Afin de dresser un état des lieux de la consommation entre début 2020 et fin 2021, dans le contexte de la crise sanitaire, plus de 10 000 consommateurs ont été interrogés à travers le monde lors du sondage pour l’étude Global Consumer Insights 2021 réalisée par Strategy&, l’entité de conseil en stratégie du cabinet de conseil et d’audit PwC France et Maghreb.
Dans ce podcast, découvrez les tendances de consommation des Français avec Hélène Rives, Avocate associée responsable du secteur distribution et biens de consommation chez PwC France et Maghreb et Matthieu Aubusson, Experience Center, PwC France et Maghreb.
Dis-moi comment tu consommes, je te dirai qui tu es. Avant la Covid, on pouvait facilement savoir à quelle génération on appartenait, en jetant tout simplement un petit coup d'œil sur nos habitudes d'achat en magasin, facile ! Tu as forcément plus de 45 ans, sur Internet, tu es probablement un trentenaire sur téléphone portable, tu es forcément plus jeune, mais ça, ça, c'était avant, car la crise sanitaire est venue chambouler toutes nos habitudes. Enfermés à double tour chez nous, il a fallu apprendre à aller faire les courses en ligne, se faire livrer. Pas simple, pour les baby boomers de se convertir à ce lèche vitrine virtuel. Ne nous y trompons pas ! Il n'y a pas que pour eux que les cartes ont été rebattues, car ce mode de consommation subi a même fini par peser sur les millennials. Je suis Raphaëlle Duchemin et je vous emmène à la découverte du Global Consumer Inside Pulse de PwC. Vous allez voir qu'à force d'être devant nos écrans, on a repris goût au plaisir de flâner chez nos commerçants. Il y a des études qui sont des baromètres de notre temps. Celle-ci en est une. D'abord, parce qu'elle est régulière. Tel un métronome, elle revient deux fois par an ausculter le comportement des consommateurs. Puis elle est menée aussi sur un large panel de 9 370 personnes dans 26 pays, ce qui nous donne un reflet assez précis de la manière dont nous nous comportons. Que se passe-t- il chez nous quand nous zoomons sur la France ? On va regarder de plus près avec vous. Hélène Rives, bonjour.
Hélène Rives : Bonjour Raphaëlle.
Raphaëlle Duchemin : Merci d'être avec nous. Vous êtes associée PwC, responsable de l'industrie de distribution et biens de consommation et on va regarder aussi avec vous Matthieu Aubusson, bonjour.
Matthieu Aubusson : Bonjour Raphaëlle.
Raphaëlle Duchemin : Associé PwC spécialisé sur les questions d'expérience client. C'est avec vous que nous allons décrypter tous les grands enseignements de cette étude. Le premier c'est peut-être le changement de manière de vivre. Il semble que nos comportements de consommateurs ont durablement changé sous l'effet de la crise sanitaire. Résultat, le consommateur français n'est plus vraiment le même, il redevient plus optimiste et la crise a eu pour effet de le rendre plus sensible aux enjeux écologiques et plus porté vers le Do It Yourself. Cette vigilance est valable, surtout elle se mesure par exemple, sur certains produits, je pense. Moi, ça m'a frappée dans cette étude, sur les produits d'épicerie.
Hélène Rives : L'étude montre que sur les produits d'épicerie, sur les produits liés à tout ce qui est entertainment à la maison, on a un optimisme pour les consommateurs à travers l'étude. C'est un peu moins le cas malheureusement sur tout ce qui est entertainment en dehors de la maison où, il y a encore une certaine prudence. L'étude a lieu à la fin de l'année 2021, bien sûr, tous les événements de la crise d'Ukraine ne sont pas reflétés dans cette étude.
Raphaëlle Duchemin : Notre consommateur est aussi beaucoup plus attentif au prix et à la fabrication du prix. Est-ce quelque chose de nouveau aussi dans le comportement des Français ?
Matthieu Aubusson : Le sujet de la sensibilité du prix est aussi lié au fait qu'avec la croissance de la part d'Internet dans les modes de consommation, que ce soit en fixe ou en mobile, on met en évidence le fait que souvent on associe ce média au prix parce que ça a une plus forte capacité à comparer les prix et comparer les offres. En les comparant quelque part, on est sur la logique de soldes permanentes ou de remises permanentes qui introduit dans l'esprit du consommateur que quelque part, il peut aller chercher le prix ou qu'il a un meilleur contrôle ou une meilleure capacité à aller chercher le prix. On voit d'ailleurs que dans le même temps, il y a un bon nombre d'industriels qui entament des démarches pour essayer de sortir de cette logique de démarque permanente et retrouver des logiques de full price pour mieux maîtriser cette logique de prix.
Raphaëlle Duchemin : Si on note dans l'étude un retour frileux mais un retour tout de même à la consommation, il y a un secteur où la prudence reste de mise. C'est peut-être celui des loisirs, sortir, être à l'extérieur, c'est encore dans la tête des consommateurs français, synonyme de risque. C'est encore plus vrai peut-être quand on leur dit, est-ce que vous comptez aller à la salle de gym ? Est-ce que vous allez prendre un avion pour voyager ? Est-ce que vous allez participer à un événement comme un match, par exemple ?
Matthieu Aubusson : Oui, je pense que ça traduit aussi le fait que ça nécessite de se projeter dans un avenir plus lointain pour réaliser ce type de dépenses. On va réserver un concert pour dans six mois, on va réserver un voyage pour dans deux mois et on ne sait pas forcément dans quelle situation sanitaire on sera. On a appris aussi à considérer qu'on est dans un monde qui évolue assez vite et que le monde aujourd'hui ne sera peut-être pas le monde de demain. Tout ce qui est des dépenses qui projettent le consommateur dans un avenir plus lointain, sont des dépenses un peu plus discrétionnaires. Je pense que celles-là sont encore plus sensibles aujourd'hui que ne le sont les dépenses du quotidien.
Hélène Rives : Prudence, c'est un mot qui illustre bien l'attitude des consommateurs français. Comme la seule certitude, c'est l'incertitude. À un moment donné on reste prudent quand même, même si on n'est plus positif.
Matthieu Aubusson : Si on fait un peu de retour, il y a eu beaucoup de dépenses au moment des séances de confinement.
Raphaëlle Duchemin : Deux-mille-vingt ?
Hélène Rives : Oui, qui avaient trait à la maison, l'intérieur où chaque famille a pris le temps, contrainte et forcée de s'occuper de sa maison. À l'été dernier, on a vu les ménages réinvestir des industries plus proches du tourisme ou des loisirs. Parce qu'il était temps de passer un peu à autre chose et une volonté de ressortir dans la rue et d'avoir une vie un peu plus normale.
Raphaëlle Duchemin : Il y avait des habitudes ponctuelles et des tendances peut-être un peu plus lourdes ?
Matthieu Aubusson : Ce qui est compliqué pour les industriels je pense de ces industries-là, c'est d'arriver à reconstruire des logiques de cycles qui ne sont pas forcément ceux qu'ils avaient l'habitude de connaître. C'est-à-dire que dans ces industries, il y a des temps, il y a des campagnes, il y a des saisons, il y a des promos en face de ces moments et ça ce n'est plus la même chose aujourd'hui.
Raphaëlle Duchemin : Tout ça a été complètement gommé par la crise Covid ? Ça veut dire qu'il faut tout reconstruire, tout réadapter ?
Hélène Rives : Il y a une réadaptation nécessaire aussi dans une forme de New Retail, puisqu'on est passé du quasiment tout magasin a beaucoup d'omnicanalité. Ce que montre l'étude, c'est qu'on est vraiment à l'avènement de l'omnicanal, également dans la logique de la consommation responsable. Le New Retail marche aussi avec le sujet de la consommation responsable qui veut dire des produits différents, peut-être avec des prix de revient plus chers, avec moins de promotions. Ça fait le lien avec le sujet de la seconde main qui sort dans l'étude de façon très prégnante.
Raphaëlle Duchemin : Il faut croire que ce qui était un mode de consommation qui nous a été imposé s'est petit à petit insinué dans notre quotidien. En télé-travaillant davantage, on a pris de nouvelles habitudes et elles sont en train de changer durablement notre manière de vivre et d'acheter. Cela ne veut pas pour autant dire que nous allons cesser de descendre chercher nos croissants ou notre baguette au coin de la rue. Qu'est-ce qui vous frappe quand vous regardez l'évolution de notre consommation globale ? La répartition entre le physique et le digital, c'est ça véritablement qui, après cette crise, a été totalement bouleversé ?
Hélène Rives : Ce qui nous frappe, c'est l'augmentation qui continue sur l'omnicanal et l'augmentation des ventes Internet qui continue de progresser avec, comme vous le soulignez, certains secteurs comme l'alimentaire, la beauté et la santé qui, elles, marquent un temps palié.
Raphaëlle Duchemin : C'est donc une tendance qui pourrait s'installer durablement dans nos vies ?
Matthieu Aubusson : On aurait l'opportunité ou le loisir de se poser la question, de se dire, finalement, est-ce que c'est le retour du magasin dès lors qu'on retourne dans la rue ? Est-ce qu'on va arrêter de consommer sur Internet ? Je pense que ce n'est pas ça la bonne façon de voir la façon de consommer. Le consommateur s'est habitué à ne plus avoir à se poser la question. Il a envie de consommer comme il a envie de consommer et de vivre l'expérience comme il a envie de la vivre. Je prends un exemple, s'il a envie de payer avec un certain nombre de moyens de paiement, il ne comprendra pas que c'est possible sur Internet. S'il va dans une boutique, il ne peut pas payer avec PayPal ou avec d'autres moyens de paiement un peu plus nouveaux ou alternatifs. Ce qu'il attend c'est de se dire ce qu'il a connu comme liberté en étant chez-lui, le temps de ces confinements, qui a accéléré ces modes de consommation, on va dire sur Internet au sens large. Il s'attend à les retrouver dans les magasins et que le magasin lui propose autre chose, un certain nombre de services en plus, ça peut aller sur du click and collect, ça peut être sur la remise des retours, ça peut être sur du conseil, ça peut être sur de l'extension de gamme. Ce que le consommateur attend c'est
que l'entreprise ne soit plus orientée sur son offre, ses produits, mais qu'elle soit vraiment purement omnicanal, comme le disait Hélène, et qu'elle soit orientée vers lui. Ce que le consommateur veut, c'est de ne pas subir les problèmes que l'entreprise rencontre pour être capable d'avoir cette proposition.
Raphaëlle Duchemin : Vous parliez tout à l'heure des produits de beauté. Ce qui apparaît très nettement, c'est que ce que nous achetons, nous préférons parfois l'acheter en magasin. J'ai parlé de la baguette parce que nous sommes en France, mais c'est aussi vrai pour tout ce qui est frais, pour tout ce qui est épicerie ou encore pour tout ce qui concerne finalement le soin. Il semble même que l'achat en magasin fasse son retour en force pour les produits de grande consommation, est-ce qu'on peut le dire comme ça ?
Hélène Rives : Pour moi, ce que montre l'étude, c'est qu'il y a quand même une forme de différence entre les générations, c'est-à-dire, le magasin garde son attractivité pour les personnes, les millennials et les baby-boomers. Vraiment, sur des sujets autour de la largeur de gamme et autour du discount et de la promotion. Ce qui est très intéressant en revanche, que l'on voit dans l'étude, c'est que le magasin a trouvé son attractivité et là c'est très intéressant parce qu'on est sur des clients qui ont vraiment l'habitude de consommer sur Internet et de plus en plus sur Internet et sur du social commerce, etc. Là, le magasin a trouvé son attraction à travers l'expérience client qui est donnée en magasin, à travers des produits qui sont plus durables, à travers des produits qui sont plus qualitatifs, plus haut de gamme. C'est ça qui attire des personnes plus jeunes, sur la génération Z, dans l'étude, ça ressort très nettement. C'est vraiment un nouveau magasin, une nouvelle façon de repenser le magasin qui attire des consommateurs plus jeunes, qui ont plus l'habitude d'être sur Internet.
Raphaëlle Duchemin : Ça veut dire qu'on on a besoin aussi de voir davantage parce qu'on en a été privé, de sentir, de toucher, d'être en contact physique, peut-être besoin de ce conseil, de cet aspect social du magasin ?
Matthieu Aubusson : Ça questionne pour chaque entreprise qui dispose d'un réseau de magasins, de boutiques. Le rôle de ce magasin dans le parcours avec plusieurs options. Finalement, est-ce que c'est un endroit de service ? Ça peut être du conseil sur les produits, ça peut être une capacité à ouvrir sur le reste du catalogue, ça peut être sur des services purement logistiques.
Raphaëlle Duchemin : Ça apparaît d'ailleurs dans l'étude, cette notion de service.
Matthieu Aubusson : Ça, c'est une option. Ça peut être une option autour de l'expérience aussi, c'est de se dire qu'on s'attend à ce que quand on arrive dans un magasin, il se passe des choses. On voit aujourd'hui dans les grands magasins, tous les jours, il y a des master class, il y a des événements. Il faut que quand le client vient dans le magasin, il y trouve quelque chose, il faut qu'il s'y passe quelque chose. Puis on peut avoir des logiques de showroom aussi. On se dit que ce magasin est une façon d'exposer ma marque, je suis clair avec le client que je n'aurai pas tout le catalogue mais ce n'est pas grave, je peux vous ouvrir l'ensemble de mon catalogue au travers de votre présence dans ce magasin. On voit qu'il y a plusieurs options. Le sujet ce n'est pas tant de dire, je choisis l'une ou l'autre, c'est plutôt de se dire, comment je peux repositionner ça dans un parcours client qui, lui, doit être omnicanal. Finalement, c'est notre canal, nos géographies, c'est--
Raphaëlle Duchemin : Ça veut dire que le client, aujourd'hui, il ne veut plus avoir à faire la différence entre ce qu'il va acheter dans le magasin physique et dans le e-commerce ?
Hélène Rives : Oui, et en même temps, ce qu'explique Matthieu, que le client attend sur un achat internet ou sur un achat physique et potentiellement, c'est le vrai sujet du magasin, une expérience différente en magasin parce que, si c'est si facile de l'acheter sur Internet, pourquoi je me déplace en magasin ? Sur certains produits, il faut que j'aie un plus quand je vais en magasin, il faut que j'aie une expérience qui soit très particulière. Je peux aussi avoir envie dans le magasin de trouver une expérience digitale, puisqu'elle peut aussi me faciliter la vie. C'est-à-dire, je peux toucher un produit ou je peux sentir un produit, puis il peut être livré directement ou je peux revenir le chercher en deux heures parce que je peux ne pas attendre d'avoir tous les produits dans le magasin, comme j'ai tous les produits sur Internet. C'est la tentative des magasins qu'on appelle phygitaux.
Raphaëlle Duchemin : C'est une nouvelle manière aussi de fidéliser la clientèle ?
Matthieu Aubusson : Vu du consommateur, le magasin ne doit pas être ce qu'il était hier. En revanche, il ne doit pas être un frein non plus. La particularité c'est que si je vais dans un magasin qui, par définition, a une surface limitée, 400, 1000 mètres carrés, et que je ne vais pas pouvoir exposer l'ensemble des produits et un catalogue illimité comme c'est le cas sur Internet, à défaut de ne pas tout trouver, je m'attends à ce que le vendeur soit en capacité de me proposer l'ensemble des produits et de me conseiller sur ce qui n'est pas en magasin, de me le faire livrer chez-moi. C'est toute une difficulté, toute la difficulté pour les industriels, il faut proposer en magasin ce qu'ils proposent quand on est chez nous et en mieux.
Raphaëlle Duchemin : Est-ce que, en fonction de la tranche d'âge, on vient chercher la même chose dans les magasins ? Les plus jeunes se déplacent quand ils doivent acheter des produits de luxe, ou quand ils cherchent des produits éthiques écoresponsables ?
Hélène Rives : Effectivement, parce que, s'ils cherchent quelque chose de standard ou qu'ils connaissent ou qu'ils y aient plus de consommation courante, c'est tellement facile pour eux de l'acheter sur Internet qu'ils ne vont pas faire l'effort de sortir pour avoir cette expérience. Généralement, on voit que des personnes plus âgées, elles vont en magasin pour chercher de la promotion du discount, une largeur de gamme.
Raphaëlle Duchemin : C'est très vrai ce que vous dites parce que les consommateurs français sont friands d'une grande offre, d'un grand choix, avec des prix attractifs qui vont leur permettre de faire ces fameuses affaires et qu'ils misent moins. C'est aussi un enseignement puisqu'on a pu penser pendant un temps que ça allait durer. Ils misent un peu moins que pendant la crise sur la défense du local.
Matthieu Aubusson : On est dans la schizophrénie classique qui est qu'on voit le retour du local et du made in France comme un sujet déclaré, une intention déclarée des consommateurs et en même temps, ils nous témoignent des freins ressentis à cette bascule, freins qui peuvent être sur le prix parce qu'ils ont le sentiment que ça va ou ça peut s'accompagner d'une augmentation de prix, et des sujets de traçabilité dont on pressent que ça va être un grand enjeu pour les entreprises d'être en capacité de répondre à ces enjeux de traçabilité et de transparence.
Hélène Rives : Dans l'étude, on voit quand même que 30 pour cent des consommateurs disent que s'ils pouvaient acheter, s'il y avait des gammes plus larges de produits locaux ou de produits français, ils achèteraient plus, et il y a quand même 50 pour cent des gens qui disent que le prix est un frein. Il y a aussi une frange de population pour laquelle le prix n'est pas forcément un frein. On le voit dans l'étude, ça veut dire aussi pour nos clients, ce sont des poches de rentabilité et des parts de marché sur lesquelles il y a accès à une clientèle avec des marges potentiellement à maintenir ou à créer.
Matthieu Aubusson : On a vu un certain nombre d'entreprises et je pense que ça va s'accélérer, s'engager sur le chemin de la transparence et de la traçabilité, jusqu'à être capable de dire en scannant le QR code de mon produit, vous allez pouvoir savoir combien de kilomètres il a parcourus, sa composition, à quel endroit il a été fabriqué. Ceci ne va pas être possible tout de suite sur toutes les références. On peut néanmoins imaginer qu'à l'horizon 2025, c'est ce qu'un certain nombre de groupes annoncent, ils seront en capacité de le faire. De l'autre côté, on voit des groupes s'appuyer sur des labels, soit des labels certifiés par d'autres, soit des propres labels qui parfois engendrent des débats qui sont légitimes, pour se dire finalement, je score quelque part.
Raphaëlle Duchemin : Ces nouveaux consommateurs vont-ils encore modifier leur comportement d'achat ? C'est la question que se posent les enseignes, notamment, et les commerçants qui sont forcés d'adapter leurs propositions. On voit émerger désormais de nouvelles envies, de nouveaux besoins qu'il va falloir prendre en compte pour ne pas baisser le rideau. Le magasin de demain : est-ce qu'il est physique ? Est-ce qu'il est digital ? Est-ce qu'il est hybride ? C'est un mot qu'on voit apparaître dans cette étude hybride. Il est déjà là d'ailleurs, ce magasin hybride en quelque sorte.
Hélène Rives : Oui, l'enjeu de l'omnicanalité, c'est d'offrir une expérience totalement fluide entre l'expérience digitale et l'expérience en magasin. Arriver à réellement atteindre cette fluidité, c'est un vrai challenge opérationnel, logistique, technologique, mais c'est un sujet sur lequel énormément de nos clients travaillent.
Raphaëlle Duchemin : Pourquoi c'est un challenge ? Parce que c'est nouveau aussi pour les enseignes ?
Matthieu Aubusson : Parce qu'elles avaient construit historiquement leur mode de fonctionnement, leur système d'information, tout sur un canal et construit autour de l'offre et du produit. On leur on leur dit maintenant, ce n'est plus un canal, ça ne nous intéresse pas. Ce qui est important, c'est le client et quel que soit l'endroit où il consomme comme la façon dont il agit, il faut le suivre. On est passé d'un modèle monocanal à multicanal et là omnicanal. C'est-à-dire que quel que soit le moment de vie, on va pouvoir vivre l'intégralité de l'expérience, qu'elle soit la même et la plus riche possible.
Raphaëlle Duchemin : La nouveauté dans ce nouveau monde du commerce, c'est que tout le monde joue avec les mêmes cartes, que ce soit le magasin traditionnel ou le nouvel acteur qui vient d'arriver sur le marché, tout le monde doit opérer une mue, pas forcément la même, mais on doit s'adapter aux nouveaux besoins.
Matthieu Aubusson : Je distinguerais les nouveaux modes de consommation. Je vais prendre un exemple, le Quick commerce, c'est-à-dire le fait de se dire moi, moi je veux pouvoir être livré dans dix minutes d'un certain nombre de choses et l'arrivée des acteurs en France qui vous font cette proposition. Ce qui est d'ailleurs quelque chose qu'on a pas imaginé et qui est probablement une des tendances et de se dire qu'on pensait que finalement, il n'y avait pas de limites, il n'y a pas de frontières. Maintenant, je ne vais plus être livré en 30 minutes, je vais être livré en dix minutes. Ça, c'est nouveau et c'est vrai pour tout le monde. Après vous avez quand même une différence entre des marques qui se sont construites sur le digital, on en parle de digital natives, donc des NVB ou maintenant on va même plutôt parler de Doha NVB, c'est un omnicanal, Native Brain. Celles-là ont quand même un avantage, parce qu'elles se sont pensées avec cette réalité par rapport à des acteurs beaucoup plus anciens qui doivent faire évoluer leur mode de fonctionnement.
Raphaëlle Duchemin : Vous parliez tout à l'heure des réseaux sociaux et on en a parlé, notamment pour les jeunes qui consomment depuis leur smartphone. Ça, c'est aussi quelque chose qu'il va falloir prendre en considération dans les années qui viennent, parce que ça apparaît clairement dans l'enquête ?
Hélène Rives : Oui, c'est un des sujets très très clairs de l'enquête. C'est que, excluant les baby-boomers, on a plus de 50 pour cent des personnes qui disent avoir eu une expérience d'achat sur des réseaux sociaux dans les six derniers mois. Ce qui veut dire des achats sur Instagram, sur Tik Tok. C'est quelque chose d'extrêmement différent et ça demande aux industriels et aux marques d'adapter complètement leur réseau de distribution. Vous parlez de la nécessité d'adaptation, là, on est en plein dedans et on parle de ça. Puis la frontière suivante, c'est le sujet du métavers de savoir comment, est-ce que c'est la nouvelle frontière, est-ce que c'est un vrai eldorado ou est-ce qu'au contraire...
Raphaëlle Duchemin : Nous n'en sommes qu'aux prémices parce que, l'arrivée du métavers. On peut même considérer que le métavers est déjà là parce qu'il y a déjà beaucoup de gens qui sont engagés dans le métavers. Ça veut dire que là encore, l'expérience client va changer, contraindre les commerces à revoir leur copie. Est-ce qu'ils sont déjà prêts ? Est-ce qu'ils s'y préparent ?
Hélène Rives : Ils sont effectivement en train de se préparer à ce sujet-là, en ayant à la fois un sujet de sensibilisation de leurs équipes à la fois de vente, de marketing, d'interaction client, vraiment de voir comment il faut qu'ils s'organisent. Certaines entreprises ont des spécialistes du métavers, d'autres clients nous demandent des présentations. Ce sujet-là fait le lien énormément avec les NFT, la Blockchain, de pouvoir faire le lien entre les crypto monnaies, le métavers et les vrais sujets sur lesquels se préparent nos clients, c'est de voir l'hybridation entre le monde du métavers et le monde réel, et de profiter du métavers pour donner une expérience client particulière. Aujourd'hui, ce sont les prémices, mais je pense que ça peut accélérer de façon substantielle sur certaines activités. C'est très clair.
Matthieu Aubusson : Je pense que ce qui est intéressant, c'est de voir qu'on est passé assez vite d'une situation où l'écosystème regardait les métavers en disant encore un truc nouveau qui arrive, ça a l'air un peu fumeux, une réalité dont tout le monde a bien conscience qu'il faut regarder sérieusement le sujet, conscient du fait qu'il ne faut pas faire la même erreur que sur le e-commerce il y a quelques années et qu'il ne faut pas passer à côté du train. Je pense que tout le monde a investi sur le sujet. Est-ce que ça décollera vraiment ? Je pense que c'est difficile de répondre à cette question. Ça peut prendre plusieurs formes. Comme le disait Hélène, ça peut être un vrai monde en soi, avec déjà quelque part une forme de consommation responsable, ultime, où tout est digitalisé. Là, il n'y a plus ou il y a moins de sujets de consommation responsables. Puis ça peut aussi venir enrichir finalement l'expérience par ailleurs qu'on a physiquement. Je prends un exemple, on peut donner au travers des NFT un certain nombre de produits au travers des programmes de fidélité qui font qu'on est à la frontière entre le physique et le virtuel, mais pour autant, le client est intéressé à bénéficier de NFC, donc de produits uniques virtuels au travers du programme de FID ce qui ne change pas le fait qu'il ait une relation physique avec la marque.
Raphaëlle Duchemin : Est-ce que le consommateur français se rend compte de ça aujourd'hui ? Est-ce qu'il est déjà préparé à mettre les pieds dans le métavers et faire ces fameuses expériences client en virtuel ? Ça reste pour l'instant à la marge.
Hélène Rives : Il y a un effet générationnel très net, mais je pense que certains acteurs sont en train de pousser pour réaliser des situations hybrides entre du métavers et du réel. Si on prend par exemple l'idée de faire des défilés de mode dans le métavers, on peut imaginer les économies substantielles que ça donne, si on a une logique de développement durable et de réduire une empreinte carbone. C'est une façon extrêmement responsable de réaliser des défilés de mode et d'être présent en 3D dans la diffusion et la présentation de certaines collections. Puis par ailleurs, d'avoir c'est là où je parle d'hybridation, une réalité derrière d'un cocktail d'échanges, de toucher des matières, des choses différentes qui ne peuvent pas forcément aujourd'hui se faire exactement de la même façon dans le métavers, beaucoup d'innovations. Mais il y a un effet générationnel très clair puisque c'est le lien entre le gaming et la consommation.
Raphaëlle Duchemin : Ce qui est assez étonnant, c'est qu'on a ce saut en avant si on parle du méta vert, et puis on a cette espèce de retour en arrière si on pense à la location de matériel. Vous parliez de schizophrénie tout à l'heure, ça en fait partie ?
Matthieu Aubusson : On est complètement là-dedans et je pense peut-être retraduire ça par une logique de personnalisation. On a finalement une forme démoyennisation de la consommation où il faut être capable de parler à chacun des consommateurs dans l'état dans lequel il est. Certains voudront consommer local, louer et arrêter de posséder et d'autres voudront être dans le monde virtuel 100 pour cent du temps. La grande difficulté pour les marques, c'est d'arriver à parler à tout le monde en même temps, avec des discours différents, des offres différentes et des expériences adaptées.
Raphaëlle Duchemin : Ce qui est aussi assez étonnant, c'est que si on se donne rendez-vous dans un an ou deux ans, on va voir apparaître côté consommateur de nouvelles donnes aussi parce que vous en parliez et ça apparaît dans l'enquête, les consommateurs sont prêts à vendre leurs données personnelles directement aux marques. Ça, c'est complètement nouveau aussi. C'est un phénomène qui n'existait pas ou qui était peut-être à la marge dans les enquêtes précédentes ?
Hélène Rives : C'est un point qui ressort de façon très saillante dans l'étude. La confiance dans le traitement de la data pour tous les consommateurs est vraiment un socle indispensable pour faire confiance à la marque. La qualité du traitement de la data par les marques devient un critère essentiel mais, comme vous le dites, il y a une polarisation entre les comportements des consommateurs relatifs à leur datas. Les générations les plus anciennes qui se disent je veux être protégé, je ne veux pas que ma data soit vendue, commercialisée ou... Puis des générations plus jeunes qui se disent mais ma data, c'est l'occasion d'avoir une expérience client unique, plus personnalisée et puis, de récupérer des systèmes de discount et de rabais et de promotions en fonction de la data que j'ai données. C'est une forme de commercialisation individuelle de la data qui est très très appréhendée par les générations les plus jeunes.
Raphaëlle Duchemin : C'est quelque chose que, à la fois les consommateurs commencent à voir apparaître et peut-être aussi qui obligent les marques à se remettre en question sur la manière dont elles doivent commercer sur cette fameuse data ?
Matthieu Aubusson : Il y a cette dichotomie qu'il y ait des personnes plus jeunes qui sont prêtes à lâcher cette data mais qui sont soucieuses de ce qu'elles auront en face.
Raphaëlle Duchemin : Une contrepartie.
Matthieu Aubusson : Oui, qui doit s'opérer et ensuite on voit qu'il y avait quand même une prise de conscience des distributeurs qui possèdent la data puisque ce sont eux qui interagissent avec les consommateurs, que cette data, elle avait de la valeur et qui ont mis en place un certain nombre d'activités dites de Retail Média, c'est-à-dire qui commercialisent cette data pour en tirer meilleur profit vis-à-vis des marques qu'elles distribuent. Ça, c'est potentiellement questionner par le fait que les consommateurs finaux, ils disent qu'ils veulent avoir des rabais et autres et qu'ils sont prêts à donner la data à d'autres, voire aux marques qui sont distribuées. On pourrait rajouter à ça le fait qu'on va arriver vers la fin des cookie « tiers », c'est-à-dire que ces distributeurs vont plus avoir accès à toutes les datas dont ils bénéficiaient préalablement et que d'un point de vue réglementaire, on voit que ça commence à bouger. Ce sujet d'utilisation de la data est probablement à l'aune du changement assez notable dans les mois et les années qui viennent.
Hélène Rives : La logique de la mise en place de systèmes omni canaux ou avec des cartes de fidélité ou une autre façon de gérer la data c'est pour les industriels, un vrai enjeu de savoir comment je capture, ma donnée et comment je ne crée pas forcément de frictions avec aujourd'hui la distribution qui me commercialise cette donnée. Il y a des questions complexes sur ce sujet et une adaptation très forte qui est faite par les industriels, pour collecter cette donnée et redonner éventuellement de la valeur aux consommateurs.
Raphaëlle Duchemin : On a vu avec les crises Covid certains prix flamber sur les matières premières. On s'aperçoit aujourd'hui, avec ce qui est en train de se passer entre l'Ukraine et la Russie et d'une certaine manière entre la Russie et une grande partie du reste du monde, l'Europe, la France, qu'il y a une dépendance sur le gaz et d'autres produits. C'est une situation qui risque aussi d'avoir une incidence sur la manière dont on va consommer dans les semaines, dans les mois, dans les années qui viennent ?
Hélène Rives : Très clairement. Le sujet de la crise en Ukraine est bien sûr, humain avant tout, mais pour tous les industriels, c'est un sujet d'approvisionnement extrêmement stratégique, c'est un sujet commercial avec le sujet des sanctions économiques et c'est un sujet de logique de qu'est-ce que je fais de mes magasins avec des logiques d'inflation sur un certain nombre de prix ? On peut avoir des questions au-delà du territoire français pour se dire qu'est-ce que deviennent mes magasins en Ukraine, en Russie ? Énormément de questions sont portées par la crise.
Raphaëlle Duchemin : Côté consommateurs, est-ce que vous pensez que ça peut avoir une incidence sur ce qu'on va acheter, la manière dont on va consommer, une prudence peut-être sur certains produits ?
Matthieu Aubusson : Je pense qu'il y a deux façons de voir la question. Il y a une question sur l'autonomie et la souveraineté autour d'un certain nombre de catégories de produits qui pourraient être touchées.
Raphaëlle Duchemin : Avec la volonté de réindustrialiser et de racheter français ?
Matthieu Aubusson : Je pense que ça va accentuer ou augmenter les questions autour du local et du made in France et de la transparence, c'est-à-dire d'être capable d'expliquer pourquoi si tel et tel produit et réinternaliser. On y gagne une forme d'autonomie, mais vue du consommateur, on peut y perdre ou ça peut s'accompagner de sujets de prix. À côté de ça, on a un autre sujet : est-ce que ça va ou pas changer les tendances de consommation ? Là, je serais tenté de dire que la crise du Covid a plutôt démontré qu'on accélère les tendances et la transformation plus qu'on ne la bouleverse. On a parlé normalement du Covid, du New Normal où on disait c'est quoi le monde d'après, le monde d'après, c'est le monde d'avant, deux fois plus vite.
Raphaëlle Duchemin : L'inquiétude ambiante, bien entendu, va rajouter à la prudence qui est dans l'ADN français. Sinon on est dans l'accélération de ces sujets de consommation locale et de consommation responsable qui va être accélérée par cette crise qui va mettre un point fort sur le coût des matières premières. Ce qui apparaît peut-être désormais dans notre façon de faire est un retour au sens littéral étymologique, de ce qu'était finalement la consommation, l'action d'utiliser un produit, un bien ou un service dans le but tout simplement de répondre à un besoin. En rembobine dans l'histoire récente de nos sociétés, on s'aperçoit que cette consommation de masse, qui semble à l'aube d'une révolution, avait émergé au milieu des années 50. Nous étions, souvenez-vous alors, en pleine guerre froide. Hélène Rives, Matthieu Aubusson. Merci. On va évidemment retrouver tous les détails de cette étude sur pwc.fr