La France, comme l’Europe, s’est dotée d’un objectif ambitieux dans le cadre de la transition énergétique : diminuer de 55 % les émissions de GES nationales d’ici 20301. Cela passe par une transformation majeure de ses territoires, et notamment des secteurs du transport, de l’industrie et de l’énergie qui représentent à eux seuls 60% des émissions de GES1 .
Aujourd’hui, plusieurs solutions sont développées ou émergent pour décarboner ces derniers. Parmi celles-ci, l’hydrogène peut jouer un rôle majeur pour la transition énergétique.
En déployant une production d’hydrogène vert de 6,5GW en 2030, ambition inscrite dans la stratégie nationale, l’hydrogène permettrait en effet d’éviter l’équivalent de 6 millions de tonnes de CO2 chaque année (c. les émissions de la ville de Paris2) et de positionner la France sur un marché international en pleine croissance (estimé à 2500 milliards en 2050 vs 130 milliards d’euros en 20183).
Cet objectif exige de multiplier par 15 des capacités de l’ensemble de la chaîne de valeur, imposant plusieurs défis à relever par l’ensemble des acteurs publics comme privés pour impulser le développement de la filière (création de synergies entre les territoires, définition d’un cadre réglementaire et d’un marché commun, accès aux mécanismes de soutien, sécurisation des usages, etc.).
Pour cela, des leviers sont nécessaires pour développer une filière pérenne.
Le développement de la filière hydrogène répond à trois grands enjeux de la transition énergétique : la décarbonation des usages, la pérennité économique et la souveraineté énergétique.
Aujourd'hui, 90 % de l’hydrogène, utilisé principalement dans les secteurs de l'industrie (du raffinage, de la production de méthanol et d’ammoniac), est produit à partir de combustibles fossiles4.
Cette production émettrice de CO2 ([9-18]t/t H25) a vocation à être remplacée par un hydrogène décarboné qui sera produit en majorité à partir d'un mix électrique bas carbone (<18 gCO2eq/MJ6 7) (d’autres sources sont à l’étude comme les biocarburants).
L’application de cet hydrogène décarboné (cf figure ci-dessous) sera clé pour atteindre les objectifs de diminution de GES de trois secteurs prioritaires en France et en Europe :
25 % de l'hydrogène sera consommé par le secteur des mobilités 8, à l’origine de 30 % des GES en France 1, notamment des mobilités lourdes et routières (poids lourds, bus, VUL, etc.), et progressivement des mobilités fluviales/maritimes, ferroviaires (2030 – 2040) et aéronautiques (2050)
75 % de l’hydrogène sera consommé par le secteur de l’industrie 8, à l’origine de 20 % des GES en France 1, comme matière première pour l’évolution des procédés industriels (ex : raffineries, chimie) et pour la production d'énergie directe sous forme gazeuse ou liquide (ex : sidérurgie)
Au-delà de 2030, d’autres utilisations sont à prévoir pour soutenir le déploiement de réseaux d'énergies renouvelables au travers de solutions de stockage, et dans les réseaux de chaleur au travers de procédés power-to-gas
En France ou en Europe, des réglementations regroupées au sein du paquet « Ajustement à l'objectif 55 » (Green Deal) ou de la Loi Energie (SNBC) visent à créer une dynamique autour de la décarbonation.
Ces mesures contraignent les secteurs de l’industrie et des mobilités à diminuer leurs émissions de GES par plusieurs moyens :
les mobilités sont impactées par la limitation de la circulation de véhicules dans le cadre des Zones à Faibles Emissions d’ici 2025 (loi n° 2015-992 du 17 août 2015, révision du calendrier d’exécution en juillet 2023) ;
les industries, sont confrontées au renforcement des dispositifs des taxes carbone (ex : Mécanisme d’Ajustement Carbone aux Frontières) et à l’augmentation du prix de la tonne de CO2 (qui a dépassé 100 € en mars 2023 contre 7 € en 20149).
Les acteurs, notamment les industriels, confrontés à un fort enjeu de compétitivité internationale, sont ainsi incités à adapter leur modèle opérationnel et économique pour répondre à ces obligations réglementaires.
L’industrialisation d’une filière hydrogène nationale, en concertation avec les pays européens, doit permettre de faciliter la conversion des industries vers des processus de production décarbonés et ainsi de minimiser les impacts des réglementations sur leur rentabilité.
Pour la première fois depuis 40 ans, la France a été importatrice nette d’électricité en 2022, dépensant 7 milliards d’euros10 pour répondre aux besoins énergétiques du pays dans un contexte géopolitique tendu. Au travers du plan européen REpowerEU (300mds €), l’hydrogène se positionne comme un vecteur énergétique clef pour faciliter l’utilisation d’énergies renouvelables locales, en permettant de stocker l’électricité et répondre au défi de flexibilité du système énergétique.
Aujourd’hui, l’ensemble des acteurs est mobilisé autour d’une feuille de route ambitieuse pour développer une filière hydrogène.
Face à l’opportunité représentée par l’hydrogène, de nombreux acteurs publics et privés se mobilisent pour impulser une filière H2. Ces parties prenantes se regroupent autour de réflexions et d’arbitrages communs pour optimiser les futurs réseaux d’approvisionnement d’H2 et parvenir à un équilibre économique sur l'ensemble de la chaîne de valeur (notamment au vu de la problématique du coût de l’H2, cf tableau ci-dessous).
- Union Européenne (Commission Européenne et partenariats internationaux)
- État et agences d'État (ADEME, CRE, etc.)
- Régions et groupements interrégionaux
- Collectivités & EPCI
Fournisseurs d'énergie
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Stockage
▼
Transporteurs et distributeurs (dont GRT)
▼
Usagers
- Mobilités (AO, logisticiens, ...)
- Industriels (cimentiers, aciéries, ...)
- Énergie/chaleur (énergéticiens, GRT, ...)
- Acteurs de la formation
- Acteurs du financement (banques, fonds, etc.)
- Pôles de compétitivité
- Clubs et associations
- Acteurs de la R&D (universités, etc.)
Des dynamiques territoriales se structurent ainsi autour de l’émergence d’écosystèmes11 permettant de concentrer les producteurs et les usagers d’H2 à l’échelle d’un territoire (modèle décentralisé - cf tableau ci-dessus).
Ce modèle de développement sera amené à évoluer à horizon 2028 (modèle semi-centralisé), puis à horizon 2030 (modèle centralisé) avec le développement de capacités massives de production d’H2 et le déploiement d'un réseau européen de transport par hydrogénoduc12 (European Hydrogen Backbone, EHB), bénéficiant principalement aux sites industriels intensifs (forte consommation d’H2, avec des enjeux d’approvisionnement continu).
Pour opérationnaliser ces modèles de développement et être au rendez-vous des ambitions et des enjeux des stratégies de décarbonation à horizon 2030, les acteurs de l’écosystème doivent investir dès aujourd’hui pour sécuriser le développement de la filière :
sécuriser les infrastructures critiques (électrolyseurs, stations, etc.), compte tenu des délais de déploiement sur l’ensemble de la chaîne de valeur (5 ans pour un électrolyseur, 2 ans pour une station de distribution) et du développement de grands projets d’infrastructures européens (exemple de la dorsale européenne à horizon 2030) ;
sécuriser les infrastructures de production d’électricité afin d’assurer une production d’H2 décarboné (source renouvelable ou bas carbone) continue, dans un contexte d’électrification des usages et de croissance des énergies intermittentes. 13
Pour répondre à ce calendrier contraint et soutenir les investissements conséquents d'une filière émergente, des mécanismes de financement et de soutien massifs sont disponibles à l’échelle européenne (Innovation Fund, CEF, Banque H2, etc.), nationale (AAP ADEME, PIIEC, etc.) et régionale (plans mobilités, etc.). Ces dispositifs sont nécessaires pour soutenir les projets sur l’ensemble de leur cycle de vie, de l’innovation, au déploiement des infrastructures et des technologies (CAPEX) et à leur exploitation (OPEX).
AAP ADEME
Banque de l'hydrogène
AAP ADEME, PIA, France 2030, France Relance, ...
Next Generation EU, Horizon Europe, LIFE, Just Transition Fund, CEF, Innovation
Fund, ...
Stratégie Nationale Bas Carbone
Parte Vert pour l'Europe
Accélération de la réduction des quotas gratuits d'émissions éligibles aux industries intensifs, déploiement du mécanisme d'ajustement du carbone aux frontières, création d'un marché carbone applicable au transport
Pacte Vert pour l'Europe
Publication des actes délégués relatifs à l'H2 renouvelable
Fin de la vente des véhicules thermiques
Fin des quotas gratuits d'émissions
Paquet Fit for 55
Développement de projets éoliens et solaires devant être mis en service avant 2030 et pouvant être éligibles à des PPA
REPower EU
Plan décennal de développement du réseau (TYNDP)
Ambition de déploiement d'une dorsale européenne de l'H2 (2030-2040)
Le développement d'une filière hydrogène décarboné représente un fort potentiel pour s’intégrer dans un ensemble de technologies au service de la transition énergétique.
Il nécessite cependant une réflexion et des actions communes de l’ensemble des acteurs afin de développer une économie de marché viable et pérenne. Il s’agit ainsi de rassembler dès à présent les efforts – opérationnels, financiers, politiques – autour du développement d’écosystèmes territoriaux, en sécurisant l’offre et en stimulant la demande d’H2.
Parmi ces réflexions, l’étude de nouveaux modèles de financements est un axe structurant pour impulser et accélérer le développement d’une filière H2. Ce sujet pourra faire l’objet d’un prochain article qui permettra d’approfondir l’enjeu du déploiement de mix de financements fondés sur la complémentarité, les synergies et la mutualisation des moyens pour soutenir les projets de la filière.
(1 a, b) Stratégie Nationale Bas Carbone
(2) Ministère de la transition écologique et la Cohésion des territoires - L’hydrogène et ses avantages ; 02/21
(3) Morgan Stanley - Could Green Hydrogen Fuel a Reduced-Carbon World ? 09/18
(4) AirLiquide, 2023. Produire l'hydrogène.
(5) Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques - Les notes scientifiques de l’Office ; 04/2021
(6) Electricité issue d’énergies 100 %renouvelables ou d’un mix électrique bas carbone selon la publication par la Commission Européenne du 10/02/2023 de deux actes délégués [aux articles 27(3) et 28(5) de la directive 2018/2001] découlant de la directive relative à la promotion de l’utilisation de l’énergie produite à partir de sources renouvelables
(7) En France, mix électrique composé d’environ 25 % d’énergies renouvelables. RTE – Plateforme éCO2mix : Production d’électricité par filière en France https://www.rte-france.com/eco2mix/la-production-delectricite-par-filiere
(8) France Hydrogène - Trajectoire pour une grande ambition hydrogène à 2030 ; 2022
(9) Sandbag, 2023. Prix disponibles à l’adresse suivante : https://sandbag.be/index.php/carbon-price-viewer/
(10) Les Echos, 2023. France : La production d'électricité au plus bas depuis 30 ans en 2022 https://investir.lesechos.fr/actu-des-valeurs/la-vie-des-actions/france-la-production-delectricite-au-plus-bas-depuis-30-ans-en-2022-1907268
(11) « Vallées de l’hydrogène » : clusters, hubs visant à industrialiser la technologie grâce à une approche entièrement intégrée. Les écosystèmes ou vallées de l’hydrogène visent à mutualiser la chaîne de valeur et rapprocher l’offre et la demande avec des objectifs d’économies d’échelle, de diminution des prix et de diminution des risques liés aux investissements dans une économie H2
(12) European Hydrogen Backbone, 2023. The European Hydrogen Backbone (EHB) initiative. https://ehb.eu/
(13) Objectif de porter la part des énergies renouvelables à 33 % de la consommation finale brute d'énergie en 2030 et de réduire la part du nucléaire dans la production d'électricité à 50 % à l'horizon 203 - Projet révisé de Programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) ; 2020
(14) Plan hydrogène français 2017, information antérieure à la crise énergétique : L’hydrogène produit par électrolyse revient aux environs de 4 €/kg à 6 €/kg en fonction de la technologie d’électrolyse et pour une durée d’utilisation de l’ordre de 4 000 à 5 000 h par an et un coût de l’électricité autour de 50€/MWh (en soutirage sur le réseau)
(15) Données issues d’analyses PwC, variables selon les sources utilisées
(16) Exemple de l’Australie et des USA : prix de vente de l’H2 par électrolyse de 1$/kg