26ème Global CEO Survey : le dirigeant à l'épreuve de la résilience

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Dans un monde soumis à des perturbations constantes et de nature diverse, l’agilité permanente devient le maître-mot des dirigeantes et dirigeants. Le ralentissement de la croissance est mondial : inflation, covid, tensions énergétiques et géopolitiques, tous les voyants sont au rouge.

Mais alors, qu’en est-il du côté des entreprises ?

Si lors de la 25ème édition, les dirigeants français avaient fait preuve d’un optimisme record en sortie de covid, cette année les crises à répétition et les menaces omniprésentes auront eu raison de leur confiance.

Cette édition marque cependant une forme de passage à l’action de la part des dirigeants, qui poursuivent leurs investissements et sont définitivement tournés vers l’humain. Les CEO sont à la recherche d’un délicat équilibre, soumis aux turbulences du quotidien et en quête d’une stratégie pour appréhender plus sereinement les défis de demain.

Découvrez les enseignements de la 26ème édition de la PwC Global CEO Survey dans ce débat animé par Raphaëlle Duchemin aux côtés de Patrice Morot, Président de PwC France et Maghreb. 

Raphaëlle Duchemin : Soyons honnêtes, il y avait mieux pour commencer l'année que les sombres prédictions du FMI. Quand le Fond Monétaire International prévient que 2023 sera plus difficile que l'année écoulée, il y a forcément de quoi donner la migraine aux patrons. Kristalina Georgieva est catégorique, au cours des mois qui viennent, 1/3 des économies seront en récession. Et dans la liste, elle inclut la moitié de l'Union Européenne. Le ralentissement est mondial certes : inflation, covid, crise du gaz, guerre en Ukraine… de nombreux voyants sont allumés sur le tableau de bord de l'institution. Et quand on dézoome et qu'on frappe à la porte des entreprises, et bien là aussi, cela peut être la douche froide.

Je suis Raphaëlle Duchemin et ensemble, nous allons entrer dans la tête des dirigeants pour voir comment ils abordent cette nouvelle année.

Ce qui est bien avec les baromètres, c'est qu'ils sont fiables et qu'ils prennent la météo en temps réel. Sauf que pour cette 26e CEO Survey menée par PwC, l'aiguille est manifestement coincée sur maussade. Bonjour Patrice Morot, Président de PwC France et Maghreb.

Patrice Morot : Bonjour

Raphaëlle Duchemin : Cette enquête, je le disais, prend vraiment le pouls, l'humeur des patrons à travers le monde. Alors l'année dernière, si je me souviens bien, les Français, malgré les crises, s'étaient révélés étonnamment optimistes. La météo, pour continuer à filer la métaphore, était du moins sur le papier au beau fixe. Or, manifestement, pour 2023, c'est tout le contraire. Que s'est-il produit en 12 mois pour qu'il y ait un tel revirement ? La réalpolitique, la géopolitique aussi sont passées par là ?

Patrice Morot : Oui, effectivement, c'est la 26e édition, 4500 dirigeants sont interviewés dans plus de 70 pays dans le monde. C'est intéressant parce que c'est un vrai baromètre. L'an dernier, souvenons-nous, on était en train de sortir de la crise du covid. Il y avait eu une reprise absolument flamboyante, et l'enquête est sortie juste avant cet événement absolument dramatique qui a été le début de la guerre entre la Russie et l'Ukraine. Pour une fois, les patrons français étaient même plus optimistes que leurs pairs, puisque 80% avaient une vision extrêmement optimiste. Et bien là, il s'est passé en 8 mois à peine, une guerre en Europe, alors qu’on imaginait plus qu'une chose pareille puisse arriver, accompagnée de son lot de reprise de l'inflation, de crises de l'énergie. Et du coup, évidemment un pessimisme ambiant parce qu’il ne faut pas oublier que les dirigeantes et dirigeants d'entreprise sont aussi des hommes et des femmes, eux aussi vivent ce qui se passe de manière forte cet état de pessimisme. On pourrait dire peut-être un excès de pessimisme, mais finalement un pessimisme qui s'explique par cette situation.

Raphaëlle Duchemin : Alors, on va justement entrer dans le détail. 2 dirigeants français sur 3 estiment, à la lecture de cette étude, que le contexte économique global va se dégrader. Ils font manifestement preuve de beaucoup de réalisme aussi, quand on voit que c'est aussi finalement ce que dit le FMI ?

Patrice Morot : Ils font preuve de réalisme, mais je voudrais quand même dire, qu’on est face à une réalité, et c'est un des enseignements de l'étude. La réalité du “en même temps”. C'est-à-dire que le chef d'entreprise ou la cheffe d'entreprise doit être un gestionnaire de crises permanentes, et objectivement, je crois que là, on a eu vraiment pas mal de crises. La crise du covid, qui a quand même été, rappelons-le un événement absolument extraordinaire, unique. À la fois pour nous, pour l'ensemble des individus que nous sommes, mais aussi pour les chefs d'entreprises qui se sont retrouvés du jour au lendemain confinés, ne sachant plus ce qui allait se passer.

Nous avons maintenant, une crise sanitaire, une crise économique, une guerre, une crise des talents, parce qu'on en parle beaucoup quand même de la crise des talents. Le chef d'entreprise doit être d'abord un gestionnaire de crises permanentes, mais en même temps, il doit être un transformateur, c'est-à-dire qu'il doit se projeter dans l'avenir.

Raphaëlle Duchemin : C'est-à-dire qu'il regarde ce qu’il se passe en temps réel, mais il doit avoir le nez sur l'horizon ?

Patrice Morot : Oui et quand vous regardez les résultats de l'étude, on se rend compte qu'évidemment, à court terme, il y a pas mal d'incertitudes et d'inquiétudes. Mais quand on traverse un peu plus loin, à 36 mois et un peu plus, et bien les dirigeants français notamment restent finalement confiants dans l'avenir. Et ça, je trouve que c'est un des enseignements de cette étude. Quand on regarde l'étude de manière un peu plus granulaire, on a un chef d'entreprise sur deux, qui estime que son entreprise ne sera plus économiquement viable dans les 10 ans qui viennent. Et ça veut dire quoi ? Ça veut dire qu’il continue à se projeter, à continuer les investissements surtout en l'humain.

Raphaëlle Duchemin : Alors ce sont 8 PDG sur 10 dans le monde qui s'attendent manifestement à une dégradation de la situation économique. Cela veut dire qu'ils ont déjà, peut-être aussi remarqués en interne dans leur propre entreprise, un signal d'alarme qui a été tiré en fin d'année. Est-ce qu'on peut le voir comme ça ?

Patrice Morot : Alors, c'est vrai que sur le court terme, c'est-à-dire sur les 12 mois, les chefs d'entreprises sont plutôt pessimistes. Et je pense qu'il y a des raisons d'être pessimiste. L'inflation, la crise de l'énergie et surtout je pense une difficulté à vraiment voir ce qui va se passer dans le très court terme. Par contre, paradoxalement, quand on regarde un peu plus les résultats de l'étude, on se rend compte qu’à moyen terme (36 mois) les chefs d'entreprises sont plus confiants dans ce qui va se passer dans l'avenir. Pourquoi ? Parce qu’ils ont appris à traverser les crises. Et le fait de passer la crise du covid leur a donné confiance dans la possibilité de traverser ces crises. Et quand on a traversé la crise du covid, on peut traverser n'importe quelle crise.

Raphaëlle Duchemin : Ça veut dire qu'on sait faire, ça veut dire qu'on a appris et ce qui est notable aussi, c'est qu'il y a un regard qui change en fonction de l'endroit où l’on se trouve et du périmètre d'activité aussi finalement. Parce que, quand on regarde l'étude, on s'aperçoit que le regard est différent s'il se porte sur l'économie mondiale ou sur l'économie du territoire. On a une sorte d'appréciation qui varie. Ça aussi, c'est assez intéressant.

Patrice Morot : Oui, c'est vrai que les chefs d'entreprises ont plutôt tendance à avoir une vision plus optimiste de l'économie mondiale par rapport à l'économie de leur territoire. Alors, il faut voir aussi qu'il y a deux catégories. Il y a les pays européens, la France, l'Allemagne, le Royaume-Uni qui sont beaucoup plus pessimistes pour leurs propres territoires par rapport à d'autres pays dans le reste du monde qui eux,  le sont moins. Et c'est légitime, c'est normal. Aujourd'hui l'essentiel de la crise, même si elle se diffuse partout dans le monde, se concentre beaucoup en Europe. C'est normal que les chefs d'entreprises européens soient un peu plus pessimistes par rapport à la croissance dans les 12 prochains mois sur leurs propres territoires, qu’au niveau mondial.

Raphaëlle Duchemin : Alors, ouvrons le calendrier 2023 et penchons-nous sur ce qui préoccupe justement nos patrons. Avec quoi vont-ils devoir composer ? Quels sont les risques qui les inquiètent, ont-ils changé en un an, leurs priorités ont-elles été revues ? Et si oui, comment ? Que craignent-ils pour leurs entreprises ? Vous allez voir qu'en fonction de la partie du globe, là aussi où l'on se trouve, et bien, les menaces ne sont pas évaluées de la même manière. Patrice Morot, un dirigeant français sur 2, est catégorique, si l'entreprise ne change pas de modèle, elle ne survivra pas. Ça veut dire quoi ? Il est minuit moins 5 en quelque sorte ?

Patrice Morot : Ça veut peut-être dire que, pour les dirigeants et dirigeantes françaises, l'urgence du changement est plus visible ou plus importante en France que dans d'autres pays. Et pourquoi ? Parce que, quand on regarde les menaces qui sont à l'horizon, on voit qu'il y en a une qui pointe : celle de l'urgence climatique. Et je pense que c'est à la fois, une certaine exemplarité française qui est de dire que les dirigeants et dirigeantes d'entreprises ont pris aujourd’hui le risque climatique de manière beaucoup plus forte. Et c'est ce qui explique aussi, qu'ils voient que dans 10 ans, s'ils ne changent pas leur modèle d'affaires de manière, pour certains, très significative, l'entreprise risque purement et simplement de disparaître. Donc cette différence s'explique probablement par une maturité qui est différente en France par rapport au reste du monde.

Raphaëlle Duchemin : Justement, les risques climatiques, le risque climatique, le cyber risque aussi. C'est vrai que ce sont les Français, qui le mesurent, qui l'apprécient le plus ? En tout cas, qui le sentent avec le plus d'acuité. 36% pour la cybersécurité en France, seulement 22% ailleurs, par exemple en Europe. Qu'est ce qui fait qu'il y a cette différence d'appréciation ? On n'est plus lucide ?

Patrice Morot : Le risque cyber, il est systématiquement pointé par les dirigeants français comme étant le risque, je dirais numéro un, et surtout quand on se projette dans les 5 prochaines années. Ça s'explique, je pense, par plusieurs phénomènes.

Le premier, c'est parce que la crise covid étant passée par là, on a des entreprises qui sont beaucoup plus digitalisées, et donc plus exposées à une cyberattaque. Aussi, quand vous regardez le risque cyber en tant que tel, on est dans un environnement en Europe où il y a la guerre, et ces cyber menaces sont beaucoup plus importantes. Il y a eu un accroissement très significatif des cyberattaques ces derniers mois. On l'a vu d'ailleurs avec des exemples très visibles, des hôpitaux, des organismes publics, qui ont été pris pour cible. Donc c'est normal, quelque part qu’en France en tout cas, on se sente beaucoup plus concernés par ce risque. Et puis parce qu’il y a aussi une attention particulière à la protection des données et donc tout cet environnement-là fait que le risque cyber ressort peut être de manière un peu exacerbée par rapport à d'autres pays.

Raphaëlle Duchemin : Mais on a l'impression qu'il y a une sorte de différence entre les menaces réelles, perceptibles, immédiates, que ce soit la volatilité du marché, l'inflation et puis celles qui sont un peu plus diffuses qui sont là malgré tout, le risque cyber mais aussi le changement climatique. C'est dangereux, mais, les autres pays, le conscientisent moins en quelque sorte. Ça fait de nous, Français, peut-être des gens plus lucides, des patrons plus lucides ?

Patrice Morot : Alors en France, si on prend le risque climatique, par exemple, il est indéniable que la France a toujours été en pointe par rapport à ces sujets. D'ailleurs, quand on regarde l'enquête, on voit quand même qu'on a plus d'un patron sur deux en France qui considère avoir mis en place des mesures pour réduire ses émissions. Donc on voit bien quand même que les français sont plutôt dans le “pack de tête” sur ces sujets.

Raphaëlle Duchemin : Et puis ils ont conscience que c'est à eux, patrons d'entreprises, d'agir sur ces sujets-là et ça, c'est assez nouveau aussi.

Patrice Morot : Alors c'est absolument à eux. Et d'ailleurs je rejoins même le risque cyber, c'est-à-dire que le risque cyber peut paraître comme une menace qui n’est pas aussi tangible que l'inflation ou la volatilité macroéconomique mais finalement, pour un chef d'entreprise, c’est une menace qui est très tangible. Pour ceux qui ont malheureusement été concernés par ces sujets, quand vous vous retrouvez avec vos systèmes complètement gelés, vous ne pouvez plus répondre à vos clients ou faire d'autres activités essentielles, c'est un vrai problème. Et effectivement, je pense qu'en France, on a une conscience un peu plus forte de ces sujets-là, qui sont aussi exacerbés sur l'aspect climatique, puisque vous voyez bien qu'au niveau européen, il y a la CRD qui est sortie et qu’il y a toutes ces réglementations qui arrivent et qui vont changer radicalement la façon dont on doit appréhender ces sujets.

Raphaëlle Duchemin : Mais pourquoi entre 2022 et 2023, cette perception a changé ? Qu'est-ce qui s'est passé ? On a levé le voile sur des réalités qu'on ne voyait pas, qui étaient là, qui étaient sous-jacentes ?

Patrice Morot : Ah non, non. En 2022, le risque cyber, c'était déjà un des risques qui faisait partie du top 5 pour les chefs d'entreprises français, même pour d'autres. Le risque climatique aussi, mais effectivement, il était plus bas. Donc on voit qu'on monte et tant mieux d'ailleurs, parce que ça montre qu’il y a une vraie prise de conscience extrêmement forte, mais qui est au-delà de la prise de conscience, c'est-à-dire que là maintenant, on est en train de passer à l'action.

Raphaëlle Duchemin : Alors justement, ces facteurs dont vous parlez, ils ont aussi changé le positionnement des dirigeants qui, du coup, prennent conscience aussi de la fragilité du modèle d'entreprise, et ce, à court terme. Quand on leur demande, par exemple, si votre entreprise continue à fonctionner comme elle le fait, pendant combien de temps sera-t-elle économiquement viable ? Et vous l'avez souligné tout à l'heure, 45% des patrons français répondent 10 ou moins. Ça veut dire que, il va falloir enclencher la première et changer de modèle.

Patrice Morot : Il va falloir se transformer. Un des enseignements de cette étude, c'est que, aujourd'hui le dirigeant d'entreprise doit retrouver un rôle fondamental qui est le sien. On a interrogé les dirigeants d'entreprise en leur demandant : si vous aviez la possibilité de revoir complètement votre agenda, où est-ce que vous voudriez passer plus de temps ? Et bien, ils ont répondu : on voudrait passer plus de temps sur la stratégie, sur les relations avec les collaborateurs, avec les clients et moins de temps dans le pilotage opérationnel de la performance et là, on voit qu'on est sur un retour à l'essentiel. C'est-à-dire que, pour accompagner ces transformations et justement, ce changement de modèle d'affaires, c'est essentiel que les dirigeants repositionnent une bonne partie de leur temps sur ces sujets stratégiques.

Raphaëlle Duchemin : Qu'est-ce qui fait qu'aujourd'hui cette urgence à transformer le modèle, on peut la mesurer justement, on peut la toucher du doigt ? On a l'impression qu'il y a eu quand même, malgré tout entre 2022 et 2023, un électrochoc. Est-ce que c'est réellement la guerre en Ukraine, cette espèce d'urgence qui fait que, il y a eu une prise de conscience chez les dirigeants français ?

Patrice Morot : Non, je ne crois pas qu'il y ait eu une prise de conscience immédiate en 2023. Je pense que simplement, on est dans le monde de la crise permanente. Après la crise du covid, crise sanitaire, on a espéré qu'on allait en sortir et qu'on repartirait vers une formidable croissance. Alors avec la guerre derrière, exacerbée avec la crise énergétique, l'inflation, on est dans un monde de crise permanente. Et aujourd'hui, justement, le dirigeant doit à la fois gérer ces crises, mais en même temps projeter son entreprise dans l'avenir et c'est ce qui est extrêmement important. Et moi ce que je trouve très intéressant dans cette étude, c'est que, lorsqu'on leur a posé la question, les entreprises ont dit : on ne va pas réduire nos investissements, on va privilégier l'humain. Et l'humain, c'est quoi ? C'est-à-dire pas de gel d'embauche, on va continuer les recrutements, on va accélérer la formation. Et ça, c'est très emblématique, je dirais de cette volonté d'accompagner cette transformation par des actions qui sont très fortes. Et c'est pour ça que je ne suis pas pessimiste moi quand je vois ce pessimisme ambiant sur les 12 prochains mois, parce que nous, chefs d'entreprises, finalement, nous restons confiants dans l'avenir.

Raphaëlle Duchemin : Ce changement profond a opéré, il est donc déjà manifestement là, dans l'esprit des dirigeants. C'est une chose de le savoir, s'en est une autre d'agir. Alors quels leviers, justement, vont-ils actionner pour faire pivoter ce fameux modèle ? On aurait pu penser que, pour retrouver des marges de manœuvre, les patrons français auraient justement été tentés de tailler dans le vif, réduire les effectifs, baisser les rémunérations. Or, pas du tout. Et ça aussi, manifestement, c'est assez nouveau.

Patrice Morot dans l'entreprise et c'est aussi un des grands enseignements de cette enquête, la première valeur est redevenue, j'ai envie de dire l'humain. Et ça, c'est plutôt une très bonne nouvelle ?

Patrice Morot : Je dirais même que c'est une excellente nouvelle. Et c'est un des enseignements très positif de cette étude. On retrouve dans les leviers dont vous parliez, les actions classiques du type, il faut continuer à se transformer, digitaliser mais on voit bien que l'avenir ne se construira pas sans l'humain. On a pu penser à un moment donné qu’il fallait tout automatiser, que tout allait se faire à un moment donné sans l'humain, l'intelligence artificielle, et bien, c'est faux. En fait, aujourd'hui, il y a la réaffirmation de l'importance de l'humain, et je dirais même plus de l'importance du collectif. Et je crois que c'est ça qui est probablement un peu nouveau, c'est de se dire que les dirigeants des entreprises considèrent que pour réussir, il faut un collectif soudé.

Raphaëlle Duchemin : Parce que peut-être les patrons, arrêtez moi si je me trompe, ont aussi peut-être pris conscience que, il  y avait cette fameuse fuite des talents dont on parlait tout à l'heure. Il y a aussi beaucoup de départ, ça c'est démographique à la retraite qui se profile et c'est du savoir et du savoir-faire en entreprise qui vont se perdre. Ça a, en quelque sorte peut-être, aiguisé les consciences des dirigeants.

Patrice Morot : Oui, et c'est pour ça d'ailleurs que quand on les interroge, les chefs d'entreprises français sont très en avance. Ils répondent à 87% qu'ils vont axer une partie de leurs investissements sur la formation et monter le niveau de compétences de leurs collaborateurs. Il y a bien une prise de conscience qui est que, pour faire évoluer un modèle d'affaires, il va falloir de nouvelles compétences et que ces nouvelles compétences on ne va pas forcément les trouver en nombre suffisant via des recrutements et qu’il va falloir, comme on dit en bon anglais, upskiller, les collaborateurs. Et ça aussi, c'est un élément important parce que, comme vous l'avez dit, il ne s'agit pas simplement de prendre le remède miracle de dire : tiens, on va réduire les effectifs ou faire des licenciements. Non, on va prendre nos collaborateurs actuels et les reformer.

Raphaëlle Duchemin : Du coup, là aussi, finalement, on change de méthode, on s'appuie sur les forces humaines, sur les forces vives de l'entreprise, on va accepter d’aller toucher à d'autres postes. On va faire évoluer les prix, aller chercher de nouvelles débouchées, rogner, peut-être sur les charges d'exploitations plutôt que de toucher à la matrice.

Patrice Morot : Exactement. On place l'humain au centre de l'équation et on considère que la réussite ne passera que si elle se fait avec l'humain et avec ce collectif.

Raphaëlle Duchemin :  Et alors ce collectif, on l'attend à plusieurs endroits et notamment et on y revient sur les fameuses questions climatiques. On est surpris de découvrir qu'effectivement, les patrons, là aussi pour faire évoluer l'entreprise sur ces questions-là, ont besoin de ce collectif, veulent aller consulter leurs équipes, faire ça en en bonne intelligence.

Patrice Morot : Alors, c'est un collectif à la fois interne à l'entreprise, mais c'est un collectif aussi, avec d'autres partenaires. Et c'est là aussi où c'est intéressant. On pourrait presque, en parlant de ces autres partenaires, faire des sortes de coalition en quelque sorte. Et on le voit aujourd'hui quand on parle de tous ces enjeux d'investissements, de relocalisation, de réindustrialisation en Europe, on voit bien qu’on ne pourra y arriver que si on forme des coalitions. On ne peut pas arriver seul face à des enjeux qui sont aussi importants et les enjeux climatiques sont des enjeux absolument énormes.

Raphaëlle Duchemin : C'est intéressant que vous parliez de coalition parce que ces coalitions, ce ne sont pas les mêmes qu’hier. Hier on se tournait vers les gouvernements, on se tournait vers les investisseurs, là on se tourne vers les écoles, on va chercher de la formation, on va essayer d'inventer autre chose.

Patrice Morot : Exactement.

Raphaëlle Duchemin : C'est nouveau.

Patrice Morot : Absolument, c'est-à-dire qu’aujourd'hui je crois qu'il y a une prise de conscience. On ne pourra pas avoir toutes les réponses, et les gouvernements ne peuvent pas apporter toutes les réponses, les entreprises ont donc un rôle à jouer. Mais les entreprises, avec d'autres partenaires et d'autres acteurs, comme des écoles, des universités, donc ça peut être le monde académique. Ça peut être également le monde du non gouvernemental, les associations en quelque sorte. Et là, elles sont importantes quand on parle de tout ce qui est ESG, c'est-à-dire développement durable. Mais aussi des coalitions avec des entreprises d'un même secteur ou d'autres secteurs, pour développer des usages, des produits ou des choses complètement nouvelles qu'on ne pourra pas développer seul.

Raphaëlle Duchemin : L'entreprise, elle devient aussi de plus en plus centrale pour former et pour prendre sa part dans la société. C'est aussi ça que ça dit.

Patrice Morot : Alors il n'y a pas d'entreprise qui gagne dans un monde qui perd. C'est important que l'entreprise ait un rôle beaucoup plus large. Et c'est pour ça d'ailleurs qu’on voit qu’on va devoir très bientôt communiquer sur des indicateurs extra-financiers parce que finalement, cette création de valeur c'est pas uniquement une création de valeur financière mais elle va aussi être une création de valeur extra-financière.

Raphaëlle Duchemin : Finalement le contexte, il est compliqué, on l'a vu. Les prévisions économiques, elles sont malgré tout peu réjouissantes. Mais c'est la lucidité, la résilience, je ne sais pas, du modèle français qui interpelle. Et j'ai bien dit modèle français parce que c'est pas pareil ailleurs en Europe, en tout cas pas dans les mêmes proportions.

Patrice Morot : Je crois qu’on peut se satisfaire du fait que l’on a une inflation qui est moins importante qu'ailleurs. Il faut le souligner. On a aussi un taux de chômage qui a beaucoup baissé. Je ne sais pas si le modèle français est plus résilient qu’ailleurs. En tout cas, ce que je peux dire, parce que je parle beaucoup avec mes pairs, c'est que les dirigeantes et dirigeants d'entreprise restent confiants dans l'avenir, font preuve de résilience. Et je pense qu'ils se tournent résolument vers l'avenir et ça c'est, je dirais, très positif. Et c'est d'ailleurs pour ça que je n'ai pas hésité, quand j'ai souhaité mes vœux très récemment, de dire que, au risque de paraître un peu à contre-courant, j'étais moi même optimiste, même si 2023 sera certainement une année difficile.

Raphaëlle Duchemin : On ose, on se réinvente, on n'a pas peur de dire, ça va mal, mais on va faire autrement. C'est aussi ça finalement que dit cette étude ?

Patrice Morot :  Oui, je crois qu’on a appris collectivement de cette crise covid. On a appris qu'on était capable de se transformer, qu'on était capable de traverser ces crises et qu’il n’y a pas de raison qu'on ne puisse pas traverser celle qui arrive. Avec des challenges et des enjeux qui sont quand même extraordinaires, parce que ce dont on parle aujourd'hui, c'est, osons le mot, la survie de la planète. Dans 20 à 30 ans.

Raphaëlle Duchemin : Gouverner c'est prévoir et ne rien prévoir, c'est courir à sa perte”. La maxime à beau dater, elle est troublante de vérité. Il faut croire qu'à minuit moins cinq devant l'urgence à agir, les dirigeants tricolores l’ont manifestement faites leurs. Merci Patrice Morot. Retrouvez l'intégralité de cette étude sur pwc.fr.

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