« Le passage à l’échelle sera par définition une approche collective et collaborative, impliquant tous les acteurs de la chaîne de valeur. Cette transition nécessite de travailler aussi bien l’offre (producteur et transformateur) que la demande (consommateur). Les distributeurs, qui sont à la jonction, auront un rôle clé. »
Le secteur agroalimentaire, pilier de l’économie française et européenne, contribue et subit les effets d’impacts environnementaux et sociétaux.
Sur le plan environnemental :
Sur le plan sociétal, le modèle actuel alimente des disparités socio-économiques multiples.
Face à ces constats, la nécessité d’opérer une transition alimentaire fait consensus parmi les acteurs du secteur agroalimentaire.
La transition alimentaire désigne le processus par lequel une société modifie en profondeur sa manière de produire et de consommer des aliments.
La transition que nous vivons depuis une vingtaine d’années est marquée par la remise en cause de l’industrialisation agricole et la recherche d’alternatives dans une perspective de durabilité des pratiques.
« Les régimes alimentaires durables sont des régimes alimentaires ayant de faibles conséquences sur l’environnement, qui contribuent à la sécurité alimentaire et nutritionnelle ainsi qu’à une vie saine pour les générations actuelles et futures. Les régimes alimentaires durables contribuent à protéger et à respecter la biodiversité et les écosystèmes, sont culturellement acceptables, économiquement équitables et accessibles, abordables, nutritionnellement sûrs et sains, et permettent d’optimiser les ressources naturelles et humaines. » En savoir plus
Si la chaîne de valeur du secteur agroalimentaire est vaste, notre étude souligne que les freins à la transition vers une alimentation durable pèsent principalement sur les agriculteurs.
La transition alimentaire implique notamment des modifications profondes dans les pratiques de production, et nécessite souvent de lourds et longs investissements. Les exploitants agricoles ne sont actuellement pas en mesure d’assurer seuls cet engagement – et ce risque – financier. En effet, la transition des systèmes de production s’opère sur un temps long, peu alignée avec les contraintes d’une économie de marché dynamique et imprévisible. La crise que traverse le bio depuis 2020 illustre parfaitement cette difficulté.
Entre 2015 et 2020, le marché du bio a vécu un réel essor : doublement du volume d’achats en euros et de la surface agricole française. Le dynamisme n’a malheureusement pas duré et le marché montre ses premiers signes d’essoufflement dès 2020. Entre 2020 et 2023, le marché du bio a régressé de près de 8%.
Les raisons de cette crise sont multiples.
En raison de la baisse des débouchés, la crise se maintient et les producteurs sont actuellement réticents à se convertir au bio : en 2022, le nombre de candidats à la conversion a chuté de 30%. Certains agriculteurs abandonnent même l’Agriculture Biologique et reviennent aux méthodes conventionnelles. Seule la moitié des producteurs bio qui ont cessé leur activité en 2021, l'ont fait en raison de leur départ à la retraite.
Dans notre économie mondialisée, les producteurs français et européens font face à la compétition internationale. Souvent régie par des exigences sociales et environnementales moindre, elle propose aux consommateurs un coût d’achat plus bas. Le maintien, voire le développement de la disponibilité de ces produits importés et moins chers met en difficulté le déploiement de pratiques durables en France.
Enfin, la demande des consommateurs vers des produits alimentaires durables n'est ni massive, ni stable. Si les consommateurs se déclarent favorable à cette offre, cela ne se traduit pas encore dans leurs actes d’achats car le prix demeure le critère principal dans les décisions d’achat. Cette volatilité de la demande est renforcée par la méconnaissance des impacts environnementaux et sociaux des produits achetés mais aussi par une information difficile à déchiffrer sur les produits offerts (multiplicité de labels et d’allégations environnementales et sociales). Les producteurs, eux, ont besoin de visibilité et de stabilité à long-terme pour assurer la viabilité de leurs activités et gérer le risque financier induit par la transition de leurs pratiques et de leur offre.
Le fardeau administratif lié à la complexité des multiples réglementations est reconnu. Aux normes nationales s’ajoutent les normes internationales et lorsqu’une exploitation est en polyculture les normes se multiplient, celles-ci étant pensées par produit ou par filière.
Leur multiplicité et leur technicité peut agir comme un frein pour une exploitation cherchant à modifier ses pratiques. En plus du temps nécessaire pour s’emparer de ces normes, leur mise en œuvre nécessite des démarches administratives et des coûts : la mise en conformité peut nécessiter des investissements ou une réorganisation des processus de production.
A date, les normes se concentrent sur une exigence de moyen, proposant un cadre rigide, parfois déconnecté de la réalité opérationnelle et pouvant mettre en difficulté les agriculteurs.
La transition durable de l’agriculture vers un modèle durable implique un changement de paradigme, passant d’une approche centrée sur la plante à une agriculture réinstaurant le rôle des sols. Cela implique de se détacher d’une approche relativement standardisée, basée sur la chimie et la mécanisation, à une approche plus spécifique, fondée sur une multiplicité de pratiques durables, concomitantes et adaptées aux contextes locaux.
Si des approches techniques existent, leur déploiement nécessite une bonne compréhension des impacts liés au dérèglement climatique et des interdépendances avec la biodiversité. Les solutions permettant d’appréhender les sujets climatiques commencent à bénéficier d’une disponibilité et d’une maturité relativement développée. Arrivée plus récemment dans le débat public, la biodiversité pâtie du manque de maturité de ses analyses et outils.
Le déploiement de solutions répondant aux enjeux climats et biodiversité est vu comme une source de complexité en plus, tant dans la mise en œuvre de solutions très locales et donc peu reproductibles à grande échelles, que dans la collecte et le traitement des données qu’elle nécessite.
Alors que les obstacles à la transition alimentaire se concentrent majoritairement sur l’amont agricole et les pratiques de production, les leviers d’actions, eux, se répartissent sur l’ensemble de la chaîne de valeur et impliquent dès lors la mobilisation de l’ensemble des acteurs.
Par leurs choix d’achats, les consommateurs jouent un rôle essentiel dans la réorientation de l’offre vers des produits plus durables. Pour cela, il est nécessaire de les sensibiliser sur les enjeux environnementaux et sociaux de la filière agricole.
Il convient notamment de promouvoir le rôle fondamental – et complexe - des métiers agricoles. Ce travail de revalorisation permettrait aux citoyens de mieux appréhender la réalité opérationnelle des agriculteurs, notamment le temps long dans lequel s’inscrit l’agriculture et la transition des pratiques agricoles. Un consommateur sensibilisé pourrait ainsi rétribuer le savoir-faire agricole et intégrer ses enjeux dans son processus de décision d’achat.
« Les acteurs du Capital Investissement sont un des acteurs clé pour accompagner le passage à l’échelle d’une transition vers un système agroalimentaire plus durable. Leur logique d’investissement répond à une volonté d’accompagner les entrepreneurs à affronter les crises en les soutenant et à accompagner les transformations majeures en s’engageant à leurs côtés par le financement et l’ouverture à tout un écosystème de partenaires. »
Le financement de la transition alimentaire nécessite des investissements importants et une gestion rigoureuse des risques qu’impliquent un changement de pratiques agricoles.
Pour réduire l’exposition aux risques, qui pèsent principalement sur l’amont du système agricole, le développement de solutions de services assurantiels co-financées entre les acteurs de la chaine de valeur permettrait d’accompagner les producteurs durant la phase de transition. Ces produits assurantiels pourraient être adaptés aux différents enjeux des différentes filières et géographies.
Un autre levier d’action pour atténuer les risques pesant sur les producteurs réside dans l’évolution du système contractuel. Il conviendrait de refléter davantage la réalité opérationnelle des producteurs et cette notion de temps long qu’implique la transition, dans la relation contractuelle qui les lie aux acheteurs. Cette approche collaborative vise à intégrer la notion de temps long, nécessaire à la transition, et à incorporer des objectifs de production en phase avec la réalité opérationnelle des exploitants.
Les puissances gouvernantes (Etat, Union Européenne) ont un rôle clé dans le succès du passage à l’échelle de cette transition vers une alimentation durable, tant via l’allocation des financements publics que le cadre réglementaire déployé.
La collaboration entre les différents acteurs du secteur est essentielle pour surmonter les obstacles à la transition alimentaire et pour développer des solutions innovantes et durables.
Celle-ci existe déjà, notamment via les coopératives agricoles et doit être encouragée pour faciliter le passage à l’échelle de pratiques agricoles durables. A une collaboration verticale entre différentes typologies d’acteurs, une collaboration horizontale doit s’ajouter. L’objectif est de renforcer le partage d’informations et la mise en commun de technologies disponibles, de pratiques agricoles innovantes et de données fiables qui bénéficieraient aux autres acteurs au sein des filières.
Parmi les bonnes pratiques remontées : les acteurs du secteur agricole sensibilisent les producteurs aux changements législatifs et réglementaires susceptibles d’affecter leur activité. Ils offrent également des programmes de formation et de développement professionnel pour aider les producteurs à acquérir les compétences nécessaires pour se conformer aux réglementations. Enfin, à l’échelle des filières notamment, on observe un partage de retour d’expérience sur l’opérationnalisation de la transition, afin de capitaliser sur les acteurs déjà engagés dans des pratiques plus durables.
Cette étude est le résultat d’une vingtaine d’entretiens menées avec différents acteurs de la chaîne de valeur alimentaire afin de connaître leur perception des freins et des leviers à la transition alimentaire.