« On double les données produites tous les trois ans », rappelle Olivier Micheli, président de Data4, leader européen des datacenters. Cette accélération tient à trois moteurs : la montée en puissance des services récréatifs (vidéos, jeux, réseaux sociaux), la généralisation du cloud à toutes les tailles d’entreprises et l’essor fulgurant de l’intelligence artificielle.
La conséquence est directe : une demande énergétique en forte croissance. « Aujourd’hui, la puissance informatique installée mondialement représente 60 gigawatts, soit l’équivalent du parc nucléaire français », souligne-t-il. À l’échelle française, la dynamique s’accélère également : « Nous sommes à 700 mégawatts aujourd’hui, mais nous visons 4 gigawatts en 2035. »
L’IA accroît la valeur produite par le numérique. Mais elle en accentue aussi les besoins en puissance. « Une requête sur ChatGPT est dix fois plus énergivore qu’une recherche Google. Il faut l’expliquer, même à nos enfants », note Olivier Micheli. Plus les algorithmes sont complexes, plus ils nécessitent de capacité de calcul et donc d’énergie.
Jusqu’à récemment, les progrès en efficacité énergétique compensaient cette croissance : « On consommait 6 % d’énergie en plus pour 600 % de puissance informatique supplémentaire. Cette ère est révolue. » À l’avenir, la hausse des usages se traduira directement en hausse de consommation. Il devient donc impératif de renforcer l’efficience opérationnelle des infrastructures.
Si l’énergie alimente les serveurs, elle sert aussi à les refroidir. Et cette part est loin d’être négligeable. « En moyenne, la moitié de l’énergie sert au refroidissement. Et c’est là que les choses deviennent passionnantes », explique Sylvie Jéhanno, Présidente-directrice générale de Dalkia.
L’enjeu ? Refroidir autrement, avec moins. Cela passe par une meilleure régulation thermique : « On est passé de 16 à 27 degrés en salle, et on vise 30 °C dans certains cas », précise Olivier Micheli, mais aussi par des technologies sobres :
À Toulouse, la chaleur dégagée par les serveurs de Météo-France ne part plus dans l’atmosphère. Elle alimente désormais un réseau de chaleur urbain qui fournit de l’eau chaude et du chauffage à des logements de la métropole. Ce projet porté par Dalkia illustre un levier majeur de la décarbonation : la valorisation de la chaleur fatale des datacenters.
« C’est l’économie circulaire appliquée à l’énergie », résume Sylvie Jéhanno, Présidente-directrice générale de Dalkia. Le principe est simple : plutôt que de dissiper l’énergie thermique produite par les machines, on la capte, on la transfère dans un réseau local, et on la réutilise pour chauffer bâtiments et équipements publics.
Ce modèle présente un double avantage. Énergétique, d’abord : on réduit la consommation de ressources primaires. Climatique, ensuite : on remplace des calories fossiles par de la chaleur renouvelée.
Alors que les datacenters se multiplient, cette démarche ouvre la voie à des synergies territoriales durables, où le numérique devient un levier à part entière de la transition énergétique locale.
Longtemps concentrés dans les grandes métropoles, à proximité immédiate des sièges sociaux, des nœuds télécoms et des zones de forte densité de services, les datacenters amorcent désormais un glissement géographique stratégique. Ce mouvement s’explique par plusieurs contraintes croissantes : rareté du foncier, tensions sur l’accès à l’énergie, et pression sociale autour de l’usage des ressources urbaines.
« Nous construisons désormais des campus sur 20 à 40 hectares. Trouver cet espace en région parisienne est devenu presque impossible », observe Olivier Micheli. Le regard se tourne donc vers des territoires disposant d’un foncier plus accessible, d’une infrastructure électrique robuste, souvent issue de l’industrie, et surtout d’une acceptabilité locale plus forte.
Cette évolution fait émerger un nouveau modèle : les gigacampus régionaux, connectés aux systèmes énergétiques locaux et plus faciles à intégrer dans des logiques de circularité. « La France a tous les atouts pour devenir leader : électricité décarbonée, fiable et compétitive. »
Peut-on réduire l’impact du numérique tout en s’appuyant sur lui pour accélérer la transition ? La réponse est oui : à condition d’exploiter tout le potentiel de pilotage énergétique que permettent les outils numériques eux-mêmes.
« Nous connectons nos installations pour les piloter grâce à l’IA. Les bâtiments deviennent apprenants », indique Sylvie Jéhanno. Cela permet une adaptation en temps réel, une meilleure anticipation des usages et une production d’énergie optimisée, au bon moment, avec les bonnes sources. « Grâce au machine learning, on produit toujours l’énergie la plus verte, au meilleur coût. »
La montée en puissance des datacenters ne se résume pas à un enjeu technologique. C’est aussi un sujet de compétences. « C’est un sujet extraordinairement humain. On réussira ensemble si on attire les bons profils », insiste Sylvie Jéhanno. Bac +2, Bac +3, ingénieurs, techniciens : les besoins sont nombreux et les perspectives solides.
Côté impact économique, le signal est également fort. « Nous prévoyons 150 000 créations d’emplois en France d’ici 10 ans », rappelle Olivier Micheli. Une dynamique industrielle au service des territoires.
Le débat autour des capitaux étrangers est posé avec pragmatisme. « Il est essentiel d’avoir les datacenters sur notre sol. Ce sont des actifs physiques critiques », souligne Olivier Micheli. Mais il tempère : « Il ne faut pas avoir peur des capitaux étrangers. On n’aura pas suffisamment de capitaux en France pour tout construire. »
L’essentiel est de maîtriser les standards techniques, environnementaux et éthiques et de s’assurer que les infrastructures restent alignées avec les priorités européennes en matière de sécurité et de durabilité.
La croissance du numérique est un fait. La montée de l’IA ne fait que l’amplifier. Mais cette trajectoire peut être maîtrisée, à condition de la penser comme un projet industriel, inscrit dans les territoires, connecté aux réseaux et aligné sur les objectifs climatiques.
« Les datacenters responsables, cela existe. La France a toutes les compétences pour les développer, et dispose de nombreux atouts, dont l’électricité bas carbone produite par le Groupe EDF. »
Associée responsable de l'innovation et de l'impact, PwC France et Maghreb