Comment les dirigeants transforment leurs organisations et préparent l'avenir

PwC en direct, le podcast


Comment les dirigeants transforment leurs organisations et préparent l'avenir

La transformation numérique est essentielle pour les entreprises. Mais pour faire la différence dans le monde d'aujourd'hui, il faut comprendre que la nature de l'avantage concurrentiel a changé et que le digital n'est pas suffisant.

Comment les dirigeants transforment leurs organisations et préparent l'avenir ? Découvrez l'analyse

Bonjour, vous venez de commencer la lecture d'un podcast pas comme les autres. Oui, vous avez bien entendu. J'ai dit lecture, car aujourd'hui, c'est un livre que nous allons ouvrir ensemble. Allez-y, tendez la main et prenez-le. Il est juste là, sur l'étagère. Celui-là, oui, Beyond digital. Ce n'est pas de la science-fiction, quoiqu'on pourrait presque y voir une sorte de roman d'anticipation. Parce qu'à l'intérieur, vous allez découvrir comment quelques grandes entreprises ont devancé le changement, comment elles ont flairé que leur modèle touchait à ses limites. Comment ? Je suis Raphaëlle Duchemin et je vais tourner en quelque sorte les pages pour vous aujourd'hui. Il était une fois, douze entreprises qui dominaient leur secteur respectif. Toutes avaient vécu l'avènement du numérique il y a 30 ans et toutes s'étaient appropriées ce fabuleux outil qu'était devenu le digital. Elles auraient pu vivre sur leurs lauriers et ne pas sentir le vent du changement. À leur tête, des leaders éclairés avaient compris qu'il fallait réinventer le business model pour ne pas perdre leur compétitivité et pour rester dans la course. PwC, en direct.

Raphaëlle Duchemin : Bonjour Pierre Péladeau, merci d'être avec nous. Vous êtes associé au sein de l'équipe de conseil en stratégie, spécialisé justement sur les questions de transformation digitale chez PwC. Avant d'ouvrir le tout premier chapitre, dites-moi ce qui a poussé PwC et ses deux auteurs à s'intéresser à ce sujet de cette manière-là.

Pierre Péladeau : Le titre du livre, c'est Beyond digital ou au-delà du digital en français. Effectivement, ça fait depuis plus de dix ans maintenant que les entreprises se posent la question de comment se digitaliser. Elles digitalisent ce qu'elles font aujourd'hui, leurs processus, leurs interfaces clients, et cetera, mais sans se poser la question fondamentale de qu'est-ce que cela change pour eux en termes de présence sur le marché, en termes de business model. Elles digitalisent, mais ce que ces auteurs disent, c'est qu'il faut aller au-delà de cette digitalisation pour vraiment avoir les effets.

Raphaëlle Duchemin : Le digital est un atout, mais il ne suffit plus. La concurrence a changé et c'est aussi ça qui nécessite de s'adapter en quelque sorte au changement.

Pierre Péladeau : Oui, le digital aujourd'hui, c'est un table stack en anglais. Il faut aller au-delà du digital, si on veut vraiment vaincre sa concurrence.

Raphaëlle Duchemin : Il y a une révolution de la demande et de l'offre, une transformation du contexte aussi. Ce sont ces éléments qui nous obligent à aller au-delà ?

Pierre Péladeau : Oui, il y a une révolution de la demande. Aujourd'hui, les clients ont une pléthore d'offres. Il suffit d'aller sur internet et on trouve absolument de tout. On peut d'ailleurs désagréger sa consommation. Il ne suffit pas d'aller chez un seul fournisseur pour avoir toute l'offre qu'on souhaite avoir en faisant du pick and choose. Il y a aussi une révolution de l'offre. Si on regarde par exemple, Airbnb est le plus grand hôtelier au monde sans posséder une seule chambre d'hôtel. Il y a aussi une transformation assez importante du contexte ces dernières années. Tout le monde est conscient du changement climatique. Il y a la guerre en Ukraine, donc la conscience des consommateurs a aussi changé. Ils ne veulent pas que consommer le moins cher, consommer le plus facile. Ils veulent aussi consommer de façon équitable.

Raphaëlle Duchemin : Puis cette redistribution des cartes sur internet, permet aussi finalement aux TPE et aux PME d'exister à côté des grands, à côté des mastodontes. Ça veut dire que ça diminue aussi le pouvoir des acteurs historiques ? C'est ce que permet le digital ?

Pierre Péladeau : On pourrait croire cela, mais ce n'est pas nécessairement vrai. C'est vrai que le digital permet de désagréger une chaîne de valeur et de travailler dans un écosystème. Il existe quand même des acteurs qui maîtrisent ces écosystèmes, qui ont les plateformes. Il faut pouvoir s'insérer dans ces plateformes ou alors en créer une.

Raphaëlle Duchemin : Comprendre que la transformation opérée ne suffit plus pour conserver ses clients est une chose. Amorcer la remise en question pour se repositionner en est une autre. Or, toutes ont su réinventer la place de leur entreprise dans le monde. Ce qui est frappant, finalement, c'est à quel point les entreprises comme Philips, qui est l'un des modèles étudiés, comment elles sont capables d'arriver à se remettre en question et de dire : "Ok, on va revoir notre échelle de valeurs". C'est quand même assez bluffant quand on voit à qui on s'adresse. Philips, ce n'est pas une TPE, ce n'est pas une PME, c'est un grand groupe. Ça demande énormément de remise en cause et de remise en question.

Pierre Péladeau : Ce qu'ont montré les auteurs de ce livre, c'est que les sociétés qui ont réussi à révolutionner leur marché l'ont fait à travers sept leviers. Effectivement, le premier de ces leviers, c'est comment réimaginer la place de l'entreprise dans le monde d'aujourd'hui. Si on prend l'exemple de Philips, qui était une entreprise très diversifiée, qui faisait des téléviseurs, des lecteurs de cd. Aujourd'hui, elle s'est complètement recentrée sur les équipements de la santé, mais en imaginant le parcours du patient. Non pas en imaginant quels sont les produits que je vais produire, mais en imaginant comment est-ce que le patient va parcourir un parcours en utilisant les produits que Philips peut offrir. Ils ont utilisé le digital pour réimaginer leur positionnement dans ce monde dans lequel ils évoluent.

Raphaëlle Duchemin : Elles auscultent en quelque sorte les changements du consommateur. Elles se mettent à sa place ? C'est ce qu'elles font dans l'exemple que vous citiez, en se disant : "si je partais de zéro aujourd'hui, comment est-ce que je ferais finalement, si j'avais à rebâtir Philips ou une entreprise en changeant de modèle" ?

Pierre Péladeau : Ce qui est important aussi dans la façon de concevoir des choses de ces entreprises, c'est qu'ils partent du client. Quel est le besoin fondamental qu'a le client ? Quels sont les résultats, outcome en anglais, que je peux produire pour ce client ? Comment je peux assembler, soit moi-même ou à travers un écosystème, une réponse pour répondre à ces besoins du client ?

Raphaëlle Duchemin : Cette capacité est salutaire quand on a une entreprise petite ou grosse. D'ailleurs, cette remise en question est vraiment un levier essentiel pour passer les crises.

Pierre Péladeau : La question fondamentale à laquelle une entreprise doit répondre, c'est comment est-ce que je crée de la valeur pour mes clients et comment est-ce que je peux aller plus loin pour créer de la valeur pour mes clients en utilisant les leviers du digital ?

Raphaëlle Duchemin : Malgré le pouvoir que détiennent certains grands groupes, ils ne doivent pas négliger l'environnement dans lequel ils évoluent, au contraire. Celle qui nous sert d'exemple aujourd'hui l'ont compris, à plusieurs, on est plus fort. Il faut donc s'appuyer sur notre écosystème pour créer de la valeur. Aujourd'hui, plus aucune entreprise ne peut faire face seule. Elle a besoin d'aller chercher les compétences là où elle se trouve, à l'extérieur comme à l'intérieur.

Pierre Péladeau : Il y a un bon exemple d'un acteur qui a réussi à s'appuyer sur un écosystème dans lequel il évolue. C'est l'exemple de Komatsu qui est une entreprise japonaise qui fournit des équipements pour la construction de bâtiments. C'est un business relativement simple. Ils fournissent de l'équipement en location à des entreprises qui construisent des immeubles. Ce qu'ils ont compris, c'est que quand ils fournissaient ces équipements, ils pouvaient y associer des capteurs IoT sur ces équipements pour collecter des données. Ils n'avaient pas la compétence requise pour exploiter ces données. Ils ont choisi alors d'ouvrir la plateforme des données qui collectait à l'écosystème pour que d'autres acteurs puissent construire à partir de ces données des solutions qui utilisent les équipements de Komatsu pour répondre aux besoins des clients.

Raphaëlle Duchemin : C'est aussi un changement de mentalité, d'organisation au sein même d'une entreprise qu'on propose quand on innove comme ça.

Pierre Péladeau : Oui, dans le cas de Komatsu, ils ont créé un business unit à part pour générer et créer cette plateforme de données et la mettre à disposition et animer un écosystème d'acteurs qui pouvaient utiliser ces données.

Raphaëlle Duchemin : Ce qui est intéressant aussi dans cet exemple, c'est que ça met en évidence l'importance des partenariats. On reconnaît qu’on n’a ni le temps ni les moyens de former à toutes les compétences qu'on accepte finalement de déléguer à ceux qui savent faire.

Pierre Péladeau : C'est un autre point important de la philosophie de ces auteurs, c'est que chaque entreprise a un certain nombre de compétences clés qui la distingue de tous les autres. Ces compétences ne permettent pas toujours de répondre à tous les besoins des clients. Effectivement, s'associer à d'autres qui ont des compétences nécessaires permet justement de créer des solutions qui répondent in fine aux besoins des clients.

Raphaëlle Duchemin : Il faut donc construire cet écosystème qui est aussi basé sur finalement une sorte de confiance et d'échange. C'est la base de tout ce qui est commercial. Je suis en demande aujourd'hui, mais je peux apporter demain mon expertise. C'est alors le principe du gagnant-gagnant.

Pierre Péladeau : C'est le principe du gagnant-gagnant et c'est le principe aussi de la compétition et de la coopération. Parfois, on est concurrents et parfois, on coopère pour trouver les meilleures solutions pour nos clients.

Raphaëlle Duchemin : Dans un monde qui change, où le digital a mis les entreprises au même niveau, qu'elles soient grandes ou petites, il faut pouvoir tirer son épingle du jeu. Établir une relation privilégiée avec le client, bien le connaître, qu'ils se sentent à part, qu'on sache cibler ses besoins, c'est un atout supplémentaire dans la construction du modèle de demain. Quand on parle de la construction de ce modèle, on voit bien que le consommateur a besoin de savoir qui lui vend ces services ou ces produits, et que ses valeurs à lui, le consommateur, soient clairement affichées et qu'il puisse les retrouver dans l'entreprise.

Pierre Péladeau : Effectivement, bien connaître ses clients, bien connaître les besoins de ses clients, bien connaître comment les clients consomment vos produits, c'est un atout absolument indispensable pour réussir sur le marché. Un bon exemple de cela, c'est Adobe qui est un éditeur de logiciels bien connu. Auparavant, elle vendait ses produits sous forme de licences à ses clients pour obtenir le software. Aujourd'hui, Adobe offre ses produits sous forme d'abonnements sur des plateformes cloud. Les logiciels sont toujours mis à jour. C'est un avantage, mais ce qui est plus important, c'est que cette forme de consommation des produits d'Adobe lui permet de connaître comment les clients utilisent leurs produits. Comment ils les utilisent bien, comment ils les utilisent mal et quand ils ne savent pas les utiliser, comment les aider en faisant évoluer le produit. Cette connaissance intime de comment le client utilise vos produits est un avantage incommensurable.

Raphaëlle Duchemin : L'étude dit : "Established the foundation of purpose and trust". Il y a vraiment cette notion de confiance qui apparaît dans la relation entre l'entreprise et le client. C'est essentiel dans ce qu'on est en train de construire aujourd'hui.

Pierre Péladeau : Oui, le client est volage, donc il peut aller d'une entreprise à l'autre. D'ailleurs, beaucoup de clients le font. Si on n'a pas établi cette notion de confiance et si le client n'a pas confiance, que l'on respecte les règles d'éthique, que l'on respecte l'environnement, on ne peut pas établir cette relation de confiance, alors c'est très important.

Raphaëlle Duchemin : Qu'affiche-t-on ? Comment montrer au client qu'il peut avoir confiance et qu'il y a cette transparence ? On est obligé de tout rebâtir parce qu'au départ, les entreprises ne s'étaient pas pensées comme ça. Elles sont obligées d'ouvrir les portes et les placards.

Pierre Péladeau : Oui, elles doivent ouvrir les portes et les placards, mais aussi vraiment se concentrer sur : "qu'est-ce que je fais ? Qu'est-ce que je fais pour répondre à ce besoin du client ? Quand je le fais ?". Il faut rendre cette fourniture de services absolument transparente et permettre aux clients d'agir sur ce que j'offre pour lui. Quand je disais qu’Adobe collecte les informations sur ses clients, c'est intéressant, puisque ça lui donne une vision sur comment le client consomme ses produits. On peut aussi essayer de donner la parole au client, laisser le client s'exprimer, dire ce qu'il souhaite avoir. Certaines entreprises, d'ailleurs, ont fait ça quand ils ont lancé des nouvelles marques. Elles ont cherché. Plutôt que de faire des études de marché et faire des focus groups, elles ont simplement demandé aux internautes ce qu'ils aimeraient avoir. Si je vous offre ce produit, est-ce que vous préféreriez avoir plus de features ou est-ce que vous préféreriez avoir un prix moins cher ?

Raphaëlle Duchemin : Parce que l'entreprise est d'abord une entité économique. Elle se doit évidemment d'obtenir des résultats, mais ils ne seront au rendez-vous que si l'équipe est embarquée et que tout le monde adhère aux nouvelles méthodes. L'entreprise gagne quand elle développe d'autres méthodes. On vient de parler de travail. Il faut accepter, en clair, de mettre autour de la table Jean-Michel de la comptabilité, Henry du service Ressources Humaines et Marie de l'informatique. Même si, de prime abord, ce n'est pas forcément leur sujet.

Pierre Péladeau : Oui, c'est une question très importante, notamment pour les très grands groupes qui sont souvent organisés par BU autour de produits, par exemple, qui deviennent au fil des années des baronnies. C'était le cas typique de Microsoft qui était arrivé à bout de souffle de son modèle qui avait développé un modèle avec la vision de Bill Gates qui était un PC dans chaque foyer. Pour réussir cette vision, Microsoft s'était organisé par lignes de produits. Ceci a créé des baronnies qui empêchaient Microsoft de répondre aux besoins fondamentaux du client. Satya Nadella, quand il était arrivé à la tête de Microsoft, a compris cela et il a complètement transformé l'organisation de Microsoft pour combiner toutes les compétences de Microsoft pour répondre aux besoins du client. Les compétences d'une industrie, par exemple les gens chez Microsoft qui connaissent une industrie, les connaissances techniques, c'est-à-dire les ingénieurs qui connaissent les produits et les compétences marketing, qui connaissent comment les clients vont utiliser les produits. C'est cette combinaison de toutes les compétences orientées client qui ont vraiment transformé Microsoft aujourd'hui.

Raphaëlle Duchemin : Est-ce que ça vous va si on dit par exemple, on développe l'esprit d'équipe pour faire émerger les fameux soft skills ?

Pierre Péladeau : Oui, c'est un autre bon exemple. Satya Nadella, quand il a changé cette façon d'organiser Microsoft, a aussi changé son comité exécutif. Il y a amené du nouveau sang, mais il a surtout changé les objectifs de ces membres du Comex, plutôt que d'avoir des objectifs autour d'un PNL, autour d'une croissance des revenus. Il a aussi donné à chacun des objectifs communs, c'est-à-dire qu'il ne peut pas réaliser seul qu'il doit réaliser en collaborant avec les autres membres de son Comex.

Raphaëlle Duchemin : On ne le fait pas à la marge. Si je vous entends bien, on le fait de manière pérenne et sur tous les sujets. C'est aussi ça qui fait que l'entreprise va arriver à Brainstormer et à avancer.

Pierre Péladeau : Oui, ce n'est pas à la marge, c'est une transformation fondamentale. Dans le cas de Microsoft, c'est une transformation à 180 degrés par rapport à la façon dont Microsoft fonctionnait auparavant. D'ailleurs, on a vu que ça leur a réussi. Puisque Microsoft est devenu une des trois premières plus grandes capitalisations au monde.

Raphaëlle Duchemin : C'est donc une redistribution des cartes en interne qu'il faut aussi opérer, accepter de rebattre le jeu pour une nouvelle donne, pour stimuler l'intérêt et l'envie des collaborateurs. On parle d'inverser ce qu'on appelle les points d'attention des collaborateurs. Parce que manifestement, ça fait ses preuves. Vous pouvez nous dire pourquoi ?

Pierre Péladeau : Je disais tout à l'heure que les clients sont volages, de même que les collaborateurs. Surtout dans le monde d'aujourd'hui, on parle aux États-Unis de la grande démission, qu'on voit d'ailleurs poindre en France aussi. Il faut donner un sens aux collaborateurs, pas seulement chercher à le garder à travers la rémunération et à travers les bonus. C'est vraiment donner un sens, définir un nouveau contrat social avec ses collaborateurs en montrant que l'on travaille et que l'entreprise a un sens, en montrant qu'ils ont un rôle au sein de l'entreprise pour réaliser ce sens, pour les clients.

Raphaëlle Duchemin : En fonction des priorités qui vont être établies, la manière dont le leader va aussi les aborder, ça va induire le comportement des collaborateurs ? Est-ce que c'est quelque chose qui peut justement faire changer les équipes ?

Pierre Péladeau : C'est une très bonne question. Dans ce monde, au-delà du digital, le leadership doit être complètement repensé. La place de leader n'est pas la même qu'elle était auparavant. Le leader n'est pas quelqu'un qui commande. Il doit être stratégique et en même temps pragmatique. Il doit être à la fois technologue et humain. Il doit savoir comment les collaborateurs utilisent les technologies puisque in fine, ce sont les collaborateurs qui exécutent la stratégie. Peu importe la technologie que l'on a, il doit penser global et en même temps, il doit s'attarder à ce qui est local, aux besoins locaux des collaborateurs ou des clients.

Raphaëlle Duchemin : C'est toute la structure pyramidale de l'entreprise qui est revisitée

Pierre Péladeau : Oui, absolument.

Raphaëlle Duchemin : Un autre point commun pour que le changement se diffuse un petit peu à tous les étages, nos entreprises modèles ont accepté de mettre le collaborateur au centre du modèle. On ne parle plus de : "on décide et ils exécutent", mais cette décision est commune et le rôle du collaborateur est remis au centre.

Pierre Péladeau : On parle depuis plusieurs années déjà et nous, chez PwC, on a fait ce genre de transformation de l'agilité à l'échelle dans tout ce qui est développement de software ou mise en place de nouveaux systèmes d'information. Cette agilité, cette façon de travailler en mode agile à l'échelle, on peut aussi la répliquer dans toute l'entreprise. Les collaborateurs prennent donc le pouvoir et définissent sur le terrain la façon dont on peut au mieux répondre aux besoins du client.

Raphaëlle Duchemin : On parle carrément de réinventer, vous le disiez tout à l'heure, le contrat social, une idée chère à Rousseau. En quoi c'est innovant finalement ?

Pierre Péladeau : Je ne sais pas si c'est innovant, mais c'est clairement différent de ce que les entreprises, la plupart des grandes entreprises notamment, faisaient auparavant.

Raphaëlle Duchemin : Est-ce que les leaders sont tous prêts ou est-ce qu'ils vont penser qu'ils perdent leurs pouvoirs, qu'ils ne tiennent plus les rênes ?

Pierre Péladeau : Ce qui est curieux, c'est que ceux qui ont compris ce nouveau paradigme et qui ont réinventé leur entreprise, ont tendance à créer énormément de valeur et à rester plus longtemps à la tête de leur entreprise. Ceux qui ne l'ont pas compris, le changement s'occupera d'eux.

Raphaëlle Duchemin : C'est le contraire qui se passe quand le collaborateur est au centre. Il devient lui-même en quelque sorte moteur de la transformation. C'est aussi une manière de le réengager, de permettre à ce qu'il s'investisse davantage dans l'entreprise.

Pierre Péladeau : C'est une manière de le réengager absolument et in fine, c'est le collaborateur qui exécute la stratégie que l'on souhaite exécuter. Sans le collaborateur, on n'y arrivera jamais. Si on n'arrive pas à la lui faire comprendre de quelle est la stratégie et quel est son rôle pour exécuter cette stratégie et qu'on ne lui donne pas les moyens de le faire, la stratégie ne sera jamais exécutée.

Raphaëlle Duchemin : Maintenant qu'on a repensé l'organigramme, qu'on a à disrupter à peu près tous les étages de la fusée, si on s'attaquait aux certitudes du patron, on en a déjà dit un petit mot. Oui, nos entreprises leaders, vous allez le voir, ont joué un sacré rôle. C'est difficile de se dire pour un patron : "Allez, j'oublie le management que j'ai mis en place depuis des années, je fais table rase et je déconstruis tout" ou ce n'est pas si compliqué que ça ?

Pierre Péladeau : Ça demande beaucoup de courage. Il faut accepter de mettre de côté toutes ces certitudes et d'être réellement convaincu que c'est la seule manière de faire pour sauver l'entreprise.

Raphaëlle Duchemin : C'est une prise de risque.

Pierre Péladeau : Une prise de risque, mais c'est la seule prise de risque valable, puisque ne rien faire, c'est aussi prendre des risques.

Raphaëlle Duchemin : En quoi est-ce bénéfique ? Parce que ce qu'on demande aux collaborateurs, on doit aussi pouvoir se l'appliquer ou montrer l'exemple.

Pierre Péladeau : Il faut être l'architecte de ce changement au sein de son entreprise. Pas simplement montrer l'exemple, mais être l'architecte.

Raphaëlle Duchemin : Il y a une métaphore qui est souvent faite avec le capitaine du bateau. Le capitaine est important, mais s'il n'y a pas d'équipage, le bateau ne peut pas avancer. C'est ça finalement ?

Pierre Péladeau : Dans les entreprises de demain, le capitaine n'a plus du tout le même rôle.

Raphaëlle Duchemin : C'est-à-dire ?

Pierre Péladeau : Il n'est plus aux commandes. Ce n'est pas lui qui va dire à la salle des machines : "avancez, mettez les gaz". Il va laisser ces décisions être prises par ses équipes sur le terrain. Ce n'est pas lui qui pourra prendre la meilleure décision parce qu'il n'est pas au plus près de ce qui se passe sur le terrain. Il y a des centaines, voire des centaines de milliers de micro-décisions qui doivent être prises sur le terrain tous les jours et le patron ne peut pas toutes les prendre.

Raphaëlle Duchemin : Il doit alors savoir bien s'entourer. Il doit savoir aussi déléguer.

Pierre Péladeau : Il doit savoir déléguer, mais doit aussi savoir mettre en place une façon de fonctionner. Une architecture qui permet aux collaborateurs de prendre ces décisions de manière autonome sur le terrain.

Raphaëlle Duchemin : On arrive presque au bout de ce livre. Ce n'est ni plus ni moins qu'une révolution qui doit s'opérer dans l'entreprise si elle veut continuer à être dans le jeu.

Pierre Péladeau : De notre point de vue, les entreprises qui ne font que digitaliser ce qu'ils font déjà aujourd'hui, sont vouées à l'échec. Les entreprises qui survivront demain sont celles qui iront au-delà du digital.

Raphaëlle Duchemin : Je voudrais vous interroger sur les paradoxes qui figurent dans ce livre et qui méritent réflexion. Je vous les livre, ils sont, ils sont notés comme ça et ça m'a interpellé. Ce sont ceux qui vont justement avec la définition du leadership. Ce qu'on demande aux dirigeants, c'est d'être à la fois acteur local et acteur global, de faire de la politique avec intégrité, d'être un héros humble, un exécutant stratégique, d'avoir de l'humanité et être aussi en même temps à la pointe de la technologie, d'être un innovateur tout en restant traditionnel. C'est un grand écart qui laisse songeur et qui explique peut-être aussi que la posture soit parfois un peu compliquée à adopter.

Pierre Péladeau : Oui, ces paradoxes de leadership sont réellement des paradoxes puisqu'on juxtapose des idées qui semblent être un peu contraires, par exemple la technologie et l'humain. C'est le collaborateur qui doit exécuter la stratégie et non la technologie. La technologie est un leurre. Il faut être au fait du potentiel que les technologies offrent. À la fin, il faut laisser le collaborateur être maître ou posséder cette technologie pour pouvoir s'en servir au mieux. De même, un leader doit être un héros. Il doit montrer l'exemple, mais il ne doit pas être celui qui dit : "c'est que moi", puisque s'il dit cela, c'est que les collaborateurs ne vont pas se sentir partie prenante de cette aventure.

Raphaëlle Duchemin : Merci Pierre Péladeau.

Pierre Péladeau : Merci.

Raphaëlle Duchemin : Vous avez les clés pour écrire la stratégie qui va tracer le chemin de votre entreprise vers demain, avoir un coup d'avance, sentir les changements se profiler, être agile, accepter de faire pivoter son modèle. C'est aussi ce qui fait la marque des grands. Vous avez quelques clés de lecture. Le livre est évidemment à votre disposition. Rendez-vous sur pwc.fr.

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