de la Chine à l’OMC ont engendré des pressions à la baisse sur les prix pendant une vingtaine d’années. Un mécanisme de quasi blocage des prix sur le marché des biens et des services s’est alors installé, induit par le développement grandissant de la concurrence internationale.
  3. Mais la réouverture post-pandémique de l’économie mondiale et le conflit ukrainien ont fait sauter les digues entre les marchés financiers et la sphère réelle, laissant se déverser ce surplus monétaire sur les prix des biens et des services. L’inflation, qui avait disparu depuis trois décennies, a subitement resurgi. La longue phase sans inflation a laissé se développer de nouveaux comportements et de nouvelles références de prix relatifs chez les agents économiques. Globalement, les ménages ont perdu leurs repères face à l’inflation et ce sont par ailleurs les plus modestes qui subissent le plus frontalement l’envolée des prix dans leurs dépenses contraintes, en particulier les denrées alimentaires et l’énergie.

Ainsi, la hausse actuelle des prix est un phénomène qui trouve son ancrage dans un excès de création monétaire et ne peut donc uniquement se réduire à un choc d’offre déclenché par la crise sanitaire et la guerre en Ukraine. Les banques centrales sont conscientes des erreurs passées. Les risques induits de politiques trop expansionnistes laissent craindre l’apparition de crises de liquidité qui pourraient déboucher sur une crise de la dette.

Ces menaces accélèrent la nécessité pour l’ensemble du système monétaire de juguler l’inflation. Les Banques centrales doivent donc trouver le juste dosage pour ne pas compromettre durablement la croissance. Des hausses trop brutales ou trop fortes pourraient précipiter l’économie en récession. On observe néanmoins que les taux d’intérêt réels en France et en Europe restent négatifs. Ce qui signifie que le recours à l’emprunt demeure attractif. Se pose alors la question : peut-on limiter l’inflation avec des taux réels négatifs ? 

"Les taux d’intérêt réels en France et en Europe restant négatifs, le recours à l’emprunt demeure attractif. Mais peut-on limiter l’inflation avec des taux réels négatifs ?"

L'impact de la remontée des taux

Il semble que la remontée des taux d’intérêt commence déjà à ralentir l’activité économique et aura par effet ricochet une incidence sur les prix dans un délai de trois à six mois. Le durcissement monétaire pèse à la fois sur le pouvoir d'achat des Français et sur leur capacité d’emprunt. La consommation, qui demeure le principal moteur de la croissance en France, reste perturbée par une inflation élevée. Les ménages se montrent toujours prudents et contraints dans leurs dépenses.

La consommation privée a ainsi continué de marquer le pas au premier trimestre 2023 après avoir affiché un recul conséquent sur le dernier trimestre 2022 (-1%). Il en est de même pour l’investissement immobilier des ménages, qui poursuit sa décrue. Après une baisse de 1,6% sur les trois derniers mois de l’année, le recul se poursuit avec -1,4% au premier trimestre 2023.

Ainsi, plus globalement, le PIB a affiché une croissance de 0,2% sur le premier trimestre 2023 après avoir progressé de 2,6% en 2022 et devrait enregistrer, à scénario constant, une croissance atone autour de 1% sur l’ensemble de l’année. 

France : croissance du PIB

En %

 

2022 T2

2022 T3

2022 T4

2023 T1

2022

PIB

0,5

0,1

0,0

0,2

2,6

Importations

1,3

3,8

0,1

-0,6

9,4

Dép. conso. Ménages

0,4

0,4

-1,0

0,0

2,7

Dép. conso. APU*

-0,1

0,2

0,5

-0,1

2,6

FBCF totale

0,2

2,0

0,0

-0,2

2,2

  • dont ENF**

0,5

3,5

0,4

0,1

3,3

  • dont ménages

-0,2

-1,0

-1,6

-1,4

0,1

  • dont APU*

-0,1

0,9

0,6

0,5

0,8

Exportations

1,2

0,9

0,9

1,1

7,2

Contributions :
Demande intérieure finale hors stocks

 

0,3

 

0,8

 

-0,4

 

-0,1

 

2,7

Variation des stocks

0,3

0,3

0,2

-0,3

0,6

Commerce extérieur

-0,1

-1,0

0,2

0,6

-0,8

* APU : administrations publiques
** ENF : entreprises non financières
Les volumes sont mesurés aux prix de l’année précédente chaînés et corrigés des variations saisonnières et des effets des jours ouvrables (CVS-CJO)
Source : Insee

1% de prévision de croissance du PIB en France en 2023

La note de la dette française dégradée : pression supplémentaire sur les taux d’intérêt ?

Si la hausse des taux d’intérêt en France devrait suivre le resserrement monétaire de la Banque centrale européenne (BCE) et être ainsi en phase avec la progression de ses taux directeurs, elle pourrait néanmoins être amplifiée si les marchés financiers venaient à remettre en cause la soutenabilité de la dette française.

Fin avril 2023, la note de la dette souveraine de la France a été dégradée par une des trois grandes agences de notation. Ainsi, pour Fitch, les emprunts de l’État français se classent désormais dans la dernière catégorie de la tranche « haute qualité », soit AA- (voir tableau). Si, en soi, cette dégradation ne va pas altérer la capacité de la France à se financer sur les marchés financiers à court terme, reste qu’elle jette l'opprobre sur la capacité du pays à se réformer et pourrait ainsi déstabiliser la confiance de certains investisseurs internationaux sur la qualité de la dette française. Pour l’heure, ce risque ne fait pas partie de notre scénario central mais il convient de ne pas totalement l’exclure. 

AA- note de la dette française selon Fitch (avril 2023)

Face à un mouvement de contestations déclenché par la réforme des retraites, la France laisse craindre à Fitch de nouvelles dérives dans les dépenses publiques, le risque étant qu’elle ne décale la fin du « quoiqu’il en coûte » afin d’apaiser les tensions sociales. Le gouvernement annonce déjà explorer la piste de baisse d’impôts pour les classes moyennes, ce qui aurait pour effet induit de déstabiliser encore davantage la situation dégradée des comptes publics. Le déficit public devrait être proche de 5% du PIB en 2023. Il resterait par conséquent loin de la cible des 3% édictée par le Pacte de stabilité et de croissance des États de la zone euro. 

5% du PIB : déficit public de la France estimé pour 2023 vs. cible de 3% (Pacte de stabilité)

Liste des notations des pays

 

Ratings Moody’s [+]

Ratings S&P [+]

Ratings Fitch [+]

France [+]

Aa2

AA

AA-

Allemagne [+]

Aaa

AAA

AAA

Royaume-Uni [+]

Aa3

AA

AA-

Espagne [+]

Baa1

A

A-

Etats-Unis [+]

Aaa

AA+

AAA

Japon [+]

A1

A+

A

Italie [+]

Baa3

BBB

BBB

Portugal [+]

Baa2

BBB+

BBB+

Grèce [+]

Ba3

BB+

BB+

Irlande [+]

Aa3

AA-

AA-

Première qualité

Aaa

AAA

AAA

Haute qualité

Aa1

AA+

AA+

Aa2

AA

AA

Aa3

AA-

AA-

Qualité moyenne supérieure

A1

A+

A+

A2

A

A

A3

A-

A-

Qualité moyenne inférieure

Baa1

BBB+

BBB+

Baa2

BBB

BBB

Baa3

BBB-

BBB-

Spéculatif

Ba1

BB+

BB+

Ba2

BB

BB

Ba3

BB-

BB-

La dette de la France, qui s’est amplifiée depuis la période du Covid-19 pour atteindre aujourd’hui près de 112% du PIB, reste dans le viseur de Bruxelles. Un message de rigueur est attendu pour assurer la soutenabilité de la dette française. La sanction des marchés financiers face au risque de dérive des dépenses publiques ne peut être totalement exclue. 

Rappelons la situation britannique au moment de la présentation du budget par la nouvelle Première ministre Liz Truss. Les marchés, perplexes quant à la crédibilité des baisses massives d’impôts annoncées, se sont délestés de la dette britannique, déclenchant une hausse brutale des taux d’intérêt et la démission de Liz Truss à peine 45 jours après sa désignation.

112% du PIB : la dette de la France en 2023

Aujourd’hui, la France a l’avantage d’appartenir à la zone euro, contrairement à la Grande-Bretagne, ce qui lui permet de bénéficier de la confiance des marchés vis-à-vis de la BCE. Celle-ci a, en effet, montré sa capacité à endosser le rôle de prêteur en dernier ressort. Néanmoins, la dette française doit désormais se refinancer à des taux d’intérêt bien plus élevés qu’il y a un an. À près de 3%, ils pèsent de plus en plus sur la charge de la dette et viennent par conséquent dégrader le déficit public.

Or, l’agence Fitch vient d’octroyer à la dette de la France la même notation qu’à celle du Royaume-Uni, dont l’économie fait face à un défi supplémentaire, le Brexit. Les premières conséquences de ce retrait viennent s’ajouter aux défis géopolitiques que l’ensemble des pays européens traverse et pourraient précipiter la Grande-Bretagne en récession cette année. Le Brexit pose de même un défi de long terme sur le modèle économique britannique. Il est ainsi curieux de constater que Fitch et S&P positionnent la France au même rang que le Royaume-Uni dans leur classification. 

“Il est curieux de constater que Fitch et S&P positionnent la dette de la France au même rang que celle du Royaume-Uni, dont l’économie fait pourtant face au défi supplémentaire du Brexit.”

Fitch explique sa décision par la révision de ses prévisions de croissance moyenne du PIB français d’ici à 2027 à 1,1%, alors que Bercy s’attend à une croissance proche de 1,7%. Ses inquiétudes proviennent aussi de sa perception d’une probable incapacité de la France à se réformer sur le long terme et à une poursuite de la dérive budgétaire. Le risque étant que, si ces craintes se diffusent plus massivement sur les marchés financiers, les investisseurs s’orientent vers d’autres placements, déclenchant de facto une hausse des taux d’intérêt français. Or, des taux d’intérêt plus élevés risqueraient de limiter la capacité d’emprunt de la France.

Une amplification de l’augmentation des taux d’intérêt rendrait l’accès aux liquidités moins attractif pour l’ensemble de l’économie française. Avec, à terme, un risque de récession à la clé, sans empêcher mécaniquement l’inflation de rester à un niveau élevé. Car la menace d’une inflation importée est toujours présente. In fine, la France risquerait la stagflation (récession économique + inflation).  

Les ménages modifient leurs comportements d’achat 

Après avoir vécu plusieurs décennies sans inflation, les Français ont perdu leurs repères avec la flambée des prix qui s’est installée. L’envolée des prix des dépenses contraintes pèse sur le pouvoir d’achat des ménages et les oblige à changer de comportements d’achat. L’INSEE observe en effet des modifications des habitudes de consommation pour près des deux tiers des Français. Ces modifications touchent l’ensemble des catégories sociales même si elles demeurent plus marquées chez les ménages contraints financièrement, avec en tête les ménages jeunes ou ayant des enfants. Les efforts ont avant tout porté sur les dépenses liées à l’énergie et à l’alimentation.

En effet, 70% des ménages interrogés par l’INSEE déclarent avoir modifié leurs habitudes de consommation pour réaliser des économies : pour 54% d’entre eux dans les dépenses énergétiques, et pour plus de 40% dans leurs dépenses alimentaires. Au niveau macro-économique, on constate que la consommation des ménages a diminué de 1% au quatrième trimestre 2022 et est restée nulle sur les trois premiers mois de l’année 2023. 

“70% des ménages déclarent avoir modifié leurs habitudes de consommation pour réaliser des économies sur l’énergie (54% ) et/ou sur l’alimentation (40%).”

-1% de consommation des ménages au 4e trimestre 2022, 0% au 1er trimestre 2023

D’après l’INSEE, des disparités importantes sont observées face à l’inflation. Ainsi, l’inflation est plus élevée pour les ménages les plus âgés, pour ceux vivant dans les communes rurales ou de petites tailles, et plus généralement pour les ménages les plus modestes. En effet, un foyer faisant partie de la catégorie des 20% les moins aisés supporte une inflation en moyenne de près de 1 point supérieur à un foyer faisant partie des 20% les plus riches. Dans ce contexte, la propension globale à dépenser est entachée et la croissance du PIB va de fait en pâtir.

La BCE, en augmentant les taux d’intérêt, aspire à diminuer l’activité pour juguler l’inflation. Les trois premiers mois de l’année ont déjà montré les signes tangibles d’un ralentissement économique, ce qui devrait induire dans les prochains mois un effet mécanique d’ajustement des prix face à l’essoufflement de la demande. Néanmoins, une composante demeurera en dehors du champ d’action de la BCE : l’inflation importée, et tout particulièrement les prix de l‘énergie.

La reprise de l’activité en Chine reste un facteur d’inquiétude sur les prix de l’énergie 

Avec la levée des restrictions sanitaires en décembre 2022, la Chine a repris son activité. La croissance du PIB chinois a rebondi à 4,5% sur le premier trimestre 2023 en glissement annuel. Cette remise en route de l’usine du monde constitue à la fois une bonne et une mauvaise nouvelle. D’un côté, avec la réouverture du marché chinois, les dysfonctionnements et les délais d’approvisionnement se réduisent peu à peu, permettant ainsi un retour à la normale pour le commerce mondial. De l’autre, des usines chinoises qui fonctionnent de nouveau impliquent une hausse de la demande et des importations énergétiques. La Chine est le premier importateur mondial de pétrole et de gaz naturel. Ses ressources naturelles ne lui permettent de couvrir que 26% de ses besoins en pétrole et un peu plus de la moitié de ceux en gaz. Le risque à moyen terme est de voir émerger la pression que représente la Chine sur les cours mondiaux de matières premières.

Néanmoins, on observe que la réouverture de la Chine n’a pas déclenché de tensions sur les prix de l’énergie jusqu’à présent. La première explication provient de l’atonie de la croissance mondiale. La demande des pays développés reste atone et empêche la Chine de tourner à plein régime. La production industrielle chinoise, qui d’ordinaire soutient les exportations, n’a pas enregistré le rebond espéré. Le consensus anticipait une augmentation de 4,4% en mars, alors qu’in fine la progression a été de 3,9%. L’indice des directeurs des achats (PMI, pour Purchasing Manager's Index) confirme ce manque de dynamisme. En effet, le PMI Caixin (secteur privé) se situait en mars à 50, soit le seuil qui sépare la zone de croissance d’une contraction de l’activité. Dans ce contexte, les prix du pétrole et du gaz ont été épargnés d’une forte pression de la demande chinoise. 

Si, jusqu’à présent, les cours des matières premières sont préservés de l’appétit chinois compte tenu du ralentissement de la croissance mondiale, il convient de garder à l’esprit l’ambition du régime de Pékin sur le long terme. Celle de développer la demande interne pour alléger sa dépendance vis-à-vis du commerce extérieur. La part de la consommation privée dans le PIB chinois reste pour l’instant très inférieure à celle des pays développés. Elle atteint en effet 40% du PIB en Chine, quand elle dépasse 70% aux États-Unis et atteint près de 60% en France. La demande en matières premières sera de plus en plus forte en provenance de la première puissance mondiale qui, avec une population de 1,4 milliards d’habitants, aspire à développer sa classe moyenne. La Chine est en marche pour effectuer le rattrapage économique nécessaire sur le long terme. Ainsi, tant que les énergies fossiles constitueront une source énergétique incontournable, la demande chinoise représentera une menace inflationniste sur les prix des matières premières.

“Tant que les énergies fossiles constitueront une source énergétique incontournable, la demande chinoise représentera une menace inflationniste sur les prix des matières premières.”

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Marion de Lasteyrie

Marion de Lasteyrie

Directrice Relations Extérieures et Communication, PwC France et Maghreb

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