État des lieux de la mesure de la diversité en entreprise

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État des lieux de la mesure de la diversité en entreprise

1 salarié sur 2 redoute d’être sujet à la discrimination en entreprise. C'est ce que révèle l'étude menée par Diversidays, PwC et Occurrence auprès de plus de 1 300 salariés et dirigeants d’entreprises, DRH ou responsables de la diversité.

Cette enquête sur la mesure de la diversité et de l’inclusion en entreprise est décryptée dans ce podcast par Pauline Adam-Kalfon, Associée responsable Inclusion et Diversité chez PwC France et Maghreb et Anthony Babkine, Président et co-fondateur chez Diversidays.

Raphaëlle Duchemin : Nous sommes tous différents : hommes, femmes, jeunes, jeunes adultes, seniors, manuels ou intellectuels. Chacun de nous est unique. Il y a ceux qui ont dû grandir seuls et ceux qui ont reçu une éducation. Ceux qui sont nés dans des familles nombreuses et les enfants uniques. Ceux qui ont pu aller à l'école, ceux qui n'ont pas eu cette chance de pouvoir étudier. Dites-moi, pourquoi serait-on ensuite obligé de rentrer dans des cases ? Je suis Raphaëlle Duchemin et dans ce podcast, je vous emmène à la découverte de nos incohérences. Notre singularité devrait être une force. Pourtant, dans le monde du travail, on s'est, jusqu'ici, appliqué à la gommer, or ce pluriel est une richesse.

Au fait, comment fait-on pour savoir si l'on est un bon élève ? Il n'y a pas de secret, il faut avoir un mètre étalon. Aujourd'hui, cet instrument de mesure n'existe pas. C'est pour ça que PwC et Diversidays ont décidé de mener une enquête inédite pour voir à quoi ressemble cette notion de diversité et comment aussi, elle se traduit. Vous allez voir que nous ne sommes pas au bout de nos surprises parce qu'il y a loin de la coupe aux lèvres.
Bonjour, Pauline Adam-Kalfon.

Pauline Adam-Kalfon : Bonjour, Raphaëlle.

Raphaëlle Duchemin : Merci d'être avec nous. Vous êtes associée PwC France et Maghreb, en charge de l'inclusion et des diversités. À vos côtés, Anthony Babkine. Bonjour, Anthony.

Anthony Babkine : Bonjour, Raphaëlle.

Raphaëlle Duchemin : Co-fondateur de l'association Diversidays, Anthony, je vais peut-être commencer par vous. L'âge, l'origine, le handicap ou le genre sont aujourd'hui encore des freins quand arrive le moment du recrutement ? C'est ce que vous avez aussi voulu montrer avec cette étude ?

Anthony Babkine : Oui. C'est vrai que quand on parle de diversité et d'inclusion dans l'entreprise, il y a beaucoup de gens qui réfutent le terme en disant que diversité, ça ne veut rien dire, inclusion, ça veut tout dire. On se rend compte qu'en mettant des chiffres, en faisant un état des lieux, comme on l'a fait avec PwC et Occurrence, c'est rappeler que derrière ce mot de diversité, il y a des critères. Il y en a 25 aujourd'hui. Ce sont aussi des critères de discrimination sur la base de l'âge, du genre, de l'origine sociale, ethnique, culturelle. On peut tous être, un jour ou l'autre dans notre carrière, être auteur, victime, témoin d'une discrimination.

C'est bien de rappeler de quoi on parle. C'est vrai que quand on met des chiffres dans cette étude, on voit que l'âge est un des premiers facteurs de discrimination. Parce que vous avez passé l'âge, on considère que, dans l'entreprise, vous êtes le ou la bienvenu(e), que vous êtes fraîchement sorti d'école, et cetera. Les premières discriminations, dès 45 ans, sont visibles. On appelle ça senior dans l'emploi en France. Dès 45 ans, vous êtes considéré comme senior dans l'emploi. On peut subir tout un tas de séquelles, de conséquences liées à ça.

Raphaëlle Duchemin : On va regarder dans un instant comment on mesure parce que c'est intéressant. Ça n'existe pas vraiment, ou en tout cas, mettre tous ces critères ensemble, c'est une première. Pauline, quand on vous a parlé de mener une étude avec Diversidays et Occurrence, vous avez dit oui, tout de suite. Qu'est-ce qui vous a plu dans cette idée de mener cette enquête ensemble ?

Pauline Adam-Kalfon : Déjà, la première chose qui m'a plu est de travailler avec Anthony et surtout toute l'équipe de Diversidays. C'est une équipe de passionnés. C'est surtout aussi de pouvoir faire avancer les choses. Comme vous le dites, c'était l'opportunité de rendre visible ce qui ne l'est pas, parce que quand on ne mesure pas, on n'est pas capable d'objectiver. Ce sont de grands concepts qui sont manipulés. C'était une façon de rendre les choses très tangibles et de pouvoir faire bouger les lignes sur ces sujets.

Raphaëlle Duchemin : Oui, ce qui apparait très clairement finalement, c'est que l'on fonctionne encore aujourd'hui, en 2022, beaucoup au doigt mouillé. Ce qui peut expliquer que beaucoup d'entreprises, quand elles embauchent, ont le sentiment de bien faire.

Anthony Babkine : Non. Je pense juste que l'on a eu quelque chose d'assez incantatoire pendant pas mal d'années, qui a fait du mal aussi à des gens, qui a fait du bien peut-être à l'entreprise en se rassurant. On a parlé un moment de verdir son image, le greenwashing, et cetera. On peut parler de social washing aussi, d'avoir eu un peu l'image, pardon de caricaturer en parlant des images Benetton de l'époque. Ça parle moins à tout le monde de se dire que l'on met tout un tas de gens très différents, de couleurs et d'âges différents et que ça suffirait à dire que l'entreprise ou la culture d'entreprise est inclusive. Or, on sait très bien que, sans les données dont parlait Pauline à l'instant, on a un vrai gap entre d'un côté « on prône une forme de marque employeur très inclusive ». Puis, de l'autre, « quand j'intègre l'entreprise, c'est déceptif parce que d'un coup, je me rends compte qu'avec mes différences, je suis bloqué. On ne me propose pas le travail qu'il faut. Lorsqu'il va y avoir l'augmentation ou la proposition de travail intéressant, ce ne sera pas pour moi ». On doit revenir à des choses très qualifiables, quantifiables, d'où l'intérêt aussi de travailler avec PwC sur ce sujet.

Raphaëlle Duchemin : Il fallait pour ça, Pauline, construire un instrument de mesure. Comment fait-on ? On touche à des sujets délicats, des données personnelles. Pourtant, si on veut pouvoir dire que c'est bien ou que l'on peut mieux faire, il faut avoir des outils partagés, des outils de référence.

Pauline Adam-Kalfon : Absolument. Effectivement, il y a des freins, parce que l'on touche aussi à des sujets qui ont trait à la vie privée, à l'intimité. Il y a aussi certaines données que les salariés n'ont pas envie de partager. Je pense évidemment à des sujets qui peuvent être liés à des situations de handicap.

Raphaëlle Duchemin : Des handicaps invisibles parfois, que la personne ne veut pas partager ?

Pauline Adam-Kalfon : Très souvent même, dans 80 pour cent des cas, les handicaps ne sont pas visibles. Évidemment, il y a des sujets sur lesquels, c'est assez facile de pouvoir faire des mesures. Je pense notamment à tout ce qui a trait à l'équité femme/homme. Sur la mesure, ce qui est très bien, c'est que ça permet de décliner plein d'indicateurs. Quand on commence par le haut et que l'on a des objectifs de représentation des femmes au niveau des ComEx, pour pouvoir les atteindre, il faut piloter et avoir un vivier. Ça veut dire que les entreprises mettent en place de nouveaux indicateurs.

Par exemple, sur le nombre de femmes recrutées dans des positions seniors, le pourcentage de femmes au niveau des différentes strates managériales, et cetera. C'est l'arbre aussi qui cache la forêt. Je suis très optimiste de nature, mais là, je vais être un tout petit peu plus négative. À force de focaliser sur ce sujet homme/femme, il y a beaucoup d'entreprises aussi qui se disent qu'elles vont mettre le paquet là-dessus pour avoir des avancées. Pour cette raison, elles ne traitent pas des sujets très importants sur d'autres catégories que les femmes, si je peux parler comme ça.

Anthony Babkine : On va aller dans le sens de Pauline. On a considéré aussi, pendant ces 10 dernières années, que les femmes étaient une et indivisibles, comme si on ne pouvait pas être une femme avec un handicap, une femme senior, une femme racisée, qui, à un moment, va vivre aussi des discriminations. Discriminations qui ne sont pas seulement liées à son genre, mais qui sont liées aussi à son ethnicité ou à ses origines sociales, et cetera. C'est ça qu'il va falloir commencer à corriger. Élisabeth Moreno a commencé à prendre en charge ce sujet avec l'index diversité qu'elle a essayé auprès de neuf entreprises. On a été très moteur avec l'association pour faire en sorte que ça bouge.

C'est pour dire qu'il y a les limites de ce que l'entreprise peut gérer et j'entends ce sujet-là. En revanche, elle est quand même responsable de se dire qu'à un moment, dans son entreprise, si un salarié vit des discriminations, il faut qu'elle puisse prendre en charge ces sujets-là. C'est-à-dire, discriminations sur la base de la couleur de peau, de l'origine sociale. On ne parle même pas de quota à ce stade-là, comme ça a été pour la loi Copé-Zimmermann ou Rixain. C'est-à-dire que là, on a un enjeu d'inclusion et de personnes qui vivent parfois, à compétence égale ou à un niveau hiérarchique égal, des discriminations. Il faut pouvoir les corriger.

Pauline Adam-Kalfon : Là-dessus, les entreprises sont créatives et elles ont aussi trouvé des moyens de pallier ces difficultés, notamment avec la mise en place d'études, de perception aussi des discriminations par les salariés. Ce sont aussi des mines d'or en termes à la fois, évidemment, de verbatim, c'est du qualitatif, mais aussi de quantitatif. Ça permet aussi d'avoir un vivier d'information qui permet, derrière, de décliner des plans d'action très concrets.

Raphaëlle Duchemin : Justement, vous me tendez la perche. Pour prendre le pouls de cette diversité, il fallait aller voir des deux côtés, salariés et directions. C'est là, peut-être, que l'on prend conscience que la perception n'est pas toujours tout à fait la même.

Pauline Adam-Kalfon : Absolument. Je reprends ce que disait Anthony, il y a eu, pendant un certain temps, des discours qui pouvaient être un peu incantatoires ou en tout cas pas forcément incarnés. Ce que l'on voit dans notre étude, c'est que la compréhension de ce que fait l'entreprise par ses propres salariés, sur l'inclusion et la diversité, n'est pas très forte. On voit bien qu'il y a à peu près la moitié des salariés qui ne comprennent pas ce que fait l'entreprise dans laquelle ils travaillent. C'est extrêmement important de créer ce pont, de façon à réconcilier la vision des dirigeants de celle des salariés qui font vivre l'entreprise.

Anthony Babkine : Dans ce que dit aussi Pauline, j'ai trouvé un fait intéressant dans l'étude que l'on a menée. C'est à la fois des boites qui sont quasi 100 pour cent à dire que l'on veut aller plus loin et prêt à mettre plus de moyens sur ces enjeux de diversité, d'inclusion. Paradoxalement, des salariés qui ne savent pas encore ce que ça veut dire diversité ou inclusion, mais qui sont très moteurs. Ils sont 86 pour cent à dire qu'ils ont envie que leur entreprise s'engage sur ça.

Raphaëlle Duchemin : Quelles sont les bonnes pratiques ? Comment les entreprises ont-elles construit leur politique de diversité et d'inclusion ? Quelles sont les principales difficultés qu'elles rencontrent aussi dans la mise en œuvre ? Surtout, comment faire progresser la question ? De plus en plus, ce que l'on appelle le top management a compris que cette mixité était un plus, y compris en matière de développement économique. Il est donc dans son intérêt d'aller plus loin. Ce qui ne se mesure pas, et c'est une phrase, d'ailleurs, qui revient dans les verbatims de cette étude, ne progresse pas. Ça commence à faire son chemin dans l'esprit des dirigeants, Pauline ?

Pauline Adam-Kalfon : Oui. C'est ce que l'étude montre. J'ai envie quand même d'apporter une nuance. Ce qui est très important, c'est de prendre aussi en compte le contexte de l'entreprise. On a interrogé des ETI avec Anthony. C'était très important pour nous d'avoir aussi la vision des petites entreprises. Ce qui est très important, c'est d'accompagner, d'aider et d'outiller ces entreprises pour les aider à mesurer et aussi interpréter des écarts, selon que le bassin d'emploi dans lequel l'entreprise opère soit fourni ou non. C'est plus ou moins facile d'avoir des bons résultats. Puis, d'une année sur l'autre, on peut avoir des variations importantes.

La mesure est évidemment une des très bonnes pratiques. J'ai envie de dire à toutes les entreprises, il faut démarrer, peu importe. On peut se faire mal au départ, parce que les résultats ne sont peut-être pas des résultats dont on peut absolument être fier. Ce qui est très important est de pouvoir mesurer la progression. Sur ces sujets, on est dans un temps long. Il faut à la fois s'inscrire dans un temps très court, avec des petites victoires qu'il faut célébrer, c'est très important. Néanmoins, il faut savoir aussi que l'on est dans un temps très long.

Raphaëlle Duchemin : Anthony, certains se sont fait aider, et on le voit dans l'étude d'association de cabinets spécialisés, pour arriver à mixer davantage les profils. Ça signifie que ça ne va pas de soi. C'est encore quelque chose qu'il faut intégrer à la culture d'entreprise.

Anthony Babkine : J'ai le souvenir d'une dirigeante qui s'appelle Sophie Bellon, qui est à la tête d'une grande entreprise. Elle disait qu'à chaque fois, en tant que femme qui a repris les manettes de cette entreprise, lorsqu'elle lâchait le sujet parité dans l'entreprise, elle voyait que « chassez le naturel, il revient au galop ». Il y avait une espèce de lâcher-prise, et que les femmes disparaissaient des cercles de direction, et cetera. Je pense qu'il y a cet enjeu majeur de se dire que dans les personnes que l'on va accompagner, il y a en effet le volontarisme qui va jouer. Ce sont des entrepreneurs ou des dirigeants d'entreprises qui ont conscience que leur entreprise ira mieux, sera peut-être plus performante, plus engageante, si vraiment, on gère ces sujets de diversités et inclusions. Ça veut dire que d'un, comme le disait Pauline, on mesure.

Deux, on met des actions proactives, des outils, on s'entoure, on travaille avec beaucoup d'acteurs d'écosystèmes. On est très nombreux. Je suis une association d'égalité des chances, aujourd'hui, qui parle plutôt des sujets de places des femmes et des hommes très divers dans les métiers du numérique. Je peux penser, par exemple, à L'Autre Cercle, qui va être très actif sur les questions des personnes LGBTQIA+ en entreprise. Je pense à Mozaik RH qui va aider à créer un vivier de talents qui viennent plutôt des quartiers et des zones, on va dire, périurbaines. Finalement, c'est en greffant aussi tout un tas d'acteurs associatifs, auteurs de la mesure, du conseil, et cetera, qui vont venir créer une stratégie de long terme et qui, à un moment, est infuse dans l'entreprise. Que l'on rentre dans cette boite et que l'on se dise que c'est vrai que cette entreprise est d'un genre très différent.

Pauline Adam-Kalfon : Je pense que ce n'est pas un aveu de faiblesse des entreprises. Je trouve que c'est extrêmement positif.

Raphaëlle Duchemin : Voire courageux.

Pauline Adam-Kalfon : Courageux et surtout, ça fait progresser tout le monde. Au sein de PwC France et Maghreb, on a fait le choix d'aider des associations à travers du mécénat de compétences, sur des sujets d'inclusion et diversité. Ces associations nous nourrissent aussi en tant que qu'entreprise dirigeante. Elles nourrissent nos salariés et indirectement nos clients. Quand elle nous aide à progresser, ce que nous véhiculons, on est une société de prestation de service auprès de nos clients, ça infuse aussi nos clients. C'est un cercle vertueux et je pense que c'est, au contraire, quelque chose qu'il faut absolument mettre en avant.

Anthony Babkine : C'est moins un acte de courage qu'un acte de curiosité de comprendre déjà de quoi on parle. Souvent quand on parle de diversité et inclusions, beaucoup de dirigeants et de jeunes dirigeants pensent que c'est un sujet de solidarité ou d'empathie. Quand on creuse véritablement le sujet, plus une entreprise va être inclusive et diverse, plus elle va être performante. Je ne dis pas qu'il faut toujours revenir avec ce sujet de performance. Évidemment, quand quelqu'un est discriminé dans l'entreprise, on parle plutôt d'engagement et de se demander si on fait en sorte que chacun soit bien à sa place, incluse comme il le faut.

Il faut rappeler que c'est un sujet de bien-être en entreprise, de performance pour l'entreprise in fine. Si on s'entoure de personnes très différentes, on sait que cela a un impact direct sur l'innovation, sur la capacité managériale à parler à différents pays, différents interlocuteurs, différents clients. C'est ça qu'il faut infuser. C'est pour ça que je ne voudrais pas que l'on reste sur cet acte héroïque, mais plutôt sur cet acte de manager ouvert sur les autres, sur le monde, et qui a compris qu'une entreprise qui inclut, c'est une entreprise qui réussit.

Pauline Adam-Kalfon : Totalement d'accord. C'est un enjeu, évidemment, social, sociétal. C'est un enjeu économique. Pour autant, je reviens sur l'idée du temps court et du temps long, c'est toujours plus facile de travailler avec des gens qui nous ressemblent, parce que l'on a les mêmes codes, on va se comprendre.

Raphaëlle Duchemin : Ça revient dans l'étude, d'ailleurs, le côté entre soi.

Pauline Adam-Kalfon : Exactement. Cette performance qui est réelle, dont parle Anthony, et que l'on voit, ce n'est pas une performance que l'on a immédiatement. L'acte de courage qu'il faut avoir au départ, c'est de se dire que l'on se lance. Au départ, ça va être un peu compliqué et on le voit. Quand on accueille au sein de l'entreprise des gens qui sont différents, qui n'ont pas les codes, il faut un certain temps à un réglage. Réglage de la part de celles et ceux qui arrivent et de celles et ceux qui managent. Il y a une culture qui se recrée, à réinventer. Il y a cette petite phase d'ajustement, mais en revanche, les gains sont évidents après.

Raphaëlle Duchemin : Est-ce que ça doit se jouer au niveau de l'entreprise, quelle que soit sa taille, ou est-ce que le mouvement doit être impulsé à un autre niveau, à un niveau plus global ?

Anthony Babkine : J'ai l'impression que l'entreprise est forcément sensible à son écosystème. Il y a beaucoup de lignes qui ont bougé sur ces cinq à 10 dernières années grâce à des mouvements sociaux. On pense à Georges Floyd et tout ce que ça a créé de dramatiques, en termes de prise de conscience, et cetera. Il faut dire que ça a une contagion positive sur l'entreprise qui s'est réinterrogée, par exemple, sur l'inclusion des personnes racisées. On l'appelle comme on veut, mais aux origines géographiques ou culturelles différentes, de se demander si nous, entreprises, on fait en sorte qu'à compétence égale, on a des gens qui se sentent à leur place, qui se sentent inclus dans l'entreprise. Il y a à la fois la contagion, on va dire positive, comme MeToo ou d'autres, qui ont réinterrogé l'entreprise. Je pense que l'entreprise peut aussi inspirer la société.

Pauline Adam-Kalfon : Je n'opposerai pas du tout entreprise et société. Je pense que le temps où les dirigeants étaient focalisés uniquement sur la rentabilité, la performance économique de l'entreprise, ce sont des temps qui sont en train d'être révolus. Nous, chez PwC, on pense qu'une entreprise comme la nôtre, on apporte de la confiance auprès des parties prenantes. On est là aussi pour accompagner ces parties prenantes dans des transformations qui sont complexes, comme le sujet dont on parle, avec des effets durables. La part de tout ce qui est extra-financier va devenir de plus en plus important. Je fais partie de ceux qui pensent que c'est une lame de fond et que l'on est sur des écosystèmes. Aujourd'hui, il y a un écosystème. L'entreprise est connectée aux pouvoirs publics, aux associations, ses clients. Tout ça communique, et tant mieux.

Anthony Babkine : Il y a un acte très fort, c'est celui aussi du jeune diplômé qui n'aura plus envie d'aller dans une entreprise qui n'a pas des engagements affirmés. Il ne vit pas ça comme quelque chose de très ancré dans l'entreprise en se disant qu'il a 20 pourcent de son temps dédié à une mission associative, de partage ou d'engagement. Je pense qu'il y a la génération qui arrive, qui est une génération engagée. Je ne dirais pas dans les veines, mais je parle de la génération Greta Thunberg, qui est énervée au berceau, que l'on a mis en colère et qui se dit qu'elle a quelque chose à réparer. Quand elle va arriver dans l'entreprise, elle va être contagieuse. Si l'entreprise ne sait pas gérer ça, ou si elle n'a pas le bien-être, la bienveillance, l'engagement, et cetera, et pardon, ce sont des mots tartes à la crème peut-être aujourd'hui, le collaborateur ne restera pas dans l'entreprise.

Raphaëlle Duchemin : Quand on change de point de vue, que se passe-t-il ? Est-ce que, de l'autre côté du miroir, la vision est la même ? Pas sûre. Ce sont 1 418 salariés qui ont accepté de donner leur perception, leur point de vue dans cette étude sur l'état des lieux de la mesure de la diversité en entreprise, en partenariat avec PwC, Occurrence et Diversidays. Paulina Adam-Kalfon, vous êtes associée chez PwC, en charge de la diversité et de l'inclusion. Ce qui est frappant, c'est que cette notion de diversité, que l'on peut même mettre au pluriel, est assez floue dans l'esprit des salariés, comme si on avait du mal à la définir. Quarante-six pour cent des personnes interrogées l'avouent.

Pauline Adam-Kalfon : Exactement. Ils ne comprennent pas, soit ils ne comprennent pas du tout, soit ils ne comprennent pas vraiment ce que fait l'entreprise. Il y a celles qui font une journée de temps en temps pour célébrer les inclusions, et c'est tout. Ils sont perdus, ils ont besoin de sens et aussi, d'être des ambassadeurs. Quand on est un salarié bien intégré et que l'on est fier de son entreprise, on est capable d'en parler. Ils ne savent pas, ni en parler, ni par quel bout l'entreprise prend ce sujet, qui est un sujet vaste. On voit bien qu'il y a des enjeux de transparence, mais cette transparence ne peut arriver qu'à partir du moment où il y a une stratégie claire. La stratégie n'est pas toujours claire.

Raphaëlle Duchemin : Anthony Babkine, cofondateur de l'association Diversidays, il y a ce constat chiffré. Après, il y a un autre constat, parce que quand on leur donne les clés de lecture, là, en revanche, ils se disent à la fois engagés et sensibles à la question, les mêmes salariés.

Anthony Babkine : Oui. Je pense qu'il faut prendre des termes très simples et accessibles pour parler de tous nos sujets. Je le vois là, aujourd'hui. On a créé un programme qui s'appelle TechYourPlace, avec l'association, qui permet aux startups, justement, d'initier cette démarche de diversité et d'inclusion. Toutefois, derrière, c'est de dire comment adresser ce sujet. Déjà, c'est en formant les équipes tout simplement. Nous, on fait des webinars mensuels où on adresse : c'est quoi le fait religieux en entreprise ? C'est quoi l'égalité femme/homme ? C'est quoi l'inclusion des personnes en situation de handicap dans l'entreprise ? Tout ce sujet pédagogique par lequel on peut rentrer est plus implicite que de demander ce que leur entreprise fait en termes de diversité et d'inclusion. Il faut le prendre comme un vrai sujet à bras-le-corps, comme un sujet de montée en compétence.

Raphaëlle Duchemin : Pauline Adam-Kalfon ?

Pauline Adam-Kalfon : Complètement en phase. Ce sont des sujets sur lesquels on ne nous forme pas à l'école. On n'a pas les codes, on n'a pas les réflexes. Pourtant, être un leader inclusif, c'est une vraie compétence. Nous, par exemple, on a fait le choix de démarrer par des formations. Tu citais Mozaik RH, on a travaillé avec eux, ils nous ont vraiment aidés à bien comprendre ces sujets, à bien comprendre la notion de biais inconscient, à savoir réagir. Maintenant, on est dans une deuxième phase où on a mis en place un programme de formation absolument massif. On forme tous nos salariés, quel que soit son grade, du stagiaire au président de PwC France et Maghreb et au-delà, pour former tout le monde à être un leader inclusif.

Raphaëlle Duchemin : Si je vous entends bien tous les deux, c'est que ce qui est mis en œuvre parfois dans l'entreprise n'est pas forcément visible du côté des salariés. Qu'est-ce qu'il faut faire pour que la politique mise en place les fasse davantage participer pour réussir à les embarquer ?

Anthony Babkine : Je pense qu'il y a un vrai sujet de communication, c'est évident. C'est-à-dire que l'entreprise se saisisse des outils qu'elle a et les rende plus visibles, plus accessibles. Ce que disait Pauline, c'est important, autrement dit, est-ce que l'on forme vraiment tous les niveaux de l'entreprise, du jeune arrivant à celui qui est là depuis 10 ou 15 ans, que les pratiques soient normalisées ? Ce qui est intéressant dans l'étude, c'est ce petit paradoxe que l'on note, à savoir que le manager est souvent le premier auteur de discrimination.

C'est lui qui va, à un moment, par des propos, par une attitude, avoir une attitude discriminante ou avoir des propos discriminants. De l'autre, c'est que quand on demande au salarié qui est la première personne qu'ils iraient voir, ce n'est pas forcément le RH, c'est le manager. Si on forme massivement les managers, on normalise une espèce de cadre où les gens savent quand on est dedans ou en dehors. C'est-à-dire, on rend ces pratiques un peu plus normalisées, on les fait connaître plus largement dans l'entreprise et on fait savoir que ces pratiques existent.

Pauline Adam-Kalfon : Je crois aussi qu'une des clés pour faire connaitre ce que fait l'entreprise, c'est d'offrir la possibilité à chacun et chacune de pouvoir s'engager. Il y a des niveaux d'engagement qui sont très variables. Il y a le niveau de base. Par exemple, nous avons fait le choix que pour tout le monde, le niveau de base est d'avoir les clés et d'être upskiller sur ces sujets, donc cette formation. C'est le fait de mettre en place un système d'alerte éthique, de mettre en place un canal et demander et inviter les salariés qui seraient dans ces situations à remonter les actions. Un autre niveau d'engagement, ça peut être d'être rôle modèle. Souvent, il y a certaines personnes qui sont issues de telle ou telle diversité qui ont l'impression que le chemin de carrière s'arrête très vite dans l'entreprise dans laquelle ils sont.

Parfois, ils se trompent. Eux-mêmes n'arrivent pas à imaginer que l'on peut avoir des chances. C'est très important que l'entreprise rendre visible aussi des rôles modèles qui ne sont pas tous les mêmes. Un autre moyen est d'être un allié. Je vais donner un exemple : chez PwC, on a mis en place un programme qui s'appelle Seed, pour l'équité femmes/hommes. Pour la première année, nous avons une équité totale, une parité entre les mentors hommes et les mentors femmes, en embarquant les hommes comme allié. C'est un accélérateur incroyable.

Raphaëlle Duchemin : Vous parlez d'égalité homme/femme, ça m'amène à la question des quotas. C'est vrai que, souvent, le mot fait peur. Il a fait ses preuves et, quand on regarde l'étude, les trois quarts des personnes interrogées sont, justement, favorables à la mise en œuvre de ces quotas, notamment les jeunes.

Anthony Babkine : C'est le paradoxe de l'étude, c'est une génération de patrons et patronnes, qui est plutôt contre, et des salariés qui sont plutôt pour. C'est ce rapport de force entre des salariés qui ont conscience qu'à un moment, s'il n'y a pas de quota, ils n'auront jamais leur place, parce qu'ils seront invisibilisés. Je suis très en phase aussi avec ça, sur ce qu'a dit Pauline, sur la partie rôle modèle, c'est vrai que les représentations comptent. Si on est une personne racisée dans l'entreprise et que l'on se rend compte qu'à la tête, il n'y en a aucune et que l'on a certes, un poste peut-être à responsabilité dans l'entreprise, on se demande à quel moment, on va nous donner notre chance ?

Je viens de parler de la couleur de peau, mais j'aurais pu vous parler du handicap ou de l'âge. Si on voit que la moyenne d'âge est à 55 ans au ComEx, on se dit qu'en tant que jeune pousse, il faut attendre 20 ans avant de compter dans l'entreprise. On peut le prendre de mille-et-une manières. Ces représentations comptent véritablement, on dit à n'importe qui dans l'entreprise que peu importe les différences, d'où tu viens ou ton niveau de diplôme, tu as ta chance dans l'entreprise, tu as ta chance de réussir. Ces représentations-là sont extrêmement importantes.

Raphaëlle Duchemin : Pauline ?

Pauline Adam-Kalfon : Ce sujet des quotas divise. Vous le disiez, on a un petit peu plus de 70 pour cent des salariés qui sont pour. Chez les jeunes, de mémoire, 77. Chez les dirigeants, évidemment, c'est moindre, mais les choses bougent un peu, puisque l'étude montre que l'on a 51 pour cent des dirigeants que l'on a interrogés qui sont pour. On a un vrai quart, près de 25 pourcent, qui sont contre. Il y a quand même quelque chose qui les rassemble, c'est que les dirigeants soient pour ou contre les quotas, ils sont 58 pour cent à considérer que ça fonctionne. C'est là que ça les rassemble. Là où je pense qu'ils sont alignés, c'est que, globalement, ils ont bien compris que c'est en fixant des objectifs que l'on fait avancer les choses.

Raphaëlle Duchemin : Lever les freins, faire tomber les préjugés de part et d'autre pour ne pas avoir une société stéréotypée qui exclut ce qui ne lui ressemble pas. Il faut que les peurs disparaissent. Un travail de longue haleine qui nécessite de construire des passerelles que tout le monde pourra emprunter dans un sens ou dans l'autre. La difficulté aujourd'hui, Pauline, Anthony, c'est que chaque entreprise a bâti dans son coin son propre outil, à son image. Est-ce que l'on peut imaginer un instrument qui puisse servir à tous ? C'est aussi le sens de cette étude.

Anthony Babkine : Il faut uniformiser, je pense, les index. L'entreprise le voit comme une contrainte, aujourd'hui, souvent. On voit qu'il y a eu l'index égalité femme/homme, l'index diversité par Élisabeth Moreno qui est ultra-utile. Attention, on a été moteur, on est content qu'il sorte. Il y a toute la partie sur le handicap aussi, avec les différentes mesures légales, sur les six pour cent de personnes en situation de handicap dans l'entreprise, à partir de certaines tailles d'entreprises. À un moment, il faudra que quelqu'un, un député ou un membre du gouvernement à venir, se plonge dans cette idée d'uniformiser. Qu'il prenne tous ces index, tous ces indicateurs, et donne une grille de lecture commune. Cela, pour faire en sorte qu'à un moment, il y ait un socle commun et que chacun puisse se comparer en termes de niveau d'inclusion.

Raphaëlle Duchemin : Pauline, les grands groupes ont peut-être été les premiers à être sensibilisés et à signer des chartes. Est-ce que vous diriez, on en a parlé tout à l'heure, que le trou dans la raquette est davantage aujourd'hui dans les entreprises de taille intermédiaire ou dans les petites entreprises ?

Pauline Adam-Kalfon : Définitivement, et pour plusieurs raisons. D'abord, une petite entreprise est moins outillée que les grandes entreprises. Elle n'a pas une fonction RH avec des personnes dédiées pour prendre ces sujets et surtout pour pouvoir expérimenter. Parce que là, on parle vraiment d'expérimentation sur la mesure de la diversité. Au-delà des différents index qui viennent des pouvoirs publics et qui sont opérées par les entreprises, il y a, on en a parlé tout à l'heure, les index des entreprises elles-mêmes. Soit, en tout cas, les mesures qu'elles peuvent faire par des études de sensibilité et de perception de la part des salariés. Il y a aussi des index qui existent, qui ont été créés par des associations, je pense à celui de Mixity, et cetera.

À un moment donné, ce n'est pas possible de suivre 14 index en parallèle, je rejoins complètement Anthony, et c'est encore moins possible quand on est une petite entreprise. Il va y avoir un besoin très important d'accompagner et de trouver des moyens qui soient adéquats pour les petites structures. Je voudrais dire aussi que je pense que les fonds, je voudrais parler des fonds d'investissement, sont en train de prendre aussi leurs responsabilités autour de ces sujets. On voit aussi des fonds d'investissement qui inscrivent dans les critères d'investissement, des critères qui sont liés à l'ESG de façon générale. Que ce soit à la politique, à ce que fait l'entreprise pour l'environnement, mais aussi autour de l'inclusion et de la diversité. Je pense que c'est un canal qui est en train de prendre sa place et de jouer son rôle autour de ces sujets.

Raphaëlle Duchemin : L'ambition, finalement, avec cette étude, c'est une première preuve, pour vous, de montrer que les choses sont en train d'évoluer ? On prend rendez-vous finalement en écrivant les choses, en les posant sur le papier, en faisant les constats ?

Anthony Babkine : C'est important de faire un constat. C'est important de donner envie. Chez Diversidays, on est dans cet acte-là qui consiste à voir le verre à moitié plein plutôt qu'à moitié vide. Le chiffre que je retiens à chaque fois, ce sont ces 90 pour cent des collaborateurs qui veulent que l'entreprise s'engage davantage, aille plus loin. On vit un moment de société où tout le monde a envie de se sentir à sa place, se sentir égal dans l'entreprise, ne pas se sentir jugé. On est dans une nouvelle phase où il s'agit d'écrire l'histoire de l'entreprise avec des gens très différents qui veulent se sentir à leur place et qui veulent avoir leur chance. C'est le rôle de l'entreprise aussi. L'entreprise y est pour beaucoup sur le climat social. Si elle peut contribuer dès demain à faire en sorte que les gens ne se sentent pas intégrés, mais se sentent inclus, on a déjà un petit peu réussi le pari.

Pauline Adam-Kalfon : Je pense que l'on a un alignement des planètes. On a un cadre législatif qui pousse même les plus récalcitrants. Puis, à la rigueur, finalement, peu importe que l'entreprise ait vraiment envie d'y aller, l'essentiel est qu'elle y aille. Évidemment, c'est beaucoup mieux si elle a envie d'y aller. Néanmoins, on a ce cadre législatif. On a presque 70 pour cent des salariés qui ont comme critère de choix pour aller rejoindre une entreprise le fait que l'entreprise soit inclusive. De toute façon, on est dans une guerre des talents. Chez toutes, les entreprises veulent attirer des talents, c'est une demande des talents. Il y a cette performance économique à la clé aussi. C'est quand même pas mal d'aller s'engager vers quelque chose qui est plus juste et qui, in fine, permette la performance économique.

Je pense que l'on a un alignement des planètes. C'est très important de pouvoir inscrire les choses, prendre rendez-vous et pouvoir mesurer les progrès et aussi mesurer ce qui n'avance pas. Évidemment que l'on va se tromper, parce que c'est un sujet aussi d'innovation sociale, économique. On va mettre en place des actions qui ne vont pas porter leurs fruits. Ce n'est pas grave. Ce qui est important est de pouvoir mesurer que ça n'a pas eu les effets escomptés, d'arrêter l'action pour pouvoir en faire une autre. C'est vraiment important d'inscrire et de suivre dans la durée.

Raphaëlle Duchemin : Merci, Pauline Adam-Kalfon, associée PwC France Maghreb, pour les questions notamment d'inclusions et de diversités au pluriel. Merci à vous aussi, Anthony Babkine, cofondateur de Diversidays, pour cet état des lieux de la mesure de la diversité en entreprise. Je voudrais terminer par une citation, peut-être parce que c'est vrai qu'elles sont nombreuses, les voix, depuis des siècles, à louer les mérites de la diversité. Que ce soit Montaigne, La Fontaine, en passant par Balzac, ou même, plus près de nous, Edgar Morin. J'en ai choisi une qui, peut-être, nous aidera à prendre conscience de l'enjeu, elle date de 1979, temps court, temps long. C'est Ian Watson, britannique, qui écrivait ceci dans Le monde divin : « La civilisation n'a commencé qu'avec la différenciation, la conscience de la diversité, de l'existence de l'autre ».

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Pauline Adam-Kalfon

Pauline Adam-Kalfon

Associée responsable Inclusion et Diversité, PwC France et Maghreb

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