00:00:01
Raphaëlle Duchemin : On aurait pu demander à l'IA générative de nous faire un compte rendu de la manière dont elle s'est installée chez PwC France et Maghreb. Aujourd'hui, la technologie se diffuse partout dans la firme, à tous les étages, elle est même, figurez-vous, montrée en exemple. PwC France et Maghreb est le client zéro, une sorte de bêta testeur. Pourquoi ? Quelles sont les stratégies clés qui ont permis une adoption massive des outils ? Je suis Raphaëlle Duchemin, et nous entrons ensemble dans Histoires d'IA avec celles et ceux qui ont pensé cette transformation et qui peuvent aujourd'hui servir de modèle pour ceux qui tâtonnent dans les usages.
00:00:44
Raphaëlle Duchemin : Bonjour Philippe Trouchaud.
00:00:45
Philippe Trouchaud : Bonjour.
00:00:45
Raphaëlle Duchemin : Merci d'être avec nous. Vous êtes Chief Technology Officer chez PwC France et Maghreb. L'IA, cela fait un moment maintenant que les grands groupes s'y intéressent. Votre approche a été différente. Vous avez tout de suite pensé qu'il ne suffisait pas seulement de mettre l'outil à disposition, mais qu'il fallait, dès le démarrage, y ajouter la brique de l'accompagnement. Quelle a été cette intuition ? Pourquoi ?
00:01:13
Philippe Trouchaud : La première raison, c'est d'abord que l'IA fait peur. Il y a une sorte de légende urbaine que l'IA supprimerait plein de postes. Quand nous regardons la population de PwC, c'est plutôt une population assez jeune, 28 ans de moyenne d'âge, surdiplômée, donc nous pouvions penser que cette population serait appétente mais elle ne l'est pas plus que ça, elle a les mêmes craintes que le monde entier. 42 % des salariés considèrent que leur emploi est menacé par la technologie au sens large, donc il y a d'abord une crainte. Ensuite, l'IA, ce n'est pas complètement intuitif parce qu'il y a des biais, elle se trompe, et donc la courbe de déception lors de l’utilisation d’une IA sans accompagnement, elle est très rapide.
Généralement, les gens l'utilisent trois, quatre jours, puis ils disent que ça ne marche pas, que les résultats ne sont pas corrects, il y a ce genre de choses. Puis, nous avions aussi comme ambition, comme stratégie, de mettre l'humain au centre de la technologie. Autrement dit, vous pouvez additionner plein de technologies, si vous n'accompagnez pas l'humain qui est toujours, j'allais dire par construction, réticent au changement, et n'aime pas changer ses habitudes, ça ne marche pas. C'est ce qui prévalait. Nous nous sommes aussi dit qu'il était important pour nous de pouvoir avoir des actions au niveau de l'ensemble de PwC.
00:02:34
Raphaëlle Duchemin : Donc, vous vous êtes dit, ceux qui effectivement savent utiliser l'IA doivent accompagner ceux qui ne savent pas ou vont avoir des difficultés pour passer ces premières étapes qui peuvent être, comme vous l'avez dit, déceptives.
00:02:49
Philippe Trouchaud : Oui, c'est un peu le concept. Nous avons appelé ça des champions. Il y a des gens qui ont un tropisme spontané, qui sont plus curieux que la moyenne et qui aiment utiliser des nouvelles technologies. Ceux-là, nous leur avons demandé d'aller chercher ceux qui étaient plus réticents pour leur montrer, en particulier dans nos métiers, que c'était un bon axe pour supprimer tout un tas de tâches répétitives ou fastidieuses. Les statistiques auxquelles nous arrivons aujourd'hui, c'est qu'un utilisateur régulier de ces solutions gagne à peu près six heures par semaine, nous le vérifions aussi techniquement. Les commentaires que nous recevons sont : « J'ai effectivement éliminé les tâches répétitives et fastidieuses, et la nature de mon métier a un peu changé. Je suis un peu plus dans l'analyse, j'ai plus de temps pour l'analyse, pour prendre du recul, voire pour converser avec mes clients, et j'ai éliminé une partie de ce qui faisait un peu l'irritant de mon métier. »
00:03:50
Raphaëlle Duchemin : Qui est-ce que vous avez aidé en particulier ? Est-ce qu'il y a des tranches d'âge ? Est-ce qu'il y a des métiers qui étaient plus rétifs au changement comme vous dites ? Est-ce qu'il y a des idées reçues là aussi sur ce profilage ?
00:04:06
Philippe Trouchaud : Oui, nous avons des idées reçues, je vais vous donner les exemples tout de suite. Ceux qui sont un peu plus avancés dans l'âge, je pense qu'ils ont eu la crainte de la ringardisation parce qu'ils n'utilisaient pas l'IA. Paradoxalement, ce sont plutôt les plus seniors qui ont été au départ les plus appétents à s'immerger dans l'IA, et à contrario, les plus jeunes, quand ils arrivent, ils ne connaissent pas encore le métier, donc utiliser une IA sur des process métiers, sans avoir un minimum de deux, trois ans d'expérience, c'est compliqué. Parce que vous ne savez pas comment faire, vous l'apprenez. Ce n'était pas ce que nous attendions au départ, mais c’est notre constat 18 mois après.
00:04:44
Raphaëlle Duchemin : Comment, en tant que CTO, avez-vous fait avec ces profils très différents, pour que ce soit accessible à tous ? Comment vous êtes-vous assuré de ne laisser personne sur le bas de la route, sur le côté du chemin ?
00:04:54
Philippe Trouchaud : Nous avons créé des approches très transversales pour que ceux qui sont plutôt des champions puissent montrer aux autres les gains, mais sur base de la curiosité de chacun. Le seul truc dans ce genre de fonctions qu'il est impossible de créer ou de faire, c'est d’avoir de la curiosité à la place des gens. Donc, la parole n'est pas de moi, mais nous avions aussi ce motto qui était de dire, nous ne pouvons pas déléguer l'apprentissage de l’IA, à un moment, il faut s'y mettre.
00:05:22
Raphaëlle Duchemin : Il faut s'y mettre, et pour ça, nous avons les champions pour nous aider, pour nous prendre par la main, pour nous guider, puis le sur-mesure de chaque métier, c'est aussi ça la complexité ?
00:05:34
Philippe Trouchaud : Oui, c'est le sur-mesure, parce que nos métiers sont très variés, donc l'usage, par exemple de la fiscalité, n'est pas le même que celui du consulting sur des technologies. Il a fallu réunir ces petites communautés et favoriser le partage de la connaissance, et nous l’avons fait dans des moments de convivialité. Nous avons donc organisé beaucoup de petits déjeuners de l'IA.
00:05:58
Raphaëlle Duchemin : Comment est-ce que cette expérience-là, vous la valorisez en externe ? Comment est-ce que les clients de PwC France et Maghreb viennent vous interroger sur la manière d'implémenter l'IA générative ?
00:06:11
Philippe Trouchaud : Nous avons pas mal de clients qui ont eu ce réflexe de se dire : « J'achète plein de licences et je les donne à tout le monde. » Comme je le disais, il y a une courbe de déception, si vous n'êtes pas accompagnés, qui vient très rapidement au bout de trois, quatre jours. Nous avons pas mal de clients qui, au vu des statistiques que nous partagions, se disent que ça serait intéressant de voir comment nous avons fait. En toute modestie, bien sûr. Au lieu de vendre des concepts ou des méthodologies comme nous le faisions avant sur présentations Powerpoint, nos clients veulent désormais voir des applications concrètes de la transformation technologique. Par exemple, l'IA soulève des sujets souvent négligés, tels que les infrastructures. Pour une IA à grande échelle, il est nécessaire de disposer de réseaux et de capacités de calcul puissants ainsi que d'une gestion rigoureuse des données.
En ce qui concerne les métiers de type transaction, l'IA permet de gérer efficacement des data rooms contenant des centaines, voire des milliers de documents lors de fusions et acquisitions. Alors qu'avant, tout était traité manuellement, l'IA spécialisée permet désormais de synthétiser et d'analyser ces documents, laissant ainsi plus de temps à l'analyse approfondie.
00:07:44
Raphaëlle Duchemin : C'est quoi le next step ?
00:07:47
Philippe Trouchaud : C'est d'être vraiment en mesure d'accompagner pour ne pas générer de nouvelles peurs, et c'est le passage à l'échelle. Nous avons beaucoup testé, nous avons un certain nombre de réalisations qui sont à l'échelle. Encore une fois, supprimer des tâches fastidieuses, répétitive, c'est une bonne nouvelle pour tout le monde. Ce n'est pas que de la productivité, c'est aussi un gain dans l'attractivité de nos métiers. Nous en avons besoin. Il manque 22 000 ingénieurs par an en France, s'il y a un gain de productivité dans la technologie, ça ne sera pas un drame.
00:08:23
Raphaëlle Duchemin : Je crois que nous sommes presque arrivés à la fin de cet entretien, mais on a une question qui vous est posée par l'intelligence artificielle puisque depuis le début de cet entretien, nous avons déclenché Copilot. Alors Philippe, l'IA voudrait savoir comment vous voyez l'évolution, son évolution, dans les prochaines années, et quel rôle PwC entend jouer dans cette transformation.
00:08:50
Philippe Trouchaud : Alors, ce que nous pouvons prédire, c'est que l'IA va se consolider. Il y a beaucoup d'annonces, donc il y aura sûrement quelques grands acteurs européens. Si je me projette quelques années en avant, nous aurons eu besoin de beaucoup de puissance de calcul, donc l'apothéose ou le vrai chemin de l'IA, c'est lorsque nous disposerons d'ordinateurs quantiques. Parce qu’à l’heure actuelle, si tout passe à l’échelle, il n’y a pas assez de matériaux pour produire suffisamment d'ordinateurs pouvant supporter tous les moyens de calculs nécessaires. Comment PwC supportera ses clients ? C'est assez explicite. Nos clients, à plus de 62 % ont comme priorité la transformation grâce à la technologie et en particulier l'IA, et ils considèrent que c'est urgent parce que quand ils se projettent, leur sentiment, c'est que s'ils n'arrivent pas à faire ces transformations, leur entreprise est condamnée à horizon de cinq ou 10 ans. Transformer grâce à la technologie, mais aussi et évidemment grâce à l'humain. Nous voyons les transformations souvent réussisses, parce que l'humain a été mis au centre et que nous n’avons pas eu la croyance que le miracle technologique allait advenir dans telle et telle entreprise.
00:10:00
Raphaëlle Duchemin : Chez PwC, la maxime, c'est : « Human-led, tech-powered ». Ne serait-ce pas précisément ce qui se passe aujourd'hui avec l'IA générative ? Un outil puissant, certes, mais bel et bien au service de, pour qui sait l'utiliser.
Bonjour Pierre Bosquet.
00:10:19
Pierre Bosquet : Bonjour.
00:10:20
Raphaëlle Duchemin : Merci d'être avec nous. Votre rôle, c'est chef de programme AI PwC, Associé stratégie digitale et IA Strategy&. Nous avons entendu Philippe Trouchaud tout à l'heure nous dire de ne pas laisser passer le train, faire en sorte que tout le monde monte dedans. Est-ce que c'était la difficulté à un moment où tout le monde y allait peut-être en ordre dispersé, avec la contrainte en interne de ne pas laisser le champ libre à tous ceux qui avaient aussi envie de l'utiliser ?
00:10:51
Pierre Bosquet : Une des raisons de monter le programme, c'était de faire en sorte de limiter le risque de fuites de données, et donc nous savions que des gens utilisaient notamment ChatGPT, et dans les conditions d'utilisation de ChatGPT public, tout ce qui est donné à ChatGPT arrive sans les droits d'auteurs en quelque sorte, y compris ce qui pouvait être des données clients. Donc le premier mouvement, c'est effectivement de limiter les fuites de données, et donc par ricochet, il fallait bien proposer quelque chose, suivant cette philosophie de « human-led, tech-powered », et donc de s'équiper d'outils qui étaient à la fois utilisables et qui permettaient aux humains de décupler idéalement leur travail et par ailleurs, de rester comforme.
00:11:48
Raphaëlle Duchemin : Ne pas interdire, mais sécuriser.
00:11:51
Pierre Bosquet: Voilà, exactement. Ne pas interdire, sécuriser et proposer une alternative. A partir de là, s'est organisé un programme plus large qui a conduit à tout ce que nous connaissons aujourd'hui, c'est-à-dire quelque chose plus orienté vers l'humain et le change management.
00:12:11
Raphaëlle Duchemin : Est-ce que le fait d'être réglementé, ça a été un problème ? ou au contraire, est-ce que ça a permis peut-être dès le départ de cadrer les choses, de mettre un cadre ?
00:12:24
Pierre Bosquet : Effectivement, le cadre a contraint les choix et donc a permis de faire certains choix plus rapidement. Pour n'en citer qu'un, ça a été le fait de choisir Copilot à une époque où l'outil était très décrié par ailleurs, et pour dire les choses très directement, la plupart de nos clients le rejetait, pour autant, c'était le seul qui pouvait justement répondre à nos contraintes réglementaires. A posteriori, c'est ce choix rapide, contraint, donc rapide, qui a permis de se rendre compte où étaient véritablement les problèmes. Le problème à résoudre, c'était une adoption à grande échelle, et quand on dit adoption, c'est que les gens comprennent comment ce nouvel outil allait leur faire, alors, pour reprendre l'adage, gagner du temps, plutôt que d'en perdre à apprendre à utiliser l'outil.
00:13:22
Raphaëlle Duchemin : Comment vous l'avez mis en place, cette adoption ? Est-ce qu'il y a des étapes clés ? Est-ce qu'il y a des steps qu'il ne faut pas manquer ? Est-ce qu'on peut décomposer ce processus ?
00:13:34
Pierre Bosquet : Nous savons que pour commencer, il y a quelque chose qui marche bien, c'est de faire en sorte de ne pas donner et distribuer les fameuses licences Copilot dans la nature à qui voudrait l'essayer de façon très disparate. Il vaut beaucoup mieux ne donner une licence qu'après une formation initiale, pour qu'elle commence avec des choses qui marchent plutôt que d'essayer des choses qui ne marchent pas. Ce serait par exemple donner une licence Copilot à un avocat. Que va-t-il faire ? Il va essayer de voir si l'intelligence artificielle le bat sur son domaine d'expertise. Evidemment, ça ne marche pas puisqu'il est impossible de lui demander le même niveau d'expertise, et heureusement, à une intelligence artificielle par rapport à un avocat.
Donc ça, ça serait très déceptif, et c'est ce qui fait que dans beaucoup de groupes, quand on donne des licences comme ça, les gens l'essaient sur leur domaine d'expertise et ils peuvent immédiatement se dire : « Ah, je suis rassuré, l'intelligence artificielle ne me battra jamais, et donc ça ne marche pas et je le laisse de côté ». Alors que la réalité de ces systèmes, c'est justement de faire les choses sur lesquelles nous ne sommes pas experts et nous aider à aller plus vite sur les choses qu'on a moins l'habitude de faire, ou sur les choses assez répétitives.
00:14:57
Raphaëlle Duchemin : Et après ? Une fois la licence obtenue, quelles sont les étapes suivantes ?
00:15:02
Pierre Bosquet : Nous avons aussi appris quelque chose en faisant, c'est que ce n'est pas très efficace d'avoir des licences, et de simplement les distribuer à qui le voudrait. Il vaut mieux que les équipes au complet soient équipées en même temps. Pourquoi ? Parce que justement, ils vont pouvoir, dans le cadre d'un projet, s'échanger ce qui marche et laisser de côté ce qui ne marche pas. Il y a un effet d'entraînement entre les différentes personnes, et d'adaptation dans les process qui sont mis en œuvre dans telle ou telle équipe. L'exemple le plus simple que tout le monde comprend, c'est Teams Copilot, si une réunion est enregistrée, s'il n'y en a qu'un seul qui peut avoir le récapitulatif, ce n'est pas très intéressant pour les autres d'avoir cette réunion enregistrée. Alors que si tout le monde a la licence, tout le monde a accès au récapitulatif à la fin.
00:16:01
Raphaëlle Duchemin : Cette manière de procéder, ça vous a permis aujourd'hui d'être chez PwC parmi les groupes qui ont le plus de licences et qui ont le meilleur taux d'adoption, ça, c'est véritablement un succès. Ça veut dire que vous êtes montrés en exemple ?
00:16:19
Pierre Bosquet : Nous savons effectivement que Microsoft, qui a accès à l'ensemble des chiffres du marché, connaît déjà nos nombres de licences par rapport à d'autres qui sont mis en exergue, comme Amadeus, qui eux, ont à peu près 10 000 licences, mais au niveau mondial. Nous savons que chez PwC, en parlant juste de la France, nous en avons déployé plus, c'est la première partie de la chose. La deuxième partie, le deuxième volet, c'est l'adoption. Nous savons qu'avec des chiffres de l'ordre de 80 %, nous sommes en tête en quelque sorte. Alors, Amadeus présente des chiffres un peu plus élevés, toutefois en utilisation réelle sur projet, nous pensons être bien devant.
00:17:03
Raphaëlle Duchemin : Microsoft fait référence justement à ce que vous avez su mettre en œuvre en interne pour montrer aux autres groupes comment adopter les process. Ça, c'est un argument, j'imagine, qui pèse quand vous allez rencontrer des clients ?
00:17:19
Pierre Bosquet : Nous pouvons leur apporter ce retour d'expérience, et nous avons aussi des convictions fortes sur la façon de le faire, puisque pour en arriver là, il est bien évident que nous avons essuyé nous-mêmes des échecs et que nous avons déjà essayé un certain nombre de méthodes. Nous savons ce qui marche, ce qui ne marche pas, et cela nous permet en quelque sorte de les aider de la façon la plus efficace possible.
00:17:49
Raphaëlle Duchemin : Pour faire adopter la GenAI, encore faut-il avoir conscience de ce qui se joue sous nos yeux. Il ne s'agit pas d'un joujou technologique dernier cri que tout le monde veut avoir, non, c'est bien un changement profond qui s'opère dans la manière de travailler avec la technologie. Une révolution en quelque sorte.
Enrique Campserveux Rousseau, Bonjour.
00:18:12
Enrique Campserveux : Bonjour Raphaëlle.
00:18:13
Raphaëlle Duchemin : Merci d'être avec nous. Vous êtes Associé dans la Business Unit Microsoft de PwC France et Maghreb. Cela fait deux ans que vous avez rejoint le cabinet, justement sur la technologie Microsoft. Vous dites aujourd'hui, les entreprises doivent avoir conscience de ce qui se passe. C'est comme quand la mécanisation est arrivée dans nos vies, nous fabriquions avec nos mains et nous avons commencé à le faire avec des machines. Là, c'est la même chose qui se passe ?
00:18:37
Enrique Campserveux : C'est exactement ça, c'est une révolution qui se passe dans l'ensemble des sociétés mondiales, et cette révolution est équivalente à celle de la mécanisation au XIXᵉ siècle. Nous sommes passés de produits manufacturés artisanaux à de la mécanisation, l'industrialisation, et à un développement massif en nombre de produits manufacturés. Aujourd'hui, il se passe exactement la même chose dans les activités de service et d'ingénierie, mais il s’agit de la production de contenus issus de l'intelligence humaine. Ce qui se passe, c'est que cette intelligence humaine va être majoritairement produite par une intelligence artificielle, et l'humain a deux rôles : celui de questionner le mieux possible et de réceptionner le contenu, de le valider et par la suite de le commercialiser.
00:19:35
Raphaëlle Duchemin : Est-ce que ça va avoir, selon vous, les mêmes effets que l'arrivée des machines au XVIIIᵉ ?
00:19:44
Enrique Campserveux : Il y a de grandes chances que les métiers changent. L'arrivée des machines a produit deux grands effets, celui de conserver un artisanat très premium. On le voit dans l'excellence française, dans la maroquinerie par exemple, ou dans la bijouterie ou la joaillerie, mais à côté de ça, il y a des produits manufacturés qui viennent de pays un peu lointains, qui inondent notre marché national ou mondial. En l'occurrence, il va se passer la même chose dans le monde de l'activité de service. C'est-à-dire qu'il va y avoir vraisemblablement des entreprises qui vont massivement investir dans l'intelligence artificielle, donc produire du contenu rapidement, sûrement à bas coût, et le distribuer à des entreprises qui en auront besoin. A côté de ça, je pense qu'il y a potentiellement un marché plus premium qui apportera une intelligence plus basée sur peut-être une recherche humaine, ou tout simplement issue de données de confiance, et qui permettront d'apporter un service différent.
00:20:54
Raphaëlle Duchemin : Vous avez, je crois, rencontré plusieurs patrons qui pensent que ce n'est pas pour eux, ou en tout cas pas pour l'instant, qu'ils ont le temps. Est-ce qu'ils font la bonne analyse ?
00:21:05
Enrique Campserveux : La plupart des chefs d'entreprise sont curieux, mais en même temps, ils sont encore dans l'expectatif en se disant : « C'est peut-être trop tôt. Mes concurrents aujourd'hui ne sont pas encore allés jusqu'au bout de cette démarche. J'ai le temps ». Très clairement, ils sont mélangés entre curiosité et peur de se faire dépasser, et il y a aussi une sorte d'effet de mode. Vous savez, dans la technologie, il y a des grandes modes qui parfois aboutissent à des vraies transformations, et d'autres qui font un plat et qui n'apportent pas grand-chose dans la durée. Malgré tout, aujourd'hui, les entreprises françaises, toutes, se posent la question, qu'elles soient grosses ou petites, toutes expérimentent des cas d'usage en se disant : « Je ne voudrais pas louper ce train et me retrouver complètement dépassé, disrupté par un concurrent qui arriverait à produire plus rapidement, de manière moins chère, et qui me prendrait mes parts de marché. »
00:22:15
Raphaëlle Duchemin : Comment passer à l'échelle, passer à cette généralisation dans une entreprise qui parfois est un peu frileuse ?
00:22:24
Enrique Campserveux : Nous pouvons nous baser sur l'expérience du cabinet. Comment nous avons procédé ? Ça a été plutôt simple, c'est-à-dire que nous avons pris d'abord une décision en se disant que c'était quelque chose d'important et de stratégique. Il y a un côté où il faut être vraiment convaincu de l'apport de cette technologie au bénéfice des employés, au bénéfice de nos clients. Ensuite, il faut se poser la question de savoir : qu'est-ce que nous cherchons ? Le premier élément, facile à mesurer, c'est le gain de temps.
Une fois que ce gain de temps a été réalisé avec les GenAI, qu'est-ce que nous en faisons ? Est-ce que ce temps est réinvestit dans l'outil de productivité, et donc permet des gains de marge ou des gains sur la performance financière de l'entreprise ? Ou alors, ce temps gagné va nous permettre de mieux servir nos clients, et donc nous faire gagner en satisfaction client ? Ce temps peut être aussi réutilisé pour le bien-être des employés en se disant : « Nous sommes sur des activités qui sont tendues, mes employés travaillent de manière trop intensive, et nous pouvons réinvestir une partie de ce temps pour leur donner du bien-être de façon à ce qu'ils puissent mieux balancer leur vie de travail et leur vie personnelle. »
La première chose à évaluer, c'est pourquoi nous allons gagner du temps et à quoi ça va servir. La deuxième chose, c'est la phase de communication du projet au sein de l'entreprise. C'est hyper important d'expliquer à l'ensemble de ses employés pourquoi nous choisissons de mettre en place de l’IA générative au sein d'une entreprise. Derrière, il y a la phase de généralisation et d'intégration technologique du produit qui est assez rapide, parce que ce sont des produits qui sont simples à déployer, mais tout l'enjeu va être plutôt en bout de ligne sur l'accompagnement des collaboratrices et des collaborateurs au travers la conduite du changement, et se dire que la première méthode est d'interroger la machine pour obtenir un résultat plus rapide, plus qualitatif et revenir au rôle du collaborateur qui est d'évaluer le contenu généré, de l'amender et de le commercialiser.
00:24:56
Raphaëlle Duchemin : Nous sommes dans une phase d'approche pour l'instant, nous regardons comment se déploie l'outil IA générative. Quelles vont être les étapes suivantes ? Comment est-ce que ça va se passer pour qu'il y ait une adoption plus généralisée ?
00:25:08
Enrique Campserveux : Le premier élément important, c'est que les grands éditeurs internationaux de logiciels, dont Microsoft fait partie, réfléchissent vraiment à intégrer la GenAI dans l'ensemble de leurs produits. Tous les produits Microsoft ont une composante d'intelligence artificielle générative qui permet d'avoir une interface homme machine facilitée. Vous allez retrouver de la GenAI dans l'ensemble de la Suite Office, pour produire du texte, on pourra interroger la machine et produire du texte facilement, pour faire les analyses dans Excel, de la même manière. Par ailleurs, ça, c'est quelque part le petit bout de la lorgnette. La GenAI va se retrouver dans tous les pans technologiques d'une entreprise. Sur des activités de CRM, donc la relation client, nous pourrons être capable d'intégrer de la GenAI de manière à mieux servir le client, mieux comprendre son besoin et mieux traiter ses demandes.
L'IA générative aujourd'hui, elle va venir de manière naturelle dans tous les produits informatiques et quelque part, nous n’allons même pas le voir, ça va être complètement standardisé. C'est un peu comme votre téléphone. Je ne sais pas si vous avez vu, mais Apple a fait une sortie sur un téléphone qui n'a plus du tout d'écran, c'est-à-dire qu'on interroge le téléphone uniquement par la voix. Le rêve ultime peut-être, c'est de ne plus avoir cet élément d'abstraction entre l'homme et la machine qui serait un clavier, une souris et un écran, nous pourrons, dans un avenir, je pense, qui n'est pas de la science-fiction, interroger la machine de manière hyper naturelle, et à titre d'exemple, nous pourrions demander le matin : « Fais-moi un résumé de l'ensemble des emails qui m'ont été envoyés. Prépare-moi des réponses, dicte-moi ses réponses », valider ses réponses et les envoyer. Au même titre, nous pourrions demander le résultat des ventes de la veille, qu'est-ce qui a fonctionné, qu'est-ce qui n'a pas fonctionné, et tout ça sans écran, sans clavier, et produire des réponses ou produire des solutions qui seraient mises en place tout de suite dans l'entreprise.
00:27:27
Raphaëlle Duchemin : Enrique, pendant cet entretien, Copilot était parmi nous, et a probablement une ou plusieurs questions à vous poser.
00:27:35
Enrique Campserveux : Avec grand plaisir.
00:27:37
Raphaëlle Duchemin : Enrique, Copilot voudrait savoir comment les petites et moyennes entreprises, les ETI également, peuvent tirer parti de l'IA Générative pour rester compétitives ?
00:27:49
Enrique Campserveux : Raphaëlle, je vais vous donner un exemple très concret. Je connais une entreprise qui est dans le monde de l'ingénierie verte dans le domaine de la construction. Cette entreprise que j'ai rencontrée hier, a une base de connaissance immense qui représente 25 ans d'expérience, de réponse à appel d'offres sur des domaines extrêmement pointus, extrêmement précis. Aujourd'hui, quand ils répondent à un appel d'offres, c'est tout simplement l'ingénieur qui va essayer de se souvenir où est un document pour répondre à une question très précise qui est une contrainte ou qui est un avantage concurrentiel pour la société.
Il faudrait imaginer que cette ETI bénéficie en fin de compte d'une capacité nouvelle qui serait l'équivalent d’un documentaliste qui irait lire, en une minute et demie, l'ensemble de la base documentaire de l'entreprise issue de 20 ans d'expérience, et qu'elle obtiendrait hyper rapidement l'élément d'information qui lui est nécessaire pour répondre à l'appel d'offres qui est en cours. Très clairement, c'est un gain de productivité immense et ça permet de valoriser le capital documentaire de l'entreprise, et en termes d'efficacité, pour répondre à de multiples appels d'offres, c'est inimaginable.
00:29:15
Raphaëlle Duchemin : C'était Histoires d'IA, la série de ceux qui font et qui se transforment grâce à l'intelligence artificielle. Retrouvez tous les épisodes sur PwC.fr.