27e Global CEO Survey : Prospérer à l'ère de la réinvention continue

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Dans un contexte marqué par des évolutions économiques, géopolitiques et sociétales, plongez au cœur des réflexions des dirigeants français et internationaux avec la 27e édition de la PwC Global CEO Survey.

Ce nouvel épisode, animé par Raphaëlle Duchemin en compagnie de Patrice Morot, Président de PwC France et Maghreb, explore l’approche des dirigeants français face aux transformations qui redéfinissent le paysage de leurs organisations. 

Tels des équilibristes, les dirigeants doivent garantir la pérennité de leurs entreprises avec agilité, tout en jonglant avec de multiples risques et incertitudes. Cette nouvelle édition met en lumière l'engagement des dirigeants à embrasser un parcours de transformation continue et durable, plaçant l’action au cœur de leur stratégie. 

 
Raphaëlle Duchemin: Il y a des mots qui surgissent dans notre quotidien et qui nous donnent l'occasion de nous interroger. C'est le cas du verbe pronominal qui est un peu le fil conducteur de cette 27ᵉ édition de la CEO Survey menée par PwC. Ce verbe, c'est : « se réinventer ». Si l'on en croit le Larousse, cela signifie donner une nouvelle orientation à sa vie ou à sa carrière. C'est précisément ce que sont forcés de faire les patrons aujourd'hui pour donner une chance à leur entreprise d'être encore là dans 10 ans. Ce n'est pas moi qui le dis, mais le résultat de l'enquête menée, comme chaque année, par PwC. 4 702 dirigeants dans 105 pays interrogés, et le constat est le même : se transformer est un impératif. Je suis Raphaëlle Duchemin et je vous propose de regarder de plus près comment nos dirigeants, les dirigeants français, réagissent. 86 d'entre eux ont accepté de répondre. 

Bonjour, Patrice Morot.

Patrice Morot: Bonjour.

Équilibre, Incertitude, Adaptation et Résilience : les maîtres mots de cette nouvelle édition

Raphaëlle Duchemin: Merci d'être avec nous, président de PwC France et Maghreb. Vous êtes un habitué de ce rendez-vous podcast. On se retrouve chaque année pour prendre, en quelque sorte, le pouls des dirigeants. Avant d'entrer dans le détail, je voudrais vous proposer quelques mots qui me semblent être assez révélateurs de cette étude : équilibriste d'abord. C'est ça qui est demandé aujourd'hui aux dirigeants, marcher sur un fil en ayant conscience du risque, mais en gardant le regard au loin pour ne pas risquer de tomber ?

Patrice Morot: C'est un beau symbole pour démarrer. Si je regarde le principal enseignement de la CEO Survey, aujourd'hui pour les dirigeants français, on constate qu'ils sont lucides, qu'ils sont résilients, ils sont pragmatiques, dans un monde de polycrise et un monde qui est compliqué. Ils sont beaucoup plus matures que les autres dirigeants, notamment sur les enjeux climatiques, et on sait que c'est important. Ils sont relativement confiants sur leurs perspectives de croissance. Ce qu'on observe en revanche, c'est qu'ils sont prudents, voire trop prudents, par rapport aux autres dirigeants et peut-être plus sensibles aux risques.

Raphaëlle Duchemin: Ça, ce sont vos mots, moi, j'en ai d'autres à l'intérieur de ma liste. Vous allez me dire si vous êtes d'accord avec moi. J'ai noté "Incertitude", parce que c'est un peu aussi la nouvelle composante pour regarder loin. C'est de plus en plus compliqué, il faut établir une stratégie sans savoir si cette stratégie qu'on est en train de bâtir va durer ou pas plus de 24 mois.

Patrice Morot: Aujourd'hui, les dirigeants ont acquis une certaine confiance. Ils ont confiance dans leur capacité de s'adapter, capacité de faire face à cet environnement de crise permanent. Ils ont aussi pris conscience de cette nécessité de se transformer.

Raphaëlle Duchemin: J'en ai noté deux autres et après, on rentre dans le détail, si vous le voulez bien. J'ai noté "Agilité", parce que, pour moi, c'est peut-être le muscle le plus sollicité chez l'entrepreneur, puis "Durabilité". C'est une notion qui est aussi à mettre en filigrane pour les nouveaux enjeux, mais aussi pour la pérennité des entreprises.

Patrice Morot: "Agilité", moi, je parlerais d'adaptation. Je pense que c'est une des caractéristiques très nettes de cette enquête. C’est-à-dire qu'aujourd'hui les dirigeants ne se font plus peur, en quelque sorte. Ils ont appris à vivre avec cet environnement fait de crises, fait d'incertitudes et ils s'adaptent. "Durabilité", là, je dirais, c'est résilience. Aujourd'hui, on est en train d'arbitrer le temps court et le temps long, et ça, c'est une caractéristique qui est assez nouvelle. Dans l'agenda des dirigeants que nous sommes, c'est quelque chose d'assez compliqué, parce que vous devez à la fois gérer ce temps court et, en même temps, vous projetez dans le temps long. Je vais vous donner juste un chiffre, on y reviendra peut-être, mais que moi, j'ai trouvé très intéressant dans cette étude. On pose la question aux dirigeants, on leur demande à chaque fois, "Si vous ne changez pas votre modèle d'affaires, est-ce que vous pensez que votre entreprise sera encore vivante dans 10 ans ?". Cette année, 60% des dirigeants français estiment que s'ils ne changent pas leur modèle d'affaires, leur entreprise peut disparaître.

Patrice Morot: Ils étaient 40% l'an dernier. Vous voyez bien, on est dans cette notion de comment avoir une entreprise qui va traverser le temps, qui va se transformer, qui va être plus résiliente, plus durable.

La modération française : lucidité ou illustration de la résilience ?

Raphaëlle Duchemin: On a le vocabulaire, l'introduction est faite. Je propose qu'on décrypte maintenant cet état d'esprit des dirigeants français. Comment voient-ils l'avenir, est-ce qu'ils ont la même perception que leurs homologues Chinois, Allemands ou Américains ? Manifestement pas. 2022 était plutôt très moyen, j'ai envie de dire, côté moral des dirigeants, 2023 n'était guère mieux. On a le sentiment que la confiance est quand même de retour, lentement, mais sûrement. Les patrons que vous avez interrogés sont un peu plus nombreux à penser que la croissance économique sera bel et bien au rendez-vous cette année en 2024, 30%, alors qu'ils n'étaient que 9% l'année passée. Ça, vous l'expliquez ? C'est très français, en plus.

Patrice Morot: C'est à la fois français, mais c'est ce qu'on constate aussi au niveau international. Quand on leur pose la question sur l'évolution de l'économie, que ce soit au niveau mondial ou en France, vous l'avez dit aujourd'hui, on voit qu'il y a un peu moins de la moitié qui pense que ça va se dégrader, alors que l'an dernier, ils étaient deux tiers. Quand on leur pose surtout la question sur la croissance de leur propre chiffre d'affaires, là, ils sont 33% en France à être très confiants, et ça monte à 50% quand ils se projettent sur trois ans. On voit qu'on est reparti sur une confiance relative, un plus grand optimisme. Je fais le lien entre cette confiance et cet optimisme relatif, avec ce côté plus résilient et surtout, cette capacité à traverser les crises et à s'adapter.

Raphaëlle Duchemin: On peut même peut-être parler de lucidité très particulière des dirigeants français, qui font une lecture assez réaliste des soubresauts de l'actualité économique, avec des crises en tout genre qui viennent traverser, çà et là, leur quotidien de patron. On a le sentiment qu'ils se disent bien malin, celui qui pourra prévoir. Comme ils n'ont pas de boule de cristal pour établir des plans à long terme dont ils sont sûrs, on se dit : "Tiens, ils restent dans un entre-deux". C'est comme ça qu'il faut dire leur prise de position ?

Patrice Morot: Je pense que sur 2024, même si on a dit tout à l'heure, il y a plus d'incertitude et le premier semestre 2024 va probablement être un peu plus compliqué, un peu plus en demi-teinte par rapport à la deuxième partie de l'année. Ce qu'on peut dire, c'est que oui, les dirigeants français sont un peu plus confiants qu'en 2023, pour autant, on voit qu'il y a une situation et des risques. Quand on leur demande "Quels sont les risques ou les menaces que vous voyez à l'horizon ?", ils sont 40% à vous citer le risque cyber, 35% à vous citer l'inflation et encore 30% à vous citer la volatilité macroéconomique, alors qu'à l'international, les dirigeants, leurs paires, sont moins inquiets.

Raphaëlle Duchemin: Ce qui s'applique à l'économie du pays vaut aussi pour leurs propres entreprises, et ça, c'est assez intéressant. Ils ne veulent pas faire de plans sur la comète. C'est en tout cas le sentiment qu'on a quand on lit cette étude, peut-être de peur d'être rattrapé par les fameux éléments extérieurs, d’où cette prudence. C'est un peut-être des autres maîtres-mots de cette étude ? Est-ce que vous le voyez comme ça ?

Patrice Morot: Je pense qu'il y a effectivement plus de prudence par rapport aux autres dirigeants mondiaux. Ça, c'est clair. Je pense que c'est aussi caractéristique de cette aversion au risque, relative évidemment, que peuvent avoir les dirigeants français. Je vais vous donner un exemple : l'intelligence artificielle générative. Quand on a posé la question aux dirigeants dans cette enquête, et on leur a dit, "Les 12 derniers mois, est-ce que vous avez adopté l'intelligence artificielle générative ?", ils ne sont que 22% en France à dire qu'ils l'ont adopté, là où ils sont 32% à l'international.

Patrice Morot: Ce que ça veut dire, c'est qu'il y a un plus grand pragmatisme des dirigeants français et plutôt que se lancer tête baissée, ils vont plutôt aller avec un apprentissage progressif, ils vont plutôt aller avec des cas d'usage. Ça peut être à la fois une force, mais ça peut aussi être un frein par rapport à la créativité et à l'innovation, surtout dans un environnement où tout s'accélère, il y a besoin de se transformer très rapidement. Il faut parfois faire des paris, ces paris peuvent être négatifs, aboutir à quelque chose qui n'est pas ce qu'ils auraient souhaité, mais n'empêche qu'il faut les faire.

Raphaëlle Duchemin: Vous avez raison, parce qu'il y a dans l'étude des exemples qui sont assez parlants. Si vous le permettez, je voudrais faire un parallèle avec un sujet qu'on entend souvent dans l'actualité en France, c'est le fameux sentiment d'insécurité. Est-ce que c'est aussi ce qui se passe avec les dirigeants, une perception plus accrue des risques ou un possible danger qu'ils verraient poindre et qui les empêche d'agir ? Je pense par exemple à la menace cyber. Il y a 21% des dirigeants mondiaux qui se disent exposer, en France, c'est 40%. C'est deux fois plus. Alors que la menace, c'est la même partout.

Patrice Morot: Il y a probablement une plus grande acuité, une plus grande sensibilité aux risques. C'est assez clair par rapport aux dirigeants français. Les enquêtes précédentes montraient d'ailleurs à peu près les mêmes traits. Sur le risque cyber, je pense qu'il faut avoir plusieurs éléments. Il y a d'abord une sorte de rattrapage technologique en France, et puis aussi l'émergence de l'intelligence artificielle générative qui cristallise plus de risques. On peut peut-être penser aussi qu'avec les jeux olympiques, tous ces risques remontent. Il y a donc potentiellement un sentiment de risques plus élevés lié à cela. Je ne pense pas que les dirigeants français soient fondamentalement deux fois plus inquiets que les dirigeants mondiaux, mais je pense qu'il y a aujourd'hui un environnement qui exacerbe un petit peu ça et qui explique les raisons pour lesquelles on a des pourcentages plus élevés de réponses des dirigeants français que des dirigeants mondiaux.

Raphaëlle Duchemin: Les fameux éléments extérieurs, comme vous disiez tout à l'heure. En revanche, ça, c'est aussi intéressant, et on y va à gros traits, on rentrera dans le détail ensuite. On semble, nous, dirigeants français, plus préoccupés que les dirigeants du reste du monde par les questions de RSE, et ce n'est pas la première fois qu'on le voit dans l'étude.

Patrice Morot: Tout à fait, et c'est un point très positif, parce qu'on voit que les dirigeants français sont beaucoup plus sensibles, aux risques climatiques. Quand on interroge les dirigeants pour leur demander "Est-ce que vous avez déjà finalisé ou mis en place des actions pour améliorer l'efficacité énergétique ?", ils sont 85% à répondre positivement, là où la moyenne mondiale est plutôt à 75%. C'est positif. Quand on regarde cet élément-là, on voit que les dirigeants, que ce soit français ou mondiaux, ont plus mis en place ou finalisé des mesures de meilleure efficacité énergétique, plutôt que des mesures d'adaptation, voire sur la biodiversité. C'est positif, mais il y a encore beaucoup à faire.

Se transformer : entre facteurs externes et actions délibérées

Raphaëlle Duchemin: Dans cette enquête, le dirigeant est souvent comparé à un navigateur, au milieu des tempêtes, il veut garder le CAP et il doit pour cela adapter et accepter les changements de routes et d'outils pour naviguer. Si le capitaine sait qu'il a des cartes en main pour l'aider et pour arriver à bon port, il a aussi conscience qu'il va devoir composer avec les fameux éléments extérieurs.

Patrice Morot, la météo économique a été très changeante et les avis de gros temps se sont un peu multipliés ces dernières années. C'est vrai que les patrons français ont compris qu'ils allaient devoir renforcer la coque du navire s'ils ne voulaient pas couler, c'est-à-dire accepter d'opérer des transformations durables. Ils doivent faire ou ils font, ça dépend, avec la réglementation gouvernementale, avec l'action des concurrents, les modifications des préférences des clients, et ce sont des exemples. Ces trois raisons-là, je ne les ai pas choisis au hasard, parce qu'elles sont fondamentales dans leurs actions, dans le changement des choses au quotidien.

Patrice Morot: Première chose déjà, vous avez raison, je pense qu'il y a une vraie urgence à se transformer, et ça, c'est très net. 60% des dirigeants français pensent que s'ils ne changent pas leur modèle d'affaires, dans 10 ans leur entreprise n'existe plus. Là, au moins, c'est clair, on sait qu'il faut se transformer. Quand on les interroge ensuite pour savoir s'ils ont mis en place d'actions de transformation, ils sont 85% à répondre positivement sur le fait qu'ils ont mis une action de transformation en place. Ça peut être des changements technologiques, des nouveaux outils, ça peut être des nouveaux produits, ça peut être aussi au travers de partenariats stratégiques. Par contre, et vous l'avez dit, quand on leur demande quels sont les leviers, les facteurs de changement, les dirigeants français se distinguent des autres dirigeants dans le monde parce que, plutôt que citer le changement technologique ou l'urgence climatique, ils vont citer l'obligation réglementaire, et là, on est en France !

Raphaëlle Duchemin: C'est loin devant même, c'est ce qui les pousse à agir.

Patrice Morot: C'est très loin dedans, mais en même temps, quand on y réfléchit, il y a un tel besoin d'urgence à se transformer et à accélérer que je pense qu'en France, mais pas uniquement, puisqu'on voit que c'est en Europe aussi, ça passe aussi par l'incitation. L'incitation, je dirais presque l'obligation. Si vous voulez vous transformer rapidement, surtout que, parallèlement à ça et paradoxalement, quand vous demandez aux dirigeants quels sont les freins au changement, il vous cite là, pour le coup, les obligations réglementaires aussi, la sur-réglementation. Allez comprendre quelque chose dans ces paradoxes.

Raphaëlle Duchemin: C'est le paradoxe français.

Patrice Morot: Exactement, c'est ce que j'allais dire. Vous m'ôtez le mot de la bouche. C'est le paradoxe français et je crois que ce paradoxe français, c'est bien. Vous avez d'une part besoin d'obliger et de pousser pour accélérer cette transformation et, en même temps, vous êtes français et quand on vous contraint, vous n'aimez pas ça.

Partenariats stratégiques : créer de la valeur commune en temps de crises 

Raphaëlle Duchemin: Il y a un autre point intéressant qui m'a interpellé, qui est assez nouveau, c'est la notion des partenariats stratégiques. Ça aussi, ça transparaît dans l'étude qu'a menée PwC. Attaqué, secoué par les crises, on s'oblige à réfléchir désormais à plusieurs, on se serre les coudes, on fabrique de la valeur commune. Avez-vous des exemples ?

Patrice Morot: Moi, je vais vous donner un exemple qui me frappe toujours et je trouve ça très dommage. C'est pour ça que l'intelligence artificielle générative, je pense que c'est probablement un des enjeux majeurs pour l'Europe. Je ne parle pas que de la France, mais pour l'Europe. Aujourd'hui, nous n'avons pas un acteur de niveau mondial dans les technologies du type le cloud. Ce sont les acteurs américains, c'est Google, c'est Amazon, c'est Microsoft.

Si on veut demain avoir un acteur mondial, il faut se mettre à plusieurs, au niveau européen. Ce n'est pas quelque chose que l'on peut faire tout seul dans son coin en France, ça nécessite de très gros investissements et ça nécessite des partenariats, et des coalitions. Ça, je pense que c'est très important. La France a un rôle à jouer, bien sûr, mais l'Europe a un rôle à jouer en poussant pour avoir plus d'acteurs européens de dimension mondiale, sinon, nous allons finir très loin et probablement très distanciés, soit par les Américains, soit par les Chinois, qui arrivent de manière extrêmement forte.

Nouvelles compétences des collaborateurs : l’exemple de PwC 

Raphaëlle Duchemin: Justement, quand on parle de transformation, de faire pivoter les entreprises, ça demande aussi des nouvelles compétences. Il faut, là aussi, rebattre les cartes. Certaines sont nécessaires, aujourd'hui, on ne les a pas en interne, elles n'existent pas. Ça aussi, c'est une des remontées de cette étude PwC 2024.

 
Patrice Morot: Oui, et je pense qu'en France, on est plutôt bien armé en termes de volonté, en termes de formation, en termes d'identification de ce sujet, je pense qu'il a été très bien identifié. Si je prends l'exemple de PwC aujourd'hui, on investit de manière extrêmement forte, on déploie ces outils d'intelligence artificielle de manière très forte à l'ensemble de nos collaborateurs, et on va les former à l'utilisation de ces nouveaux outils. Je pense qu'aujourd'hui en France, parce que les dirigeants français ont identifié le sujet des compétences comme étant un sujet important, et ils l'ont dit, d'ailleurs, ils sont presque à 60% à avoir indiqué qu'il va falloir l'intelligence artificielle, et cetera, va nécessiter d'avoir de nouvelles compétences, et je pense qu'on a l'écosystème pour ça. Ça, c'est une chance. On a quand même un système éducatif et de formation aujourd'hui, qui est de très bonne qualité, même si certains le critiquent.

Actions contre le changement climatique : une maturité française

Raphaëlle Duchemin: C'est étonnant de voir aussi qu'on ne perçoit pas, comme les autres patrons du reste du monde, les choses, notamment sur le changement climatique. Moi, j'étais assez frappée par ça. On voit que le changement climatique est dans le tiercé de tête des préoccupations des patrons français, neuf points plus haut que chez les autres dirigeants. Pourquoi ?

Patrice Morot: L'explication que j'en vois, c'est parce que quand vous demandez à un dirigeant quels sont les principaux risques ou les principales menaces, il va regarder ce qui est à court terme. Je pense que c'est très clair aujourd'hui que les dirigeants français et la France, on va se le dire, un peu de cocorico quand même, la France est en avance sur ces sujets, même si certains pensent que ce n'est pas suffisant, mais ce n'est pas ce qui fait leur quotidien, ce n'est pas ce qui fait le court terme. C'est pour ça que je parlais tout à l'heure de cette différence entre vous devez gérer le court terme, vous devez gérer le long terme en même temps. C'est pour ça que les dirigeants français sont bien exposés sur ce long terme.

Raphaëlle Duchemin: Patrice Morot, ça fait déjà quelques années qu'on constate un degré de maturité sur les questions climatiques en France et je voudrais qu'on s'arrête vraiment sur ce sujet, parce que ça n'est pas un hasard. Dans le détail, on voit bien que les deux tiers des dirigeants ont, dans leurs entreprises, effectué des efforts pour améliorer, et vous l'avez dit tout à l'heure, l'efficacité énergétique. On a toutefois le sentiment qu'ils ne prennent pas le sujet dans sa globalité, et vous l'avez rappelé. Ils vont mettre un coup d'accélérateur sur la décarbonation, par exemple, mais ils vont être peu nombreux à se préoccuper de la biodiversité. Pourquoi est-ce qu'ils prennent les choses par petites touches comme ça ?

Patrice Morot: Je pense que c'est d'abord parce que le sujet est immense, il est énorme, et qu'on l'a pris par le biais qui était le plus pressant, c'est-à-dire cette urgence climatique. Moi, je pense qu'on va assister à une accélération très importante dans les quelques années qui vont venir, notamment sous l'impulsion et là, je le dis, des obligations réglementaires et de la CSRD, qui est la fameuse directive sur la durabilité. Les dirigeants sont en train d'intégrer ces obligations réglementaires dans leur stratégie, de manière à mieux anticiper et surtout, à ne pas le subir.

Raphaëlle Duchemin: La conscience, elle est là, 38% des dirigeants chez nous, intègre le risque climatique dans leur planification financière. Ça ne veut pas dire qu'il n'y a pas d'angle mort, il y en a quelques-uns.

Patrice Morot: Absolument, il y a encore un certain nombre de sujets qui ne sont pas suffisamment traités, mais le fait même, aujourd'hui, de devoir travailler sur ce fameux reporting de durabilité, sur les fameuses indicateurs extra financiers sur lesquels il va falloir communiquer demain, ça veut dire qu'aujourd'hui de plus en plus d'entreprises sont en train d'intégrer ces indicateurs au sein même de leur stratégie. Je suis donc convaincu que ça va accélérer encore plus toutes les actions auxquelles sont en train de mener, et pas uniquement sur la décarbonation, mais aussi sur l'adaptation. La protection des actifs physiques aux risques climatiques, par exemple, et bien évidemment, progressivement, la biodiversité. On commence à parler beaucoup plus de la biodiversité que ce qu'on en parlait il y a encore un an.

Raphaëlle Duchemin: Vous avez évoqué la réglementation et la fameuse CSRD. C'est vrai que c'est un exemple qui donne pas mal de sueurs froides aux patrons et là encore, on est dans une nouvelle réglementation européenne. Derrière ce que beaucoup considèrent comme une contrainte, il y a une transformation réelle du modèle.

Patrice Morot: C'est une réglementation qui reste complexe, mais moi, je voudrais juste m'éloigner un tout petit peu de cette complexité, qui est réelle. Je pense que beaucoup de dirigeants sont effectivement, je ne dirai pas inquiets, mais conscients que cette réglementation, ils doivent la mettre en place. Moi, en revanche, je voudrais dire que quand j'ai eu des échanges avec des dirigeants, et là où j'ai perçu un changement de posture, c'est dans la capacité à intégrer cette réglementation dans la stratégie de développement durable de l'entreprise. Ce n'est pas juste un exercice de reporting extra financier, mais c'est un exercice beaucoup plus large pour embarquer la stratégie et la transformation que l'entreprise doit mettre en œuvre.

Raphaëlle Duchemin: Oui, mais du coup, on se heurte, et ça transparaît d'ailleurs dans l'étude, on se heurte aux questions de rentabilité. Il y a beaucoup qui reconnaissent accepter de faire des efforts pour faire des investissements respectueux des questions de climat, mais, dans une certaine mesure. À quel moment est-ce qu'on va avoir une sorte de prise de conscience que ce n'est plus une option, mais bien une obligation ?

Patrice Morot: Ça, c'est une question qui est très intéressante, parce qu'on parle de la rentabilité, c'est-à-dire que transformer l'entreprise et aller vers des produits qui sont durables, par exemple, est-ce que ça, c'est quelque chose qui ne doit pas être rentable ? Moi, je ne pense pas. Je pense qu'on peut parfaitement être rentable. Il y a une chose qui est certain, c'est qu'il va falloir faire des investissements, ou des investissements qui sont importants, et se pose la question du financement de ces investissements. Il y a un moment donné où l'Europe, les gouvernements doivent peut-être subventionner une partie. Ils doivent amorcer la pompe, on va dire. C'est ce qu'ont fait, indirectement, les États-Unis, avec le fameux IRA où ils ont amorcé la pompe et, au-delà de l'obligation réglementaire, ont incité d'une autre façon, les entreprises à investir dans les aspects durables.

Raphaëlle Duchemin: Vous parlez d'incitation, est-ce que ce ne sont pas aussi les investisseurs, les marchés qui vont les pousser à devenir plus vertueux en mettant davantage de critères obligatoires dans les politiques à mener ? Est-ce que ça, c'est quelque chose qui peut aussi être plus incitatif ?

Patrice Morot: Absolument, et une chose est certaine, je pense que les investisseurs sont de plus en plus sensibles aux investissements, et au côté durable d'une entreprise.

Raphaëlle Duchemin: À connaître la valeur monétaire réelle de l'impact, entre guillemets, c'est ça ?

Patrice Morot: Ces indicateurs extra financiers, je pense qu'aujourd'hui ils vont permettre progressivement de se faire une idée, de la contribution de l'entreprise à la fois sur son propre modèle d'affaires, mais aussi sur l'impact qu'elle peut avoir sur l'environnement. C'est quelque chose qui va être de plus en plus pris en compte par les investisseurs, et c'est pour ça qu'il faut plutôt se réjouir que les dirigeants et la France soient en avance sur ces sujets.

Technologie : l’approche pragmatique privilégiée 

Raphaëlle Duchemin: Là où les Français ont peut-être un peu plus de mal à rattraper le retard, c'est en matière de technologie. On l'a déjà évoqué, 37% contre 46 à l'échelle internationale, citent ce vecteur comme un élément de transformation. Pour les trois ans qui viennent, en revanche, on dirait qu'il y a une prise de conscience de la nécessité d'accélérer, mais on ne sait pas trop comment.

Patrice Morot: Le changement technologique n'est pas forcément, en tout cas à court terme, cité comme un des facteurs clés. En revanche, quand on leur demande à trois ans, là, ça devient beaucoup plus important. Je pense qu'il y a une forme de rattrapage technologique, il y a une forme de prise de conscience. La transformation, c'est trois grands leviers, trois grands piliers. C'est la réinvention du business modèle, c'est la transition environnementale et c'est la transformation digitale des entreprises. Cette prise de conscience, elle est de plus en plus forte, mais elle est teintée de ce pragmatisme à la française dont on a parlé au début et qui fait que, au lieu d'y aller de manière forte et de manière rapide, les dirigeants français ont plutôt l'impression d'abord de vouloir tester. C'est ce que je perçois dans ces réponses.

Raphaëlle Duchemin: L'IA générative, c'est aussi un des sujets dans ces fameux changements technologiques qui préoccupent particulièrement les patrons français. On sent qu'il y a encore des doutes quant à l'utilité peut-être de l'outil pour repérer les transformations. Je crois qu'il y a un dirigeant sur deux qui voit que ça a été adopté dans son entreprise et 78% qui disent que non en France. Pourquoi ce gap ?

Patrice Morot: En France, vous n'en avez que 22% qui disent avoir adopté les 12 derniers mois ces nouveaux outils, alors qu'à l'étranger, ils sont 32%. Ils sont donc un peu plus nombreux, mais ce n'est pas non plus un effet massif. Quand on regarde à trois ans et quand on leur demande, "Sur les trois prochaines années, est-ce que vous pensez que vous allez créer plus de valeur avec ?", là, ça remonte tout de suite à 56%, à 76% pour les dirigeants étrangers. On voit qu'il y a toujours un gap entre les dirigeants français et les dirigeants à l'étranger et là encore, je pense que c'est la preuve de ce pragmatisme des dirigeants français qui veulent tester plutôt qu'Immédiatement adopter une nouvelle technologie.

Raphaëlle Duchemin: C'est la même chose pour les bénéfices générés par l'IA, on sent qu'il y a un réel, je veux dire scepticisme, vous me corrigerez, mais...

Patrice Morot: Il y a effectivement un vrai questionnement, mais comme ça peut être le cas sur d'autres technologies, quand il y a eu la blockchain, les cryptomonnaies, quand il y a eu le metaverse. Est-ce qu'on est face à un effet de mode ou est-ce qu'on est sur une vraie transformation ? Moi, je pense que c'est un vrai changement majeur, une vraie transformation. L'intelligence artificielle générative va avoir des effets massifs. Moi, à titre personnel, je l'utilise aujourd'hui et je peux vous dire que c'est assez bluffant. Il y a des tâches que je fais de manière très différente aujourd'hui et j'espère d'ailleurs que tous mes collaborateurs à qui on a déployé ça feront de la même manière.

Raphaëlle Duchemin: Vous gagnez en efficacité, et ça, c'est un point que, les dirigeants français ont relevé, c'est que ça peut leur permettre de gagner en efficacité.

Patrice Morot: C'est un point où, à la fois, ça fait gagner en efficacité pour les équipes et les collaborateurs et ça fait gagner aussi en efficacité pour les dirigeants que nous sommes. Je pense que c'est très important pour les dirigeants de s'approprier cet outil et cette technologie, parce que, souvent, le fait même de ne pas se l'approprier, ça veut dire qu'on peut être sceptique.

Raphaëlle Duchemin: Ça veut dire que, pour l'instant, on est entre les deux plateaux de la balance, efficacité d'un côté et risques que ça peut engendrer, c'est ça ?

Patrice Morot: C'est un peu ça, oui, c'est vrai. Moi, je dirai aux dirigeants français et à tous, qu'il faut y aller, il ne faut plus hésiter.

Raphaëlle Duchemin: Ce sera peut-être le mot de la fin, Patrice Morot, le dirigeant français, on a le sentiment qu'à la fin des fins, ce qui lui importe, ça reste le rapport humain. Est-ce que je me trompe ?

Patrice Morot: C'est vrai, les dirigeants français beaucoup plus soucieux de cet aspect humain et peut-être aussi d'une technologie au service de l'humain. Ce qui me va très bien, parce que c'est exactement nous, ce que l'on pousse en termes de stratégie, c'est la technologie au service de l'humain et pas le contraire. Je pense qu'il faut voir une technologie et une intelligence artificielle qui soit au service, qui soit responsable. Ça, je pense que c'est un élément important, c'est-à-dire qu'il faut que ce soit une technologie de confiance, et c'est un des éléments sur lesquels on travaille beaucoup pour faire en sorte que cette technologie soit un instrument de confiance au service de l'humanité et pas le contraire.

Raphaëlle Duchemin: Merci, Patrice Morot, de vous être prêté à l'exercice.

Patrice Morot: Merci beaucoup.

Raphaëlle Duchemin: Ce podcast est aussi une manière de transformer, de réinventer le contenu des études, de le partager autrement. C'est cette nouvelle manière d'organiser que vous appliquez aussi au sein de PwC. Ces nouvelles approches permettent aux entreprises et à leurs dirigeants, mais aussi à toutes les équipes qui sont au travail, de se poser d'autres questions, de mettre en place de nouvelles stratégies pour prendre en compte les nouvelles donnes, qu'elles soient techniques, technologiques, climatiques ou réglementaires. Le dirigeant, finalement, même forcé, s'adapte, fait preuve d'agilité et ce qui était une contrainte devient un élément à part entière de sa nouvelle feuille de route. Cette année, peut-être plus que les précédentes, on voit bien que les patrons français en ont fait une force. 

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