Guillaume Gibault – Si j'ai créé Le Slip français, il y a 15 ans, c’était pour montrer qu’il était possible de fabriquer en France. Les sous-vêtements étaient fabriqués par des partenaires locaux. Nous les achetions de 15 € à 20 € et les revendions à 40 €, donc sur un positionnement qui était très haut de gamme. La marque a grandi très vite. Avec des achats cadeaux de Noël ou de fête des pères, nous avons gagné des parts de marché et rapidement atteint 20 millions d'euros de chiffre d'affaires.
Puis le Covid est passé par là. À partir de 2022, le chiffre d'affaires a chuté de 10% par an. La question de la rentabilité et de la pérennité du modèle économique s’est posée. Le prix, une fois passé l’effet de nouveauté, était trop élevé pour un produit du quotidien. Il faut peut-être y voir aussi un certain désillusionnement post-Covid sur les questions de production en France.
Comment se réinventer ? Nous n'avions pas le choix. Quand on est une petite entreprise en perte de vitesse, il faut trouver une solution pour continuer de payer les salaires et les factures, pour rassurer les partenaires bancaires et des fonds d'investissement. Mais parfois, une forte contrainte permet de réaliser ce que l’on ne pensait pas être capables de faire. Pour nous engager dans un modèle d’affaires qui tienne la route, nous avons décidé de diviser le prix de vente par deux. De passer d'une marque-cadeau à une marque d'équipement pour tous les Français.
« Il y a 14 ans, j'ai rapporté 600 slips dans le coffre d'une voiture de location en me disant qu'au pire, j'en aurai pour toute ma vie ! Aujourd’hui, Le Slip Français en produit 3 000 par jour. »
L’enjeu était donc de réussir à fabriquer ce produit à moindre coût. Auparavant, nous n’avions pas d’approche industrielle du produit, nous n'avions pas cette connaissance métier. Mais l'avantage d’un sous-vêtement, c’est de ne pas être un produit très compliqué à réaliser.
Pour trouver la bonne solution industrielle, nous avons lancé le projet Révolution en avril 2024. Nous avons monté notre usine à Aubervilliers et à Paris et acheté quelques automates pour automatiser les étapes les plus importantes. De 400 000 pièces produites la première année, nous avons atteint un million de pièces. En produisant moins d’articles différents, mais plus de volume sur une même série, nous avons réalisé des économies d'échelle et descendu le prix à 15 € - 20 €.
Trouver un site industriel, c’est relativement facile. Trouver un modèle économique qui marche, c’est plus difficile. Ce serait une erreur stratégique de penser que les gens vont vous soutenir coûte que coûte, quel que soit le prix. Ce n'est pas vrai, même si nos clients adorent la démarche. Avant d'acheter un slip, il ne faut pas que le client ait besoin d’un bac +12 en économie pour se dire que c'est le bon produit, au bon prix, tout en s’assurant qu’il est fabriqué en France.
« Nous nous remettons en question à tous les niveaux. Une transformation, c'est aussi accepter que, parfois, ce que l’on a mis en place et pris l'habitude de faire n’est pas indispensable – ni si difficile à changer. »
Après avoir réussi l’automatisation, nous avons continué à reconstruire Le Slip français de façon très pragmatique, jour après jour. Réduire les coûts impliquait de fermer notre réseau de boutiques en propre. Nous nous sommes ouverts à de nouveaux clients via la grande distribution, en partenariat avec Carrefour, tout en maintenant le lien avec nos clients existants. Côté marketing, nous ne prenons rien pour acquis. Nous essayons des choses, les mesurons et apprenons. Nous nous sommes autorisés à diviser nos dépenses par deux sur certains leviers, mais nous nous appuyons beaucoup sur le CRM.
Associée responsable de l'innovation et de l'impact, PwC France et Maghreb