Avenir du travail : aspirations et perceptions des collaborateurs français

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Imaginez un avenir où le travail transcende sa simple nature de source de revenus pour devenir un véritable moyen de s'épanouir et de donner du sens à sa vie.

Explorons ensemble les aspirations des collaborateurs, leurs préoccupations financières, et les attentes qu'ils nourrissent envers leurs dirigeants.

Découvrez dans ce podcast les grands enseignements de l’étude Hopes and Fears 2023 commentés par Matthieu Aubusson et Frédéric Petibon, Associés chez PwC France et Maghreb. Leurs analyses offrent une perspective unique sur les défis complexes qui façonnent le monde professionnel de demain.

Les perceptions des collaborateurs concernant l'intelligence artificielle, la nécessité de développer de nouvelles compétences et les transformations majeures à entreprendre sont au cœur de leur échange.

Raphaëlle Duchemin : À quoi va ressembler le travail dans les années qui viennent ? Bien malin celui qui peut donner une réponse aujourd'hui, mais tout porte à croire que les ferments d'une transformation profonde sont ensemencés et ne demandent qu'à éclore. Le gouvernement l'a senti, lui qui prépare un projet plein emploi. On y retrouve d'ailleurs une nouvelle répartition du temps, la notion de valeur portée haut, mais aussi une protection des seniors qui détiennent l'expérience et peuvent la partager.

Raphaëlle Duchemin : Une partie du texte sera entre les mains des partenaires sociaux pour bâtir un catalogue de mesures qui réponde aux attentes des patrons et des salariés. Justement, les salariés, que disent-ils ? Comment voient-ils l'avenir ? Je suis Raphaëlle Duchemin et nous allons plonger ensemble dans l'étude Hopes and Fears réalisée par PwC. Ce baromètre permet de connaître de manière fine les craintes et les espoirs de ceux qui font le monde du travail dans les entreprises.

Raphaëlle Duchemin : Ils sont 53 912 à avoir été interrogés à travers le monde, 2 142 en France. Que disent-ils ? Pour le savoir, je vais demander à Frédéric Petitbon et Matthieu Aubusson de m'éclairer, tous deux associés chez PwC en charge des sujets liés au capital humain. Matthieu Bonjour.

Matthieu Aubusson : Bonjour Raphaëlle.

Raphaëlle Duchemin : Bonjour Frédéric.

Frédéric Petitbon : Bonjour Raphaëlle.

Raphaëlle Duchemin : Je suis ravie d'être avec vous. On va décortiquer cette étude que vous avez menée ensemble. Il y a six mois, si mes souvenirs sont bons, la rémunération était une des préoccupations majeures des collaborateurs. Manifestement, cela n'a pas changé, mais entretemps, l'inflation est passée par là, et c'est vrai qu'elle a sérieusement abîmé les marges de manœuvre financières des collaborateurs, et ça ressort manifestement dans cette étude.

Frédéric Petitbon : Un salarié sur cinq n'arrive pas à joindre les deux bouts. Les sujets financiers de fin du mois sont devenus absolument cruciaux et ceci d'ailleurs, on le voit dans le monde entier. La tendance n'est pas uniquement française, elle est mondiale. Une personne sur cinq n'arrive pas à finir le mois correctement.

Raphaëlle Duchemin : Vous parliez de l'étranger, Frédéric. À l'étranger, justement, certains travailleurs cumulent des emplois différents pour arriver à joindre les deux bouts. C'est une pratique qui, manifestement, n'est pas très répandue en France, seulement 12%. Question de culture peut-être ?

Matthieu Aubusson : Oui. Question de modèle social aussi, avec une logique de protection sociale et de financement du non-emploi ou des périodes de la sorte qui est différente et effectivement, le phénomène qu'on voit notamment dans les pays anglo-saxons où les personnes qui ont du mal, sont quasiment pour toutes dans une situation où elles exercent plusieurs emplois, n'est pas encore répandu en France, en effet.

Raphaëlle Duchemin : Ce qui ressort aussi, c'est que le travail en dehors du salaire n'est plus seulement une source de rémunération, c'est aussi un lieu où l'on a envie et besoin de s'épanouir, d'être soi, de trouver une place.

Frédéric Petitbon : Une des bonnes nouvelles de notre étude, c'est que globalement, beaucoup de salariés sont, je ne dirais peut-être pas heureux, mais épanouis dans leur travail qui leur apporte intérêts, sujets de complément relationnel, passion. Donc il y a une vraie bonne nouvelle sur l'intérêt du travail dans nos salariés. Pas seulement en France, mais aussi en France, les Français ne sont pas ronchons sur le sujet.

Raphaëlle Duchemin : Oui, c'est vrai que la qualité, la fameuse qualité de vie au travail a l'air de s'être améliorée. Malgré tout, si les dirigeants ont le sentiment d'agir beaucoup, ce n'est pas toujours le cas, quand on pose la question aux collaborateurs, on sent qu'il y a encore une divergence de point de vue.

Matthieu Aubusson : Là où les dirigeants expriment qu'à 90%, ils estiment être alignés avec ces valeurs et ces objectifs, eux, les collaborateurs, même s'ils témoignent pour plus de la moitié d'entre eux, une forme d'épanouissement, ils estiment que dans un certain nombre de situations, leurs comportements ne sont pas alignés avec les valeurs et objectifs portés par l'entreprise.

Raphaëlle Duchemin : Ce qui est intéressant, c'est que quand on creuse un petit peu dans l'étude, il y a sur la charge de travail un paradoxe justement. Un collaborateur sur cinq l'a vécu et pourtant, on vient de dire qu'il y a épanouissement. Comment est-ce que ça s'explique ?

Frédéric Petitbon : Ce qui s'explique, c'est d'abord que le pouvoir a changé. C'est le collaborateur qui est sûr de lui, sûr de ses compétences et qui, pour une bonne partie d'entre eux, les jeunes, mais pas seulement, les métiers de la techno mais pas seulement, se sentent en situation d'aller discuter avec leur patron de leur salaire, de leur place, de leur emploi et si ça ne va pas bien, il est prêt à partir. Le pouvoir a changé. On a à la fois des collaborateurs qui sont sûrs d'eux-mêmes, en capacité de bouger, ça c'est merveilleux et en même temps des collaborateurs qui, pour un cinquième d'entre eux, ne sont pas assez payés au point d'être en vraie souffrance.

Raphaëlle Duchemin : Matthieu, surcharge, envie de changer de travail, sur les 12 derniers mois, ça varie aussi, je crois, en fonction des générations. Il y a un gap qui peut—

Matthieu Aubusson : Les générations dites Z sont clairement plus disantes sur ces sujets-là, sur les sujets d'attentes. Attente sur les rémunérations, attente sur les promotions, attente sur leur volonté aussi de potentiellement quitter l'entreprise. On évoquera le sujet de la grande démission tant attendue qu'on sent monter.

Raphaëlle Duchemin : Celle qui venait des États-Unis et qui n'était pas tout à fait arrivée lors de la dernière étude. En-tout-cas pas chez nous.

Matthieu Aubusson : Qui n'a pas été complètement la vague annoncée, mais qui, si on interroge les collaborateurs, reste en constante augmentation dans leur volonté de quitter l'entreprise pour aller ailleurs. Comme le disait Frédéric, avec un pouvoir ou un rapport de force qui s'est clairement inversé. Aussi, le fait que cette surcharge ou cette souffrance au travail s'exprime plus. Elle témoigne aussi le fait que les gens ont la capacité de dire qu'ils sont moins prêts à accepter cette surcharge parce qu'ils estiment, pour une bonne partie d'entre eux, qu'ils peuvent partir.

Raphaëlle Duchemin : Travailler moins, travailler autrement, mieux répartir aussi peut-être les tâches, penser plus collaboratif. Les principes sont très répandus dans les discours post COVID. Les patrons ont le sentiment d'être beaucoup plus à l'écoute. Ils le disent d'ailleurs, affichent leur volonté de faire ensemble, mais est-ce perceptible du côté des collaborateurs ? C'est capital pour l'entreprise si elle veut demain pouvoir être, continuer à être, attractive. Matthieu, Frédéric, la place du travail change manifestement. Le travail en lui-même change aussi. Est-ce que ça, ça ressort dans l'étude que vous venez de mener ?

Frédéric Petitbon : Ce qui ressort, c'est un besoin de sens à plusieurs niveaux : le sens dans l'équipe, le sens dans ce que je fais et le besoin d'être aligné, pour utiliser ce drôle de terme, entre ce que je fais et la vocation de mon entreprise. Ça, ça sort de manière claire, avec effectivement une pluralité de situations. On n'est pas forcément aligné et quand on n'est pas aligné, on le dit de manière plus directe.

Raphaëlle Duchemin : Puis, on s'en va.

Frédéric Petitbon : On s'en va de son entreprise, de son poste, on demande à bouger et on ne rencontre aucune difficulté à l'exprimer, à l'exiger vis-à-vis de son chef.

Raphaëlle Duchemin : Ça pose un certain nombre de problèmes parce que les entreprises, elles, sont en recherche de compétences.

Matthieu Aubusson : On vit dans un monde où, je pense, les dirigeants ont clairement compris que l'accès aux talents allait être une partie du nerf de la guerre. C'est en tout cas reconnu dans notre étude CEO Survey. Je pense que du côté des collaborateurs, il y a cette même perception qui, d'une part il y a une guerre des talents et aussi un besoin d'évolution des compétences.

Ce qui revient en premier quand on interroge les collaborateurs sur ce qu'ils vont devoir développer comme compétence, on retrouve des sujets d'adaptabilité, de flexibilité, de capacité à raisonner et donc toutes les choses qui sont un peu moins liées aux compétences techniques et dont on perçoit qu'il va falloir les développer.

Raphaëlle Duchemin : Ça transparait vraiment de manière claire la volonté de ne plus être pris en compte finalement seulement selon son CV, ses diplômes, car je suis aussi ce que mon expérience m'a permis d'être. C'est ça aussi qui transparaît dans cette étude.

Frédéric Petitbon : Pour nous, c'est une bonne nouvelle. C'est la bonne nouvelle que les collaborateurs ne raisonnent plus de manière scolaire, mais sont en vraie évolution par rapport à leur comportement, par rapport à leur leadership, à leur capacité à collaborer. Même si, quand on compare la France avec les autres pays, on est un peu moins à l'aise sur ces softs skills, sur ce besoin de collaborer où nos amis étrangers sont plus allants que les Français.

Matthieu Aubusson : Il y a quand même encore près de 40% des collaborateurs qui estiment qu’ils sont surtout évalués non pas par rapport à leurs compétences, mais plutôt par rapport aux différents jobs qu'ils ont pu exercer par le passé. Il y a une nécessaire évolution de la façon de gérer ce sujet par les entreprises, qui est de passer d'une logique de poste à une logique de vraies compétences, en se disant finalement on va créer de la fluidité et si on veut être capable demain d'employer des gens ou de recruter des gens sur des postes en souffrance, sur les postes en tension, il va falloir être capable pour les entreprises d'aller chercher des gens qui ont certes les compétences, mais qui n'ont pas occupé ces mêmes postes parce que sinon on ne va pas les trouver.

Frédéric Petitbon : Une bonne nouvelle Raphaëlle, qui est que les chefs aident. Est-ce que le management est un soutien pour apprendre autrement pour grandir ? Notre étude dit plutôt oui, y compris en France dans la capacité d'être en soutien psychologique par rapport aux collaborateurs. Ce n'était pas le cas il y a cinq ans. La tendance est claire.

Raphaëlle Duchemin : Alors ce qu'on est en train de se dire, c'est encore plus vrai pour les jeunes générations qui attendent davantage aussi peut-être de l'entreprise, de son rôle pour faire en sorte qu'il puisse se développer à l'intérieur de cette équipe dont on est en train de parler.

Matthieu Aubusson : Oui, je pense qu'ils ont intégré le fait aussi qu'ils ne feront pas l'intégralité de leur carrière dans la même entreprise. Ils ont aussi complètement intégré le fait qu'on allait aller de crise en crise ou de grande évolution en grande évolution, et que ce qui allait être leur boussole, c'est leur capacité à se réinventer de manière un peu permanente et donc de ce fait, d'être assez solide sur ces sujets d'adaptabilité, de flexibilité et de capacité à embrasser le monde de demain.

Raphaëlle Duchemin : Dans ce travail du futur, quelle sera la place de l'intelligence artificielle ? Aujourd'hui avec le développement d'outils comme ChatGPT, certains s'émeuvent, d'autres s'émerveillent. Ce qui est certain, c'est que le statu quo n'est pas possible et que demain, l'entreprise devra intégrer l'IA dans ses process. Les collaborateurs, en ont-ils vraiment conscience ? Matthieu, Frédéric, c'est très clair. Les collaborateurs, quels qu'ils soient, s'interrogent, se posent des questions sur l'intelligence artificielle, sur son rôle aussi.

Frédéric Petitbon : Nous avons été surpris par les résultats de l'étude. L'IA, même pas peur, nous disent les collaborateurs alors que nous nous attendions à une vraie inquiétude globale sur le sujet. Non, l'IA, même pas peur. On a l'impression que ça peut accélérer sa productivité et ça peut améliorer son efficacité. Par rapport à ça, le risque pour son emploi est très en retrait dans ce qui ressort de notre étude.

Matthieu Aubusson : Je compléterai qu'il y a une petite différence entre la vision mondiale et la vision française. La vision mondiale, je retraduis ce positivisme qu'évoque Frédéric. Il y a environ 30% des collaborateurs qui nous disent : "Moi, je pense que cette IA dont on nous annonce finalement l'arrivée massive, va avoir un impact positif. Ça va améliorer mon efficacité, ma façon de travailler, ça va être positif pour moi."

En France, on est plutôt sur des logiques à 19%, donc on sent une forme de différence ou de défiance, ou en tout cas de particularisme français sur la capacité à se projeter positivement sur l'IA. Dans le même temps, un tiers des Français nous dit : " Finalement, l'IA ne va probablement rien changer pour moi." Il y a cette espèce d'impression où ils ne voient pas le positif, ils ne voient pas trop non plus le négatif et ils sont clairement en décalage avec le reste du monde.

Frédéric Petitbon : Pour nous, cette perception vis-à-vis de l'IA est à la fois une bonne nouvelle et une mauvaise nouvelle. La bonne nouvelle, c'est qu'il y a une ouverture au changement, à l'upskilling, à son évolution des compétences qui est une réalité et pas du tout le frein par rapport à ce qui serait un danger. Ça, c'est la bonne nouvelle et on peut être positif sur la capacité de changer là-dessus.

Frédéric Petitbon : La mauvaise nouvelle, c'est que nous, dans notre vision d'expertise, on voit un certain nombre de secteurs où les transformations vont être violentes, où vont arriver de nouveaux acteurs qui vont changer l'activité. Effectivement, on va avoir encore plus que maintenant certains secteurs en pleine transformation.

Matthieu Aubusson : J'ajouterai que cette différence, cette évolution, se retraduit différemment entre les personnes qui occupent des postes qualifiés par rapport aux personnes qui occupent des postes moins qualifiés. Les personnes occupant des postes qualifiés perçoivent environ trois fois plus l'intérêt dans ce monde de l'IA de se renforcer sur des compétences qui vont être assez probablement moins touchées par l'IA, comme celles qu'on évoquait tout à l'heure, la flexibilité, l'adaptabilité et la capacité à apprendre de nouvelles choses.

Il y a un vrai risque de fracture de compétences ou de fracture liée à l'IA dans lequel il y aurait finalement ces deux mondes, avec un qui a compris qu'il fallait qu'il évolue et qui bouge et un qui est un peu moins qualifié, qui est en retrait, avec un vrai rôle pour les dirigeants de ne pas laisser cette fracture s'installer.

Frédéric Petitbon : En même temps, c'est pour ça que la période devait être passionnante. C'est vrai qu'il y a un certain nombre de métiers qui ne subiront a priori pas d’un impact direct de l'IA. Par exemple, je suis conducteur de bus. Le risque immédiat n'est pas très élevé, tandis que les travailleurs du savoir, ces gens plus qualifiés dont parle Matthieu, là, l'impact peut être direct, majeur, de remise en cause de l'emploi ou d'arrivée d'autres travailleurs du savoir qui travailleront autrement avec l'intelligence artificielle.

Raphaëlle Duchemin : Ce qui est frappant, c'est qu'ils ont compris que ça allait être dans leur vie, mais parfois ne voient pas l'impact que ça peut avoir pour eux sur leur travail, sur leur propre emploi à plus ou moins long terme, si on regarde dans les cinq ans à venir. Parce que c'est encore trop peu répandu, par exemple chez nous, ou parce qu'on l'a mal expliqué ou pas encore assez expliqué ?

Matthieu Aubusson : Je pense qu'on peut dire qu'on est passé d'une phase où on annonçait une révolution liée à l'intelligence artificielle, à une nouvelle phase qui s'est très probablement traduite par l'arrivée de ChatGPT ou d'outils de ce type-là où d'un seul coup ça devenait un peu "mass market" accessible. En un clic, on peut se rendre compte qu'en tapant une demande, on a quelque chose de tout de suite très concret. Là, il y a une réelle prise de conscience collective. Il y a encore un peu de mal à traduire cette prise de conscience collective sur les capacités apportées par l'IA en impact sur mon métier, ma fonction, mon avenir. Je pense que ça, ça va être la prochaine étape.

Raphaëlle Duchemin : Oui, ça, ce n'est pas forcément vrai dans les autres pays, Frédéric pour quelle raison ?

Frédéric Petitbon : La force des mots clefs et des modes, c'est que ça permet de résonner de manière différente et puissante dans certains cas. C'est vrai que probablement nous, Français, sommes un peu plus critiques face aux innovations. On a vu le métavers, on voit arriver l'intelligence artificielle ChatGPT et donc ces avantages, inconvénients de notre raisonnement critique français.

Raphaëlle Duchemin : Oui, parce qu'on est en deçà des seuils internationaux. Quand on regarde, il y a une défiance très française vis-à-vis de tout ce qui est un peu inconnu. Pourtant, ça ouvre de nouvelles opportunités, de nouvelles compétences, ça peut apporter de l'aide, de l'efficacité. Tout ça, on ne le voit pas, on ne le perçoit pas ?

Frédéric Petitbon : On le voit. Raphaëlle vous êtes trop dure, on a quand même une enquête qui montre vraiment cette ouverture. On s'attendait à des chiffres bien moins positifs que ce qu'on a vu. Ils le sont un peu moins en France que dans d'autres pays, mais la tendance à l'ouverture est réelle, ça, c'est une bonne nouvelle. Nous, dans notre rôle de conseil, on va dire attention, notamment pour les métiers du savoir, parce qu'il y aura des disruptions qui pourront être majeures avec l'arrivée de nouveaux acteurs qui pourront mobiliser l'intelligence artificielle et qui seront une vraie concurrence pour les autres.

Raphaëlle Duchemin : Est-ce que c'est à l'entreprise de donner des clés ? Les dirigeants sont plus confiants manifestement que les collaborateurs sur ces sujets-là.

Matthieu Aubusson : Je pense qu'il y aura un rôle, une responsabilité pour le dirigeant et pour l'entreprise indéniable sur le fait de devoir apprendre ou de devoir accompagner les collaborateurs pour leur permettre de savoir utiliser ces nouvelles solutions. Il faut passer d'un monde où finalement, on avait de la connaissance à un monde où on sait la chercher, on sait l'utiliser, on sait comment l'acquérir et où la trouver. Il ne faut pas être naïf, apprendre à la chercher, c'est en soi une compétence.

Matthieu Aubusson : L'entreprise va devoir apprendre à l'ensemble de ses collaborateurs à utiliser ces nouveaux outils pour tirer profit de ces solutions et mettre en situation tout le monde, de sortir de façon gagnante de cette évolution.

Frédéric Petitbon : En même temps, on voit que les collaborateurs ne sont plus en attente systématique de la part de quelque chose qui descendrait de leur dirigeant. Ils sont acteurs. Ça, ils le disent bien dans l'enquête, ce sont eux qui vont mobiliser par eux-mêmes les différents outils pour monter en compétences. Ça, c'est aussi une bonne nouvelle.

Raphaëlle Duchemin : Les enjeux sont nombreux pour faire la révolution du travail, que ce soit sa place, mais aussi pour intégrer de nouveaux outils qui vont participer au changement, voire l'accélérer. Et si tout cela entraînait aussi la création d'un nouveau modèle d'entreprise où l’ESG notamment, est une des pierres angulaires ? La question du changement de modèle avait été posée aux dirigeants, il me semble, Matthieu et Frédéric et tous étaient catégoriques. Il y avait urgence à faire changer le modèle pour que l'entreprise puisse durer et ne pas disparaître.

Les collaborateurs dans l'étude que vous venez de mener le pensent aussi, mais l'analyse n'est pas la même. Un sur quatre seulement quand c'est un dirigeant sur deux. Là encore, on en revient à une question de point vue.

Matthieu Aubusson : Moi, je serai moins critique sur la différence. Effectivement, un dirigeant sur deux pense que s'il ne fait rien, l'entreprise qu'il dirige va disparaître dans 10 ans. On est sur finalement deux fois moins chez les collaborateurs. Je pense qu'il y a un effet de rattrapage et je serai plutôt dans une lecture positive de cette différence en disant finalement, ils s'accordent tendanciellement, ces deux populations, sur le fait qu'il y a un horizon de temps, 10 ans environ, au-delà duquel si on ne bouge pas vraiment, il va se passer quelque chose. La traduction, ou l'action, ou la mise en action est assez claire pour les deux populations aussi.

Matthieu Aubusson : C'est-à-dire que d'un côté les dirigeants nous disent notre priorité, c'est l'upskilling, la mise à niveau des compétences. De l'autre côté, il y a quand même une forme de confiance des collaborateurs, à peu près un sur deux, qui estiment que l'entreprise est en train de mettre des moyens qui leur permettent, eux, collaborateurs, de se mettre à niveau et d'appréhender cette transformation nécessaire du modèle.

Frédéric Petitbon : Il y a un point qui nous a presque choqués, c'est la différence de génération. Les anciens ou les jeunes anciens, disons au-delà de 35 ans n'expriment pas de fortes inquiétudes. C'est soit parce qu'ils considèrent que leur départ est proche et que la transformation de leur entreprise n'est pas un enjeu majeur. Tandis que les jeunes, on a une différence d'un à quatre pour l'inquiétude qu'ont les jeunes sur le sujet, et les jeunes à moitié d'entre eux considèrent que leur entreprise n'existera plus, que leur modèle ne tiendra plus dans les cinq à 10 ans qui viennent. La différence est absolument considérable.

Raphaëlle Duchemin : C'est la raison pour laquelle, quand on leur pose la question, certains disent : "Allons-y doucement, à notre rythme." Les jeunes disent : "Non, il faut accélérer encore, sinon ça risque d'être même avant les 10 ans."

Matthieu Aubusson : Oui, effectivement, on est plutôt sur les cinq ans quand on interroge les jeunes et sur les 10 ans quand on interroge les personnes plus âgées.

Frédéric Petitbon : Avec un point qu'on voit bien, il est hors de question maintenant d'attendre que ça vienne. Il faut que je sois acteur pour bouger vite et ne surtout pas attendre quelque chose de la part d'une entreprise qui elle-même risque de ne plus exister dans très peu de temps.

Raphaëlle Duchemin : Ça, c'est quelque chose qu'on voit en France. On voit la même chose à l'international Frédéric ?

Frédéric Petitbon : La tendance générale, c'est : " Je dois être acteur." Cette tendance est très forte, elle était déjà classique dans le monde Anglo-Saxon, donc la France se rapproche plutôt de cet univers-là. Très clairement, c'est la tendance forte. Moi, acteur, pour construire mes compétences et mon parcours.

Matthieu Aubusson : Ce qui correspond d'ailleurs à l'évolution de toute la formation professionnelle. En France, on a commencé à restructurer cette logique de formation de façon que chaque collaborateur se saisisse de son parcours et que la formation ne s'arrête pas au début de la vie professionnelle.

Raphaëlle Duchemin : Je parlais tout à l'heure d’ESG comme matrice. Ça ressort aussi dans les attentes des collaborateurs. L'entreprise doit agir pour la planète et ils doivent agir eux, en interne pour que ce soit un sujet phare de l'entreprise.

Frédéric Petitbon : Plusieurs points ressortent de notre étude sur le sujet. Un point de relative surprise pour nous, c'est moi, collaborateur, l'aspect des compétences vertes, des compétences de vision du monde, de la biodiversité ou autre n'apparaît pas comme premier dans les compétences dont je ressens la nécessité. Non, mais c'est aussi parce que mon travail n'est pas suffisamment directement connecté avec la transformation du modèle de l'entreprise. Là, il y a un vrai point avec une vision des collaborateurs que la crédibilité de leur entreprise pour changer de modèle est une crédibilité qui ne va pas de soi. La moitié d'entre eux n'y croient pas.

Raphaëlle Duchemin : Oui, les dirigeants, eux, ont le sentiment d'être assez efficaces. Là où les collaborateurs répondent qu'à leur avis, ils n'en font pas assez. Est-ce qu'il n'y a pas un problème aussi de faire savoir peut-être ?

Matthieu Aubusson : Je répondrai qu'il y a déjà une bonne nouvelle, c'est que tout le monde partage l'impression ou le sentiment que ça fait partie du devoir des entreprises de s'intéresser à ce sujet-là. Il y a une responsabilité de l'entreprise de lutter contre le changement climatique. Pour autant, comme le disait Frédéric et comme le montre l'étude, bon nombre et la majorité des collaborateurs nous disent ce que fait l'entreprise est insuffisant. Comme il y a une espèce de paradoxe par rapport au fait qu'ils n'estiment pas eux-mêmes devoir se former, moins de 30% d'entre eux estiment que les compétences vertes sont nécessaires.

Matthieu Aubusson : On voit qu'il y a un besoin de reconnecter les actions que l'entreprise peut réaliser pour les rendre plus visibles, les rendre plus l'affaire de tous. D'autre part, d'arriver à faire le lien entre cette transformation verte et les compétences nécessaires pour que tout un chacun en soit capable de l'embrasser, de la diffuser et d'en faire partie.

Raphaëlle Duchemin : C'est ce que vous préconiseriez effectivement pour qu'il y ait davantage d'adéquation entre dirigeants et collaborateurs ?

Frédéric Petitbon : Ce qu'on préconise, c'est de faire de ces sujets de transformation de modèle un sujet à tous les niveaux. Ce sont bien sûr les dirigeants qui doivent tirer le fil et ne pas hésiter à être plus cash, plus explicite sur la transformation de leur modèle, y compris quand ça montre une rupture par rapport à l'actuel. C'est aussi au niveau du management et des équipes. Comment l'équipe doit s'organiser ?

On a vraiment un enjeu de transformation culturelle à tous les niveaux, du dirigeant dans son explicite vis-à-vis des équipes, quitte à aller plus vite et des équipes et des collaborateurs pour prendre leur part de manière plus résolue.

Raphaëlle Duchemin : Nous sommes encore à la croisée des chemins. Le monde post Covid avec le télétravail, l'hybridation des modèles a commencé à révolutionner les méthodes, mais les générations qui arrivent vont encore demander davantage en matière de flexibilité sur le lieu, le temps, les contrats. Du sur-mesure, en somme, pour que l'individu puisse s'épanouir. Toute la question est de savoir comment il pourra le faire dans un cadre collectif, avec des règles qui, demain, seront sans cesse appelées à évoluer. Frédéric Petitbon, Matthieu Aubusson, merci.

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