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Ces échanges ont eu lieu dans le cadre du partenariat entre PwC France et Maghreb et l'Institut Français de l’Audit et Contrôle Internes (IFACI). Initié en 2021 pour travailler sur l’implication des fonctions Risques, Audit interne et Contrôle interne sur les enjeux ESG, dont la CSRD, ce partenariat a débouché entre autres sur la publication conjointe d’une étude sur la double matérialité et d’un guide contrôle interne du reporting de durabilité.
Lionel Monteiller - Selon les entreprises, les chantiers CSRD peuvent être pilotés par la Direction financière (reporting, controlling) ou la Direction développement durable, voire les deux. Chez Valeo, c’est la direction Audit, Risques et Contrôle interne qui a été sollicitée pour donner la première impulsion. Nous avions acquis une certaine légitimité en interne pour deux raisons. La première est liée à notre rôle sur le développement d’un environnement de contrôle robuste pour le groupe ; la seconde à notre implication depuis plusieurs années sur les thématiques de durabilité pour le groupe.
Le reporting de durabilité est un sujet qui va faire partie de nos métiers. Notre approche a donc tout d’abord été de nous approprier la CSRD en déchiffrant les normes associées pour bien comprendre les enjeux. Cela nous a permis de dépasser rapidement cette étape où l’on découvre le millier de data points de la CSRD, qu’il faut prioriser, avant de passer à l’analyse de la double matérialité selon les exigences des normes.
Nous sommes perçus comme une fonction d'assurance. Au départ, il importait surtout de dédramatiser le sujet en faisant beaucoup de pédagogie et de communication en interne avec les parties prenantes, les organes de gouvernance, le management… Cela s’est fait assez naturellement.
Anne-Gaëlle Delattre - Comme nous travaillions depuis 2017 sur une cartographie des risques extra-financiers de Valeo, nous avions déjà pour interlocuteurs les parties prenantes internes amenées à contribuer au projet CSRD. J’étais également sensibilisée à la CSRD via une veille règlementaire et ma participation à des associations professionnelles.
C’est donc assez naturellement que la direction a été impliquée sur de nombreuses dimensions : compréhension des normes et mobilisation, évaluation de la double matérialité, sélection du vérificateur (direction de l’Audit) et structuration du Contrôle interne.
Caroline Naït-Mérabet - La valeur ajoutée de la fonction risques pour la CSRD réside aussi, outre son habitude de travailler en transversalité, dans la capacité de s’emparer de sujets nouveaux dans l’entreprise pour en faciliter l’appropriation.
Lionel Monteiller - Nous avons donné une impulsion. Au début de la démarche, les différents contributeurs, bien que sensibilisés à la CSRD, n’avaient pas nécessairement pris conscience de l’ampleur du sujet et des liens stratégiques associés à ce premier exercice. Quand nous avons commencé à travailler sur la matrice de double matérialité, qui est un outil d’une grande lisibilité, nous avons pu initier des discussions concrètes, riches et approfondies. Cela a permis au Groupe de se concentrer sur les sujets les plus importants avec un nouveau prisme.
Anne-Gaëlle Delattre - En effet, l’évaluation de la double matérialité est un exercice clé pour la CSRD car il constitue une étape structurante du futur reporting. Nous avons pu capitaliser sur les travaux déjà conduits sur l’exercice de cartographie des risques extra-financiers pour adapter nos méthodologies à ce nouvel exercice. Nous avions aussi développé la matrice de priorisation des risques, basée sur l’évaluation de la marge d’amélioration en matière de mitigation des risques et plus récemment l’évaluation de l’efficacité des activités de contrôle. Il est utile de combiner ces différentes analyses.
Les fonctions Risques, dont la contribution est demandée par les normes, sont légitimes sur les sujets de CSRD. Il ne faut pas hésiter à se lancer, en adaptant les dispositifs et méthodologies déjà développés.
Lionel Monteiller - Nous avons tenu un rôle de change management pour accompagner le démarrage des chantiers CSRD. Le monde de l’automobile se caractérise par une culture d’ingénieurs, très axée data et moins à l’aise avec le qualitatif. Nous comprenons que cela n’est pas naturel, même dans les fonctions financières, où le reporting porte essentiellement sur du quantitatif.
Par ailleurs, très peu de personnes dans un parcours de controlling ont l’opportunité de se pencher sur des sujets comme les politiques ou la maturité ESG de l’organisation. Il n’est donc pas si simple de faire accepter à des contrôleurs financiers la prise en compte de certains indicateurs physiques ou d’installer des remontées inhabituelles d'information.
Ce changement imposé par la CSRD peut d’une certaine façon être comparé à l’effet qu’a eu l’introduction de la réglementation Sapin 2 en 2016. Elle a poussé à ce que les fonctions finances s’intéressent à de nouveaux sujets, comme la lutte contre la corruption, qui demandent à analyser et à coordonner les activités de contrôles de multiples parties prenantes et tiers associés à l’entreprise.
Anne-Gaëlle Delattre - Nous n’avons pas rencontré de résistance particulière pour embarquer et impliquer les équipes métiers. Cependant, nous avons dû faire beaucoup de pédagogie, que ce soit en termes de méthodologie, ou pour remettre en contexte l’exercice et le replacer dans l’écosystème dans son ensemble.
Caroline Naït-Mérabet - Les équipes risques et contrôle interne sont à la croisée des chemins, en contact permanent avec la gouvernance, le top management, la finance, le développement durable, les métiers… Elles peuvent contribuer là où l’entreprise a le moins de maturité, sur des angles où leurs pratiques et compétences leur donnent une grande légitimité. Les fonctions contrôle au sens large ont les bonnes compétences pour appréhender les exigences d’audit associées, par exemple quant à la documentation tant de l’évaluation de double matérialité que des data points de la CSRD.
Anne-Gaëlle Delattre - La première étape a été de familiariser les contrôleurs internes avec les indicateurs de durabilité. Ensuite, l’approche retenue au sein du Groupe en matière de contrôle interne est de construire un indice de confiance, tant sur les données quantitatives que qualitatives. Cet indice est calculé à partir de différents critères (risque de fraude, matérialité de l’information, source de l’information : manuelle ou informatisée, etc…). Cela permet d’identifier les indicateurs les plus à risque, de prioriser les actions et ainsi d’établir un plan d’action.
Caroline Naït-Mérabet - Il faut favoriser une approche intelligente en s’assurant de mettre les efforts de contrôle interne au bon endroit. Le niveau de maturité est tel qu’il faut absolument commencer vite et sur les bons sujets. Pour être efficace, capitaliser sur des quick wins, sur l’environnement de contrôle et sur les outils existants (protocoles de reporting renforcé, référentiels de contrôle interne…) est essentiel.
Dans la contribution du contrôle interne aux chantiers CSRD, l’approche par les risques est significative et primordiale – elle est d’ailleurs demandée par les textes. Il faut penser et structurer le dispositif en capitalisant sur l’existant, puis définir un plan d’action et ancrer les nouvelles pratiques dans les processus.
Lionel Monteiller - Tout d’abord, nous avons présenté les résultats de l’analyse de double matérialité à la gouvernance, lors d’un comité d’audit. Durant cet échange, nous avons partagé avec nos administrateurs les implications, les obligations et le calendrier de Valeo pour tenir ses ambitions en matière de reporting CSRD. Enfin, j’ai été impliqué dans l’appel d’offres destiné à sélectionner notre vérificateur de durabilité.
A présent, il est important que les organes de gouvernance soient régulièrement informés des dispositifs de contrôles que l’entreprise met en œuvre pour garantir la qualité des informations extra-financières, qu’elles soient quantitatives ou qualitatives.
Pour la suite, nous comptons nous concentrer sur la partie contrôle interne lorsque nous aurons mieux compris les attentes du vérificateur (méthodologie, vérification). Des premiers contrôles tests ont lieu cette année, et nous ferons évoluer ce plan de contrôle dans le temps.
Lionel Monteiller - En matière de durabilité, un des enjeux clés est de pouvoir identifier, parmi les très nombreuses thématiques, celles qui sont véritablement stratégiques pour le groupe. Il faut donc orienter vers les sujets qui importent le plus – et qui sont, en réalité, les sujets qui ressortent comme matériels de l’analyse de double matérialité. Ainsi, nous alertons la gouvernance sur ces sujets et nous contribuons à une plus grande surveillance de ces questions.
Nous dimensionnons également le travail de contrôle et de fiabilisation pour qu’il soutienne la communication externe sur nos engagements. In fine, nous devons nous assurer que nos parties prenantes ont la bonne information sur les risques auxquels nous sommes exposés.
Caroline Naït-Mérabet - Certes, la CSRD est une réglementation à laquelle doivent se plier les entreprises, mais il est essentiel de ne pas oublier son origine et sa vocation : mettre au cœur de la lecture de la performance des entreprises les enjeux de développement durable. Ainsi, la CSRD permet aux entreprises de se poser les bonnes questions pour la pérennité de leur modèle d’affaires et d’adresser les sujets essentiels à leur résilience.
Lionel Monteiller - Un obstacle potentiel est le risque de développer une vision restrictive de la CSRD, perçue comme une obligation coûteuse dont on espère peu de retours. La parade est, d’une part, de voir les bénéfices de la démarche pour nos parties prenantes, telles que les investisseurs, d’autre part de dimensionner les ressources de manière raisonnable, en planifiant la montée en maturité.
En effet, outre les possibles réticences des équipes, qui se sont révélées finalement limitées, la disponibilité des ressources est bien entendu une contrainte. Mais le plus important est de veiller à faire évoluer les mentalités des équipes auxquelles on demande d’élargir leurs compétences vers des domaines nouveaux pour elles. Je pense par exemple aux équipes de contrôles internes qui, il y a quelques années, étaient très focalisées sur la comptabilité et qui voient leurs domaines de compétence s’étoffer.
Je considère que nous ne sommes pas tenus de tout faire dès le départ. La gestion du temps est un gage de réussite dans la mise en œuvre de la CSRD. Ainsi, chez Valeo, notre travail portera d’abord sur les indicateurs pour lesquels nous sommes les moins prêts, en commençant peut-être par les indicateurs quantitatifs, en allant vers la bonne prise en compte des informations qualitatives attendues. Cela nous permettra de confirmer que nous avons la bonne approche avec le vérificateur, qui joue aussi un rôle d’accompagnateur.
Mon credo : démarrer dès qu’on peut, sans objectif d’exhaustivité, pour gagner en maturité
Anne-Gaëlle Delattre - J’ai depuis longtemps beaucoup d’appétence pour les thématiques de durabilité, sur lesquelles je travaillais déjà, notamment au travers de la cartographie des risques extra-financiers ou des risques et opportunités liés au changement climatique. J’ai beaucoup aimé accompagner, aux côtés des équipes développement durable, les équipes métiers pour les aider dans leurs débuts avec la CSRD. C’était aussi très enrichissant personnellement de couvrir un champ de thématiques aussi large.
Lionel Monteiller - Du fait de la complexité de la CSRD, c’est en effet un travail que l’on ne peut pas faire contraint et forcé. Il faut le confier à des personnes qui ont la bonne fibre, comme Anne-Gaëlle. Pour un directeur de l’audit, l’intérêt d’un chantier CSRD est de sortir d’une fonction de pure assurance et de renforcer la dimension de conseil. Cela peut paraître paradoxal pour un exercice réglementaire, mais cela ne l’est pas si l’on voit la CSRD comme une opportunité stratégique. Cette dimension conseil peut ensuite s’appliquer à d’autres sujets. Nos métiers évoluent.
Lionel Monteiller - Nos métiers doivent voir la CSRD comme un sujet qui fait désormais partie de notre périmètre. Il faut comprendre ce que cela représente et faire un gros travail d’appropriation, mais ce sera aussi une opportunité très intéressante pour celles et ceux qui s’en empareront.
Caroline Naït-Mérabet - Avec un projet aussi stratégique pour l’entreprise, engageant et transformant que la CSRD, les équipes ont besoin d’anticiper les impacts et de développer une vision dans le temps. Les métiers du risque et du contrôle ont un rôle clé à jouer. Il faut comprendre ce que la CSRD implique, se connecter avec les équipes projet, et être force de proposition sur la façon dont cela s’intègre au dispositif de gestion des risques, en fonction de l’avancement de l’entreprise et de son calendrier réglementaire. Différents volets sont évidents et doivent être pris en compte : le lien entre la double matérialité et la gestion des risques, le contrôle interne des données reportées, avec une approche adaptée entre les données quantitatives et les politiques, actions et cibles, sur lesquelles l’audit interne en particulier pourra jouer un rôle.
La Corporate Sustainability Reporting Directive, transposée depuis la fin d'année 2023 en France, introduit des obligations de reporting renforcées et harmonisées pour les grandes entreprises de l'Union européenne. Par ailleurs, elle introduit les nouvelles normes de reporting (European Sustainability Reporting Standards, ou ESRS) de la Commission européenne, élaborées par l'Efrag. Les entreprises doivent publier un rapport de durabilité détaillé sur leurs impacts environnementaux et sociaux. Ainsi, elles doivent non seulement rendre compte de l'impact des enjeux ESG sur leur entreprise (la matérialité financière), mais aussi de leurs propres impacts sur l'environnement et la société (la matérialité d'impact).
La directive CSRD est entrée en vigueur le 1er janvier 2024, et son application s'étend progressivement. Dans un premier temps, les entreprises déjà soumises à la Non-Financial Reporting Directive (NFRD) doivent se conformer aux nouvelles exigences pour l'exercice 2024, avec un premier rapport de durabilité attendu début 2025. Les grandes entreprises non cotées doivent se préparer pour publier en 2026 sur leur exercice 2025.