25ème édition Global CEO Survey : une nouvelle équation pour les dirigeants

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25ème édition Global CEO Survey : une nouvelle équation pour les dirigeants

Malgré la pandémie de COVID actuelle, les dirigeants du monde entier n'ont jamais été aussi optimistes ces dix dernières années quant à l'amélioration de la croissance économique pour l'année à venir. Si le niveau de confiance au niveau mondial est similaire à l’an passé, la 25ème édition de la Global CEO Survey du cabinet de conseil et d’audit PwC montre une progression record de l’optimisme des dirigeants français qui dépasse la moyenne mondiale et européenne. Reste à composer avec les risques identifiés par les dirigeants à travers le monde qui sont préoccupés en priorité par les cyberrisques, les risques sanitaires et la volatilité économique. Dans ce contexte, les dirigeants doivent également accélérer leurs actions en faveur du « zéro émission nette ». 

Découvrez les enseignements de l'étude dans ce débat animé par Raphaëlle Duchemin aux côtés de Patrice Morot, Président de PwC France et Maghreb  

Janvier, le tout premier mois de l'année. C'est pour chacun de nous la période des vœux, le moment où l'on remet les compteurs à zéro. Une sorte de page blanche s'ouvre avec devant nous onze mois pour écrire le futur. Avec les deux années qui viennent de s'écouler, bien malin celui qui se risque à faire des pronostics sur 2022. Car de confinement en déconfinement, de vague en vague, la crise sanitaire a malmené nos projections d'avenir. Pourtant, il faut bien avancer, non ? Si on l'imaginait ensemble cette suite ? Je suis Raphaëlle Duchemin et je vais vous emmener, grâce à la toute dernière étude menée par PwC, dans la tête des dirigeants.

Raphaëlle Duchemin : Quand on est aux manettes d'une entreprise, Covid ou pas, il faut bien penser à l'après. On a la responsabilité des salariés, on doit passer des commandes, produire, honorer des contrats, faire tourner la machine. Bref, impossible de piloter à J+1. Pour savoir dans quelle direction le vent souffle, cela fait 25 ans maintenant que PwC mène l'enquête auprès des patrons. Cette année, vous allez voir, il y a des surprises. La crise sanitaire aurait pu les rendre frileux, méfiants, c'est tout le contraire. Jugez plutôt. Près de huit patrons sur dix dans les 4 446 interrogés, qu'ils soient Indiens, Britanniques ou Japonais, pensent que oui, la croissance économique mondiale va faire un bond en avant d'ici le mois de décembre. Ils n'étaient même pas la moitié à y croire il y a deux ans et surtout, cela faisait dix ans que ce taux de confiance n'avait plus été atteint. C'est vrai, il y a toujours des endroits du globe où l'on préfère parler du verre à moitié vide, en Chine ou aux États-Unis notamment. Mais le mouvement général, lui, est là et bien là. Avec lui, des attentes fortes, mais des menaces qui le sont aussi, et peut-être une prise de conscience plus aiguë des risques. Mais au fait, nous, Français, où nous situons-nous ? Bonjour Patrice Morot.

Patrice Morot : Bonjour Raphaëlle Duchemin.

Raphaëlle Duchemin : Président de PwC France et Maghreb, on va détailler avec vous évidemment cette étude, et je dois dire que nos PDG tricolores m'ont bluffé. Nous, qui avons plutôt l'étiquette de râleurs, d'indécrottables pessimistes, pour une fois nous sortons de la caricature parce que, devinez quoi, nous sommes les champions de l'optimisme dans ce barème : 85 % des patrons français croient en la croissance économique et donc au rebond. Est-ce que ça vous a surpris aussi ?

Patrice Morot : Tout d'abord, c'est quand même exceptionnel. Pour la première fois en France, 85 % des dirigeants d'entreprise sont optimistes et affichent leur confiance. C'est la première fois qu'on a un taux plus élevé d'ailleurs que les patrons qu'on voit dans les autres pays, alors qu'on est dans un pays traditionnellement plutôt vu comme étant pessimiste. Moi, je dis qu'il faut se réjouir.

Raphaëlle Duchemin : C'est un record et je crois même qu'on a fait un bond par rapport à 2021, de l'ordre de 26 %, ce qui est énorme.

Patrice Morot : Vingt-six pour cent, c'est effectivement énorme. Alors, pourquoi cette confiance ? Moi, je dirais d'abord : la première chose qu'il faut souligner, et moi que je voudrais pointer, c'est la formidable capacité d'adaptation des entreprises françaises et autres à cet environnement. Rappelons-nous, il y a deux ans, nous étions confinés dans un état de sidération. On voyait même des photos qui circulaient avec des animaux perdus au milieu de nos villes. Deux ans plus tard, les entreprises se sont formidablement transformées et adaptées. Les États ont joué le jeu. Par rapport d'ailleurs à la crise de 2008, les États ont pris conscience très rapidement de l'importance de mettre les moyens nécessaires et c'est ce qui s'est passé, notamment en France, avec ces mesures d'amortisseur social. On voit aujourd'hui un rebond économique extrêmement fort qui explique cette confiance forte. Puis, on est aujourd'hui habitués en quelque sorte à évoluer dans cette pandémie.

Raphaëlle Duchemin : Pourtant, quand on ne regarde pas très loin de chez nous, je pense à l'Allemagne par exemple, on est entre guillemets seulement à 76 % de confiance. Chez nous, on a le sentiment que vraiment, tous les voyants sont au vert.

Patrice Morot : Il faut s'en réjouir. Moi je dis bravo ! Dans un pays qui a plutôt tendance à être parfois un peu pessimiste, c'est formidable de voir qu'aujourd'hui en France, on a cet optimisme et cette confiance dans l'avenir. Encore une fois, moi, je voudrais dire aussi qu'il y a un certain nombre de plans. Le plan de relance 2030 par exemple, qui donne confiance aujourd'hui aux entreprises, et les entreprises, elles ont un rôle très important à jouer par rapport à l'activité, par rapport également au lien social. Je me réjouis que les entreprises aient joué le jeu et surtout qu'elles se soient bien transformées. Transformation, je dirais durable et positive. Je me réjouis aussi qu'on ait pu les accompagner dans cette transformation.

Raphaëlle Duchemin : Ce qui est intéressant, c'est que quand on regarde, on essaye de décrypter cet optimisme, on voit aussi que dans les prévisions de chiffre d'affaires, il est présent cet optimisme à court et à moyen terme. Ça veut dire que c'est quelque chose qui s'inscrit de manière durable dans l'esprit des dirigeants.

Patrice Morot : Absolument. On a à la fois une vision à 12 mois, donc plus court terme, mais aussi à trois ans où on voit que cet optimisme et cette confiance, ça ne veut pas dire pour autant qu'on n'est pas conscients qu'il y ait des défis à relever et ces défis, honnêtement, aujourd'hui pour un chef d'entreprise, ils sont nombreux. Vous avez eu la transition numérique, vous avez toujours la transition numérique. Vous avez le défi, évidemment, du climat dont on parlera peut-être tout à l'heure. Vous avez également la gestion de la crise, de la pandémie. Vous devez faire face aussi à des problématiques d'approvisionnement de ressources. Les chefs d'entreprise font face à beaucoup de défis. Il n'empêche qu'ils affichent aujourd'hui leur optimisme et tant mieux. On a besoin d'optimisme aujourd'hui. On ne veut plus de pessimisme.

Raphaëlle Duchemin : Optimisme donc, malgré la crise, mais cela ne signifie pas pour autant que les dirigeants ne vont pas redoubler de vigilance. Sonnés par ce qui vient de se passer, ils ont, c'est vrai, une conscience encore plus accrue aujourd'hui des menaces qui pèsent sur eux et aussi sur leurs entreprises. Pourtant, aussi étonnant que cela puisse paraître, les dirigeants ne voient plus la crise sanitaire comme leur risque majeur. Patrice Morot, être optimiste n'empêche pas d'être lucide et vous l'avez souligné. Qu'ils soient à la tête de grands groupes, de PME ou de TI, les dirigeants nous le montrent finalement dans la perception qu'ils ont de ces risques. C'est aussi ce que nous apprend cette étude.

Patrice Morot : Absolument, et vous l'avez mentionné, ça peut paraître surprenant de ne pas voir la pandémie ressortir tout en haut, mais en réalité, ça se comprend. Ça se comprend parce qu'en fait, depuis deux ans, les entreprises, nous, chacun, on a dû apprendre à vivre avec cette pandémie. On peut s'en réjouir, et ça ne veut pas dire que les entreprises ne considèrent pas la santé et le bien-être de leurs collaborateurs comme pas important. Évidemment, c'est extrêmement important. Mais aujourd'hui, les entreprises et les chefs d'entreprise ont appris à vivre et à s'adapter à cette pandémie et c'est la raison pour laquelle ça n'apparaît pas dans les premiers risques. Le premier risque, c'est la cybersécurité.

Raphaëlle Duchemin : C'est vrai qu'on aurait pu effectivement penser que cette crise sanitaire serait en top un. L'autre lecture qu'on peut faire, c'est que ce risque-là, ils le connaissent désormais, donc ils savent le mesurer. Est-ce que c'est aussi ça finalement qu'on comprend dans la lecture de ces chiffres ?

Patrice Morot : Je crois qu'ils savent surtout le gérer. Le mesurer, bien sûr, mais le gérer. Après, il y a des conséquences additionnelles, collatérales. Il peut y avoir des ruptures d'approvisionnement dans les chaînes d'approvisionnement. On l'a bien vu ça d'ailleurs. On voit aussi dans les menaces qui sont identifiées dans cette enquête que les conflits géopolitiques sont aussi des sujets extrêmement importants. Bien évidemment, mais la pandémie, si elle reste importante pour des questions de santé, on sait malheureusement vivre avec. On s'est adaptés. Pour voir des gens avec des masques, il fallait aller en Asie et peut-être voyager aussi au Japon ou en Chine. Quand quelqu'un n'est pas bien, il met un masque. Aujourd'hui, en Europe, vous ne pouvez plus circuler dans la rue ou ailleurs, tout le monde a mis son masque et tout le monde a appris à vivre avec. Ce n'est pas marrant et on souhaite pouvoir le retirer très prochainement, mais on voit bien, et moi je trouve absolument formidable la capacité d'adaptation finalement de l'humanité et des entreprises qui sont des lieux et des vecteurs très importants pour ce lien social et pour le maintien de l'activité.

Raphaëlle Duchemin : Vous l'avez dit, le dénominateur commun, finalement, c'est que tout le monde a identifié le risque numéro un. C'est le cyber-risque, quelle que soit la taille ou la situation géographique. Ça veut dire qu'il y a une prise de conscience qu'on est entrés dans le monde d'après et que la menace vient de l'extérieur par de nouveaux moyens.

Patrice Morot : Oui, c'est vrai. Le cyber-risque, il faut voir que comme on est passé dans une économie qui est de plus en plus digitale pendant cette période de pandémie, on s'est retrouvé du jour au lendemain en télétravail. Il a fallu avoir les bonnes infrastructures, à la fois pour interagir avec nos clients, à la fois pour interagir avec les collaborateurs, en fait avec toute la société et forcément le risque d'attaque a montré la préoccupation des dirigeants sur la sécurité de leur infrastructure.

Raphaëlle Duchemin : Parce qu'il y a plus de fragilité quand on est en télétravail.

Patrice Morot : Exactement, plus de fragilité quand on est en télétravail, mais aussi, on le voit. Prenons l'exemple de l'application TousAntiCovid. Vous imaginez demain une attaque de l'application et du coup, on ne sait plus mesurer, on ne sait plus tracer, etc. On voit que ça a des effets extrêmement importants, et c'est normal pour les entreprises qui sont de plus en plus numérisées que le cyber-risque soit en tête des priorités parce que c'est un problème de continuité même d'activité ou d'exploitation.

Raphaëlle Duchemin : Ce cyber-risque, c'est aussi un moyen pour ceux qui attaquent de freiner l'innovation. C'est aussi ça qui est en jeu. On est aujourd'hui dans une course finalement à l'innovation, à celui qui va aller le plus vite dans le progrès.

Patrice Morot : Exactement. Il y a ça aussi. Moi, je vois, quand je parle avec les dirigeants d'entreprise, quand ils nous sollicitent, PwC. C'est vrai que c'est un sujet de préoccupation parce que justement, s'ils n'ont pas les bonnes sécurités, les bonnes infrastructures, vous avez des entreprises et on l'a vu dans la presse qui se sont retrouvées totalement bloquées pendant plusieurs jours. Vous l'avez mentionné, il y a aussi une course à l'innovation et la technologie, et les menaces deviennent de plus en plus sophistiquées.

Raphaëlle Duchemin : Encore une fois, la France sort du lot. Parce que si la cybersécurité est la priorité chez nous aussi, en revanche, et moi, ça m'a frappé, ce sont les conflits géopolitiques, vous l'avez mentionné, qui nous préoccupent et qui préoccupent les dirigeants tricolores. Est-ce que vous avez un début d'explication à cette inquiétude particulière chez nous ? Est-ce qu'on a un sens plus développé, une acuité sur ces sujets-là ?

Patrice Morot : Ça rejoint le sujet de la relocalisation et de la renaissance industrielle en France. Peut-être aussi qu'on est beaucoup plus dépendants dans des chaînes d'approvisionnement de ce qui se passe à l'étranger. Forcément, quand vous avez des conflits géopolitiques ou des tensions, ça peut créer des ruptures. C'est peut-être une des explications pour lesquelles ça arrive en tête. D'où l'importance effectivement de ces plans et de cette renaissance industrielle que nous appelons, nous aussi de nos vœux, sur des enjeux tout à fait stratégiques de relocaliser des industries qui sont extrêmement importantes pour notre pays et pour que demain, l'Europe et la France reprennent leur souveraineté sur des enjeux majeurs : les batteries, l'hydrogène, les supercalculateurs, qui sont des sujets sur lesquels on a loupé le coche de la technologie avec des acteurs qui sont plutôt les GAFA. Faisons en sorte de ne pas louper le prochain coche. C'est normal que le conflit géographique remonte plus. Puis n'oublions pas qu'on n'est quand même maintenant pas très loin de l'élection présidentielle et que ces sujets, ils peuvent remonter avec des sujets sur l'immigration et autres par exemple.

Raphaëlle Duchemin : Oui, notre position géographique au cœur de la Méditerranée, finalement ça nous autorise à avoir une perception peut-être plus accrue, plus engagée sur certains sujets. On parle souvent aussi des inégalités sociales, notamment ici en France. Vous parliez des élections qui arrivent. C'est un sujet qui est beaucoup discuté dans l'opinion publique. Or, là, pour le coup, les dirigeants ne l'ont pas fait figurer parmi les menaces les plus sensibles. Est-ce que c'est un problème d'angle de vue ? Est-ce qu'on considère qu'on a déjà fait suffisamment sur la question ?

Patrice Morot : Pas du tout. Je pense qu'on n'a pas fait suffisamment sur la question. Il faut voir quand même que c'est la première fois que les inégalités sociales apparaissent dans le top six des menaces qui sont mentionnées par les dirigeants. Il faut voir aussi qu'en France, le pourcentage est probablement moins important parce qu'on est quand même dans un pays où, certes il y a des inégalités sociales qu'il faut adresser, mais on a quand même le système qui est le plus redistributif et le système de protection sociale le plus important. Ça ne veut pas dire qu'il n'y a pas de sujets à adresser, mais ça veut dire que le pourcentage qu'on voit, il est moins important qu'aux États-Unis ou ailleurs, où les inégalités sont fortes. Non, moi ce que je retiens, c'est que ce sujet aujourd'hui fait partie des préoccupations des dirigeants. Il était peut-être davantage des politiques et moins des chefs d'entreprise. Aujourd'hui, il rentre dans ce top six et c'est normal. Parce qu'évidemment, quand vous commencez à avoir des tensions sociales, ça entraîne des risques pour l'ensemble de la société, pour les entreprises, pour l'économie. C'est normal que les dirigeants s'en préoccupent.

Raphaëlle Duchemin : Vous avez parlé tout à l'heure du climat. Je vais être totalement honnête et j'ai besoin de vos lumières. Pourquoi est-ce que le changement climatique n'est pas perçu comme une des principales menaces ? On voit d'abord les menaces à court terme finalement, celles qui vont nous arriver directement, nous impacter directement. Est-ce qu'il n'y a pas un petit manque de vision dans cette analyse ?

Patrice Morot : Il y a deux façons de voir les choses. On voit le verre à moitié plein ou le verre à moitié vide. Le verre à moitié plein, l'enquête démontre que plus de 50 % des dirigeants aujourd'hui, que ce soit en France d'ailleurs ou dans le monde, ont soit pris des engagements très concrets pour la neutralité carbone ou alors s'engagent à prendre ces engagements. Ça, c'est le verre à moitié plein. D'ailleurs nous étions, nous PwC à la COP 26 et ce qui nous a frappés, c'est que cette année, il y avait beaucoup de dirigeants d'entreprises et pas seulement les représentants des politiques, RSE et autres. Des entreprises, ça veut dire qu'il y a une prise de conscience des dirigeants. Maintenant, le verre à moitié vide, c'est que quand on regarde, on en a effectivement que 22 % qui ont pris des engagements très concrets et que dans ces 22 %, on a deux tiers qui sont des très grandes entreprises, c'est-à-dire celles qui font plus de 20 milliards de chiffre d'affaires. Quand vous regardez les entreprises de taille moyenne ou les petites entreprises, vous vous rendez compte que seuls 10 % des dirigeants ont pris des engagements extrêmement concrets pour la neutralité carbone. Ça veut dire qu'il y a une prise de conscience. Il y a des engagements. Maintenant, il faut accompagner justement ces entreprises intermédiaires qui très souvent n'ont pas parfaitement compris en quoi elles étaient elles-mêmes concernées par ce sujet, comment il fallait s'y prendre ? Nous, chez PwC, on aide justement les entreprises de taille intermédiaire, tout comme les grandes entreprises, mais vraiment les ETI à, à la fois prendre conscience, comprendre ces enjeux, les aider à fixer une feuille de route des engagements et ensuite des plans d'action pour que justement, elles puissent elles aussi contribuer à cet engagement collectif sur la neutralité carbone. Donc, verre à moitié plein, mais aussi bien évidemment encore beaucoup de défis.

Raphaëlle Duchemin : Verre à moitié plein quand on se regarde, nous Français, par contre. Parce qu'on n'est pas si mal avec nos 54 % si on cumule, de ceux qui ont déjà fait et qui sont sur le point de le faire.

Patrice Morot : Exactement. C'est pour ça que je dis qu'il faut à un moment donné aussi se réjouir. Il ne faut pas tout le temps être pessimiste et pas tout le temps voir ce qui ne va pas. Il faut voir quand même ce qui va bien. Il y a beaucoup de choses qui vont bien. La France aujourd'hui prend la présidence de l'Union européenne. En Europe, il y a quand même un mouvement extrêmement important sur ces enjeux climatiques qui sont forts. Évidemment, il y a plein de choses. Évidemment, il y a beaucoup de défis, mais il faut aussi de temps en temps voir, et là, je dirais que ce n'est pas que je veux me plaindre, mais les dirigeants d'entreprises, ils sont confrontés à des défis absolument incroyables. Ils doivent, non seulement vis-à-vis de leurs actionnaires, vis-à-vis de leurs salariés, etc., apporter des résultats à court terme dans les 12 mois et en même temps engager des mesures à très long terme, justement sur ce défi climatique, il y a la gestion de la pandémie, il y a tout un tas de choses.

Raphaëlle Duchemin : Ce qui est peut-être plus inquiétant si on regarde et si on essaye de lire entre les lignes, c'est qu'ils ne savent pas toujours comment s'attaquer à cette neutralité carbone dont vous parliez. Du coup, sans savoir, ils ne font rien. Pourtant, ce qui est aussi très amusant, c'est qu'on s'aperçoit que les entreprises qui ont agi sont plus confiantes que la moyenne dans les perspectives. Ça devrait leur donner des arguments pour le faire.

Patrice Morot : Exactement. C'est bien pour ça qu'on s'est donnés les moyens chez PwC, pour accompagner plus ces entreprises de taille intermédiaire, bien sûr nos grands clients, mais ces entreprises intermédiaires qui ont plus besoin finalement de nous pour les aider à comprendre ces enjeux et à mettre en place les bons plans d'action pour la neutralité carbone. Parce que c'est très complexe. Je vais vous donner un exemple, par exemple aujourd'hui, on aide une entreprise de taille intermédiaire dans sa politique d'achats responsable. On n'y pense pas forcément, mais demain, est-ce que l'électricité qu'on utilise est une électricité décarbonée ? Est-ce qu'on s'assure que ces fournisseurs eux-mêmes ont pris conscience ? C'est un peu la chaîne vertueuse. Est-ce que, par exemple, on met en place des actions pour limiter l'impact carbone de l'utilisation de notre informatique ? C'est tout ce genre de choses qu'il faut effectivement aider les entreprises à comprendre ces enjeux.

Raphaëlle Duchemin : Il y a aussi une sorte de décalage qui est assez marquée. Les dirigeants affirment que les ressources internes de leur entreprise sont plus utiles pour créer de la valeur que pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. En quoi c'est antinomique ?

Patrice Morot : Non, je ne crois pas que c'est antinomique. Je pense simplement que dans cette réponse, les dirigeants d'entreprise se disent qu'aujourd'hui il faut embarquer justement l'ensemble de ces ressources, c'est-à-dire à la fois ces collaborateurs, etc., pour avoir un impact sur le climat et sur ces objectifs de décarbonation. Ce n'est pas du tout antinomique d'avoir ce type de réponse.

Raphaëlle Duchemin : Les entreprises ont bien sûr, dans leurs perspectives, d'accroître leur chiffre d'affaires et de faire prospérer leurs activités. Mais pas seulement, et c'est aussi un des grands enseignements de cette étude : l'intégration de nouveaux objectifs extra-financiers. Patrice Morot, ce terme d'extra-financier peut être extrêmement fourre-tout. C'est une nouvelle notion ou une notion qui, selon vous, gagne du terrain ?

Patrice Morot : C'est une notion qui gagne du terrain d'année en année parce qu'en France, on a déjà aujourd'hui ce qu'on appelle la déclaration de performance extra-financière qu'un certain nombre d'entreprises doivent produire. Ce qui est très nouveau aujourd'hui, c'est que la réglementation va s'intensifier et qu'on va se diriger dans quelques années, avec notamment la directive CSRD sur le reporting de développement durable. On va s'engager dans quelques années vers une normalisation beaucoup plus forte. Aujourd'hui, les entreprises, elles donnent des informations extra-financières, mais selon leur propre façon de remonter et donc leur propre normalisation en quelque sorte. Demain, tout ça sera normalisé. C'est là où il va y avoir une évolution extrêmement importante. Le bigbang pour moi, c'est que ces données extra financières, elles vont devenir aussi importantes et aussi normalisées que les données financières. Dans quelques années, vous aurez probablement une espèce d'état extra-financier comme on a aujourd'hui des états financiers pour mesurer la performance d'une entreprise de manière globale sous les deux angles, une performance à la fois financière et une performance extra-financière, c'est-à-dire pour le bien commun, en quelque sorte.

Raphaëlle Duchemin : Oui, les deux plateaux de la balance sont en train de s'équilibrer. Quand on regarde aussi de plus près votre étude, on s'aperçoit que dans l'esprit d'un dirigeant, la satisfaction client est devenue une des matrices de la stratégie, y compris à long terme, notamment chez nous en France. Je crois que c'est le cas pour presque sept patrons français sur dix. C'est une priorité. Est-ce que ça tombe sous le sens ?

Patrice Morot : Dans l'étude, on a essayé de mesurer quels sont aujourd'hui les aspects peut-être un peu extra-financiers que l'on regarde. C'est vrai qu'aujourd'hui, l'entreprise et donc les dirigeants d'entreprise, sont extrêmement sensibles à embarquer à la fois leurs clients. Bien évidemment, la satisfaction client est très importante, mais d'ailleurs aussi, et ça fait partie de ce qui ressort de l'engagement de leurs collaborateurs. Aujourd'hui, une chose qui apparaît extrêmement claire, c'est que les collaborateurs sont presque aussi importants que les clients, parce qu'il faut embarquer tout le monde dans ce nouveau monde qui est en train de s'ouvrir et ces objectifs vers le climat et vers la neutralité carbone. Il faut les embarquer sur tous ces aspects extra-financiers, et pas uniquement l'un ou l'autre.

Raphaëlle Duchemin : Oui, en upscalant notamment la compétence des collaborateurs, ça s'est fait notamment grâce à la digitalisation, entre autres. Puis, embarquer le collaborateur et tout son environnement, ça compte de plus en plus parce qu'il y a aussi une guerre des talents qui est en cours. Les dirigeants l'ont bien compris.

Patrice Morot : Exactement. On est confronté aujourd'hui à une guerre des talents, à des attentes de nos collaborateurs et des talents, qui est effectivement très différentes. On doit également former. Le système éducatif aujourd'hui ne va pas pouvoir former tous les besoins de demain. Les entreprises, elles, ont une responsabilité aussi dans la formation de leurs collaborateurs. C'est ce qu'on fait aujourd'hui chez PwC. On a des programmes de formation extrêmement importants, à la fois dans la technologie, mais également dans le développement durable. C'est-à-dire qu'on a beaucoup de modules de formation pour accompagner nos collaborateurs dans le plan durable et dans un troisième volet qui est autour de l'inclusion et la diversité, parce que c'est très important aujourd'hui d'avoir des entreprises qui incluent l'ensemble des collaborateurs dans toute leur diversité.

Raphaëlle Duchemin : Cette digitalisation dont on parlait il y a quelques instants, c'est un des éléments importants aussi dans cette étude. Ça apparaît même comme capital. Pourquoi maintenant ? On n'avait peut-être pas pris conscience jusqu'ici de son importance pour le développement des entreprises tricolores. On est quand même à 66 % sur ce sujet-là.

Patrice Morot : Je crois que ça, c'est vraiment l'effet aussi de la pandémie. Comme on se le disait : du jour au lendemain, il a fallu que tout le monde soit en télétravail, il valait mieux avoir des infrastructures plutôt de qualité. Par ailleurs, on parlait des clients tout à l'heure, il a fallu aussi accroître les échanges avec les clients dans un mode qui est beaucoup plus digital. La digitalisation, ça devient forcément extrêmement important. Ça permet aussi d'avoir des échanges différents, aussi bien d'ailleurs avec les collaborateurs. On voit bien aujourd'hui que le télétravail est quand même assez plébiscité et que du coup, le management des équipes, les interactions avec les clients, il faut réinventer un peu tout ça parce que ça ne se fait pas de la même manière quand vous êtes dans un format digital que lorsque vous êtes en physique. Ce n'est pas que ce sont des nouveaux usages, il y a simplement eu un effet d'accélération aujourd'hui qui a complètement transformé la manière dont les entreprises fonctionnent. Honnêtement, les entreprises, elles se sont vraiment bien adaptées à ce nouvel environnement.

Raphaëlle Duchemin : On parlait de l'extra-financier. Il s'invite aussi dans la question financière, notamment sur le sujet des primes. Ça, est-ce que c'est quelque chose d'assez nouveau ?

Patrice Morot : Absolument. On commence à voir de plus en plus de rémunérations de dirigeants de plus en plus liées effectivement à des objectifs extra-financiers. C'est important parce que ça incarne la volonté des entreprises et de leurs dirigeants de mettre en œuvre ces objectifs. Il est évident qu'il y a plus d'incentive, comme on dit en bon anglais. Quand votre rémunération est indexée en partie sur ces objectifs qui ne sont pas uniquement financiers mais extra-financiers, que lorsque ça reste simplement un objectif très louable. Oui, on va l'observer de plus en plus.

Raphaëlle Duchemin : On est en train d'inventer ou de faire naître une nouvelle génération de dirigeants, peut-être, je vais le dire, plus vertueux.

Patrice Morot : Je ne crois pas. Ils ont toujours relevé les défis auxquels ils ont été confrontés. Je vous le disais, moi, j'ai été frappé de voir à la COP 26 que les dirigeants s'étaient déplacés eux-mêmes. Chaque fois que je parle à un dirigeant, le sujet de la transition climatique par exemple, est un sujet qui revient toujours sur la table. Donc non, je ne crois pas. C'est juste d'aligner en quelque sorte les objectifs qu'on se fixe. Comme on se fixe des objectifs financiers, on se fixe demain des objectifs extra-financiers avec les modalités de rémunération. C'est plus d'avoir une cohérence d'ensemble, mais ça ne veut pas dire que les dirigeants seront plus vertueux demain, ils le sont déjà aujourd'hui.

Raphaëlle Duchemin : Revaloriser le capital humain, s'appuyer sur ceux qui font tourner la machine en entreprise, mais aussi sur les clients. On dirait à lire cette étude que la crise a permis de faire émerger des essentiels, parfois un petit peu oublié avec le temps. Au-delà des profits, certes nécessaires dans une économie qui veut aller de l'avant, les valeurs ont repris du poil de la bête, mais il reste encore des progrès à accomplir pour porter le regard sur des enjeux vitaux pour la planète, comme celui du climat. Des enjeux de société aussi, que parfois, les dirigeants ont peut-être un petit peu occulté. Il est intéressant de voir aussi que la désinformation ou le populisme qui étaient apparus comme facteurs d'inquiétude, ont tout bonnement disparu de cette 25ᵉ enquête. Comme quoi, les urgences et les priorités d'hier ne sont pas forcément celles de demain. Merci Patrice Morot.

Patrice Morot : Merci beaucoup.

Raphaëlle Duchemin : Cette étude et ses détails sont à retrouver sur pwc.fr

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Président, PwC France et Maghreb

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