Best of de la table ronde : "ESG, le new deal ?"

Comment les enjeux ESG transforment durablement la stratégie M&A et la manière de l'exécuter 

Lors des transactions, les enjeux environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) peuvent-ils créer de nouvelles opportunités pour les acteurs du M&A ? Telle est la thématique choisie par l’équipe Deals de PwC France et Maghreb pour son webcast inaugural sur les sujets de M&A.

Modéré par Benjamin Ribault, associé Deals Clients & Markets leader, cet échange nourri a croisé les perspectives d’Emilie Bobin, associée Développement durable et leader ESG Consulting / co-leader ESG Deals, Françoise Gintrac, associée Deals et co-leader ESG Deals, et Fabien Radisic, avocat, associé Deals Tax et leader ESG pour PwC Société d’Avocats.

Écoutez l'intégralité de la table ronde


L’ESG est-il devenu mainstream dans les opérations de M&A ?

Selon l’enquête de PwC The economic realities of ESG, l’ESG est devenu mainstream : 79 % des répondants considèrent que l’ESG est un facteur important dans leurs décisions d'investissement, et 82% souhaitent que l’ESG fasse partie intégrante de la stratégie des entreprises. 

Mais il reste du chemin à faire quant aux attentes : 75% des répondants sont prêts à sacrifier une partie de leur rentabilité à court terme pour investir sur des critères ESG, mais pour 81% des répondants cet effort ne doit pas excéder 1% du rendement.

Quelles sont les raisons de la prise en compte de l’ESG par les investisseurs ?

Ce n'est pas un phénomène apparu du jour au lendemain, mais nous sommes à un point d'inflexion. plusieurs raisons à cette accélération :

  1. Aujourd'hui, un grand nombre d’entreprises ont lancé des plans de transformation ESG ; en cas d’opérations de fusion-acquisition ou de cession, ces éléments sont analysés et intégrés dans le processus. 

  2. Désormais, une majorité d’acteurs voient une corrélation positive entre les qualités ESG et la valeur de l’entreprise, et attendent un retour de la performance ESG.

  3. Par ailleurs, la réglementation durable se renforce, devient plus précise et couvre un nombre plus important de sociétés. C'est un facteur qui influence également la prise en compte des considérations ESG dans les processus de M&A. 

  4. Enfin, les parties prenantes internes et externes sont de plus en plus présentes et dotées de moyens d'action de plus en plus puissants (médias, comportements d’achat…).

À quoi les entreprises doivent-elles veiller dans leur communication ESG envers les investisseurs ?

Les entreprises qui mettent en avant leur transformation et leurs actions en matière d’ESG doivent faire attention à leur message. 

  • C'est un sujet de transparence : il ne doit pas y avoir d’écart trop important entre leur réalité et les messages véhiculés.

  • C’est aussi une question de cohérence. La transformation ESG doit concerner tous les aspects de l'entreprise. Par exemple, on ne peut pas en effet tenir un discours très volontariste et engagé sur certains sujets comme l’environnement et/ou les droits humains et en même temps adopter certaines attitudes très agressives sur d’autres sujets, comme l’optimisation fiscale.

Comment la prise en compte des critères ESG se traduit-elle opérationnellement dans les processus de M&A ?

Les sujets ESG sont de plus en plus présents dans les transactions, que ce soit les deals M&A corporate ou les deals de Private Equity. L’intégration des critères ESG se fait au long des  grandes étapes des transactions, de l'origination à l'exécution lors des due diligences, mais aussi au niveau du financement.

Lors de l'origination, nous observons trois comportements :

  1. Le negative screening : éviter d’investir dans certains domaines.
  2. Le positive screening : chercher à investir dans des activités dites durables, une tendance accélérée par la réglementation, notamment la taxonomie verte européenne.
  3. La recherche de cohérence entre profil ESG de l'entreprise cible et les engagements de l’ensemble qu’elle rejoindrait.

La due diligence aura ainsi un regard précis sur le poids ESG des activités concernées, les efforts à mettre en œuvre pour aligner une activité avec les engagements et les actions de l'entreprise qui rachète. On regarde aussi de plus en plus la maturité de l'entreprise ou de l'activité cible quant au reporting ESG, pour évaluer les efforts qu’il faudra faire pour obtenir toute l’information extra-financière.

En due diligence, on voit de plus en plus d’analyses sur la taxonomie, avec les différents critères d'éligibilité et d'alignement, qui passent par les étapes cruciales appelées Do No Significant Harm (DNSH) et minimum safeguards. On nous demande aussi des analyses sur la création et la protection de valeur ainsi que des évaluations des conséquences financières de l'ESG, telles que les impacts possibles sur le chiffre d’affaires et l’Ebitda.

Enfin, l'accès au financement et le coût de la dette sont impactés par l’ESG. Aujourd'hui, nous sommes clairement dans une situation de no ESG, no money

Quel est l’impact des critères ESG sur la valorisation des entreprises ?

Cette question occupe beaucoup l’esprit des équipes M&A, que ce soit dans les entreprises, dans les fonds d'investissement ou chez les banquiers d'affaires, et toute la communauté des évaluateurs. Les critères ESG sont nombreux, essentiellement immatériels et avec un historique sur les marchés compliqué à analyser. Pour y voir plus clair, il existe plusieurs pistes de réflexion :

  1. Les méthodes d'évaluation traditionnelle demeurent adaptées pour traduire les critères ESG dans l'évaluation d'une entreprise cible. Les agrégats permettent d'estimer les impacts financiers de certains indicateurs ESG. Il est important de chiffrer ces éléments dans l'appréciation et l'estimation d'un Ebitda récurrent, par exemple, ou des flux.
  2. Un prisme d'évaluation à moyen et long termes est nécessaire pour bien traduire l'impact sur la valeur des questions ESG. Par exemple, les entreprises prennent des engagements Net Zéro à horizon 2030-2040, aussi il est nécessaire d’adapter la durée des projections afin de tenir compte du changement des modèles opérationnels et d'investissement sous-jacents pour atteindre ces objectifs Net Zéro
  3. Dans l’analyse des éléments ESG, il faut aussi se poser la question, au-delà du rendement et du risque, de la durabilité de l’entreprise. La prise en compte systématique d’une Valeur Terminale dans les modèles d’évaluation par les Discounted Cash Flows ne doit plus être automatique; des durées de vie finies ou des érosions de rente peuvent être envisagées si le modèle d’affaires, insuffisamment durable, risque de ne plus dégager de marges.

No ESG, no future ?

Les entreprises peuvent s 'adapter, mais elles doivent être attentives. Par exemple, le devoir de vigilance impose aux grandes entreprises des obligations en matière d’environnement et de droits humains. Elles doivent surveiller tout ce qui se passe dans leur chaîne de valeur. Certaines réglementations ESG donnent à des acteurs, comme des associations, le moyen d'interpeller les entreprises sur leurs obligations en matière d’ESG. Des contentieux commencent donc à apparaître qui, à terme, peuvent avoir un impact sur la valeur des entreprises. L’ESG n'est pas que de la création de valeur à long terme; cela peut aussi être de la destruction de valeur à très court terme.

Comment améliorer le reporting ou les due diligences ESG pour rendre les indicateurs plus comparables et pertinents ?

Selon l’enquête de PwC The economic realities of ESG auprès de 325 investisseurs (gestionnaires d'actifs, banquiers et analystes financiers), seulement un tiers des répondants estiment que l'information dans les reporting ESG est de qualité. Ils regrettent un manque d'informations à la fois complètes, mises à jour et pertinentes. Cela complique les comparaisons d’entreprises et donc d’allouer le capital de manière optimale.

L’Europe s'est attaquée à la fois à la question de la comparabilité et à celle de la qualité de l'information. Ces cinq prochaines années, la réglementation européenne va faire évoluer le reporting qu'on appelait extra-financier (NFRD) pour qu’il devienne un reporting de durabilité (CSRD). Ce n’est pas un détail terminologique, mais illustre l’impact sur les éléments financiers.

Comparabilité de l'information

  1. Avec la taxonomie, qui définit ce qu'est une activité durable, l'Europe dit non au greenwashing. Une entreprise ne pourra se dire durable que si elle l’est selon cette nomenclature. La conséquence est que l’on en vient à réaliser des M&A aussi pour acquérir des activités dites durables.
  2. Avec le règlement disclosure (Sustainable Finance Disclosure Regulation, SFDR), la transparence progresse. Quand les investisseurs lèvent des fonds, ils doivent définir s’il s’agit de fonds article 6, article 8 ou article 9. Ce dernier impose à l'investisseur des objectifs de durabilité. L’Union européenne réoriente ainsi les flux d'argent vers les activités dites durables. On ne fait plus les mêmes deals.
  3. Avec la CSRD, l’UE introduit la comparabilité des reportings d'une entreprise à une autre. C’est grâce aux nouvelles normes, les European Stability Reporting Standards (ESRS) réalisées par l’EFRAG, selon lesquelles un nombre croissant de sociétés sont tenues de réaliser leur reporting ESG.

Au-delà de l'Europe, les autres juridictions développent aussi ce type de standards, tels que les normes ISSB, que l'IFRS Foundation et son président Emmanuel Faber sont en train de développer.

Qualité de l'information

Plus de 95% des répondants à une enquête récente de l’International Valuation Standards Council (IVSC) déclarent ne pas avoir l'information nécessaire pour traduire et appréhender la valeur liée, en positif ou en négatif, aux considérations ESG. C'est clairement une attente forte des évaluateurs et de tout l’environnement M&A

La CSRD va exiger d'ici cinq ans des audits sur l'information ESG au même niveau que les audits actuels sur l'information financière. Désormais présente dans les stratégies des entreprises et prise en compte dans les deals et les évaluations, l’information ESG doit être au même niveau de qualité que l'information financière.

Les équipes M&A peuvent-elles être co-créatrices de la feuille de route ESG ?

Il faut absolument de vrais échanges entre les directions RSE ou développement durable et les directions M&A, un vrai dialogue et une co-création de la feuille de route ESG. L’ESG devient stratégique pour les entreprises et les directions M&A doivent appliquer cette stratégie.

  • Elles doivent maîtriser les notions ESG et leurs conséquences stratégiques et opérationnelles dès l'origination et le due diligence. Cela a des conséquences sur la durée de détention, notamment pour les investisseurs.
  • Elles doivent être au fait de toutes ces réglementations pour établir un diagnostic le plus fiable possible. Avec la complexification réglementaire, il faut bien cerner un certain nombre d'écueils ESG dans son appréciation des risques. 

Quelles tendances ESG se dessinent dans les deals dans les 12 à 24 mois à venir ?

Pour accéder au financement, toutes les entreprises - non seulement les groupes cotés, mais aussi les ETI et PME - ont besoin de se muscler sur les sujets ESG. L’ESG impacte clairement les deals aujourd'hui. D'ici deux à trois ans, ce sera standardisé, y compris en termes de valorisation.

Aujourd'hui, nous voyons se développer des acquisitions aussi au service de la stratégie ESG et de sa mise en œuvre. Même si on voit encore très peu de ciblage (targeting) et d'opérations d'acquisition faites uniquement pour améliorer ses performances ESG, la dynamique ne peut qu’accélérer.

D'autant plus que des entreprises ne pourront acquérir certaines compétences, très compliquées à développer en interne, que grâce au M&A. Nous l’avons observé par exemple pour les capacités de recyclage, qui deviennent indispensables pour des distributeurs ou des producteurs. Le M&A a un rôle à jouer dans ce sens et doit s'adapter pour être en capacité de réaliser ce type de deal.

Quels conseils donneriez-vous aux spécialistes qui travaillent dans les M&A ?

  • Former de toute urgence les équipes aux sujets ESG. La pluridisciplinarité et l'intégration dans les métiers sont cruciales pour adresser ensemble les sujets ESG dans les deals, avec des expertises ESG, juridiques, financières et de valorisation.
  • Regarder les sujets ESG de manière un peu plus large qu'on ne le faisait historiquement, notamment en termes de screening. Il faut aller chercher des types d'entreprises un peu différents en termes de taille et de structure, y compris capitalistique. Ce peut être des associations, des sociétés mixtes, des centres de R&D...
  • En termes d'évaluation, commencer à intégrer des premiums/décotes en fonction de l'appréciation des qualités ESG. C'est en établissant la corrélation entre valeur et ESG que l’accélération de la transition ESG se fera.
  • En matière juridique, procéder à une analyse en deux temps : un état des lieux et de la prospective. Pour s'adapter à l'accélération et à l'inflexion des réglementations, les entreprises doivent déjà savoir où elles se situent dans leur plan de transformation, puis évaluer le chemin qu’il reste à parcourir pour être au rendez-vous des attentes de l’ensemble des parties prenantes.. 
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Benjamin Ribault

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Clients & Markets Deals leader, Associé Deals, PwC France et Maghreb

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Avocat, Associé, ESG Leader, PwC Société d'Avocats

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Associée Valuation & Business Modelling, co-leader ESG Deals, PwC France et Maghreb

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