Par Stéphanie Villers, Conseillère économique, PwC France et Maghreb
Les événements récents, avec la crise sanitaire et la crise énergétique, ont mis en évidence la trop forte dépendance des pays européens vis-à-vis de pays tiers. L’Union européenne (UE) s’est construite autour du libre-échange. Cette stratégie a été gagnante durant toute la période de « la mondialisation heureuse », qui s’est achevée sous l’ère Trump. Depuis, les règles ont changé, la guerre commerciale sino-américaine redistribue les cartes.
Le libre-échange ne fait plus recette et laisse place à un protectionnisme exacerbé entre américains et chinois. L’Europe doit pouvoir se réinventer pour faire face à la concurrence redoutable de ces deux superpuissances. La libre circulation des biens et des services, qui fait partie de l’ADN de l’UE, semble aujourd’hui dépassée. S’ajoutent à cela les contraintes environnementales qui nous obligent à revoir nos modes de production. Face à l’urgence climatique, une collaboration plus efficace semble être indispensable entre les pays européens.
La difficulté reste de convaincre les intérêts nationaux de s’unir pour défendre un avenir commun. La France et l’Allemagne, le moteur principal de l’UE, ont tout intérêt d’allier leurs forces technologiques et financières. La question du financement est cruciale car les industriels ont besoin d’être soutenus par la puissance publique face à des projets aussi importants et dont l’horizon de rentabilité n’est pas encore précis.
La crise énergétique a amplifié les dysfonctionnements du modèle économique de l’Union européenne, qui avaient déjà été mis en évidence lors de la crise sanitaire. Désormais, les pays européens, et en particulier l’Allemagne et la France, ne peuvent ignorer les risques générés par une trop forte dépendance vis-à-vis des pays tiers. La récession les menace pour le second semestre 2023 alors qu’il y a encore quelques trimestres, la reprise économique semblait être gravée dans le marbre. Un vent d’optimisme régnait alors au sein des entreprises européennes qui s’étaient mises à investir massivement, en particulier dans les nouvelles technologies et dans la transition écologique.
Aujourd’hui, le vent a tourné et l’Europe fait face à une inflation inquiétante dans un contexte de bataille technologique sur fond d’urgence climatique. La Chine et les États-Unis se sont, en effet, engouffrés dans une guerre économique sans lésiner sur les moyens financiers mis en œuvre. L’Europe ne peut se laisser distancer sans lutter. L’Allemagne et la France, qui demeurent ensemble le fer de lance de l’Union européenne, font face à court terme à un essoufflement de leur croissance et à une morosité latente. Mais, elles savent l’une et l’autre que les enjeux structurels de souveraineté technologique restent incontournables. Aujourd’hui, l’Allemagne doit prendre conscience des limites de son modèle trop dépendant des pays hors zone euro pour miser davantage sur le potentiel de ses partenaires européens. La France, pour sa part, doit s’engager dans le respect des règles budgétaires imposées par le Pacte de stabilité et de croissance pour convaincre de son aptitude à emboîter le pas de la rigueur germanique. Si les deux pays avancent dans ce sens, alors la construction européenne aura la capacité de relever les défis imposés par les deux premières puissances mondiales.
L’Union européenne se doit de façonner son propre avenir technologique autour des industries - notamment vertes - afin de limiter sa trop forte dépendance vis-à-vis des entreprises américaines et chinoises. Or, garantir son indépendance industrielle nécessite un plan de financement d’envergure. Le nerf de la guerre se jouera sur le volet financier. La difficulté reste de convaincre les intérêts nationaux de s’unir pour défendre un avenir commun face aux deux superpuissances, chinoise et américaine. À très court terme, les mesures de protectionnisme mises en place par les États-Unis réclament une réponse de l’Union européenne afin de favoriser son propre développement économique. En effet, l’Inflation Reduction Act (IRA), qui représente un vaste plan de subventions accordées aux entreprises implantées sur le sol américain, crée de facto une distorsion de concurrence empêchant l’Allemagne et la France de pouvoir lutter seules et d’offrir un cadre compétitif aux investissements nécessaires au déploiement des enjeux de souveraineté.
Enfin, compte tenu des avancées dans les technologies de demain observées aux États-Unis et en Chine, rien ne sert d’aspirer à une souveraineté européenne globale.
Dans le secteur technologique, les premiers restent les premiers. Ils ne sont jamais rattrapés. Les pure players américains n’ont, en effet, pas rencontré de concurrence en Europe. Il faut ainsi davantage se tourner vers les technologies qui vont accompagner la réindustrialisation. Les usines de dernière génération sont les seules rentables aujourd’hui.
Par ailleurs, il ne peut y avoir de succès locaux en technologie ; il n’y a pas d’axe économiquement viable hors l’axe européen. Il convient ainsi de capitaliser sur les spécificités des deux côtés du Rhin en agrégeant nos expertises complémentaires pour construire une industrie de pointe dans des secteurs technologiques spécifiques et différenciants.
"Compte tenu des avancées dans les technologies de demain observées aux États-Unis et en Chine, rien ne sert d’aspirer à une souveraineté européenne globale. Il faut davantage se tourner vers les technologies qui vont accompagner la réindustrialisation et capitaliser sur la spécificité et la complémentarité des expertises des deux côtés du Rhin.”
L’année 2023 a mal débuté pour l’Allemagne, qui est entrée en récession technique avec deux trimestres de recul de son PIB. En effet, au quatrième trimestre 2022, la croissance a marqué une baisse de -0,5% (t/t) et au premier trimestre 2023 un nouveau recul de -0,3% (t/t). La baisse de la consommation explique en partie ces mauvais chiffres, avec des diminutions consécutives de -1,7% puis -1,2%. La poursuite de la hausse des taux d’intérêt pèse sur le moral des ménages, qui peinent à consommer davantage en dépit des hausses de salaires accordées.
Cette atonie s’est poursuivie au deuxième trimestre 2023, avec une croissance nulle du PIB drainée par une consommation privée en stagnation. Le recul de l’inflation a pourtant été net entre le point haut d’octobre 2022 à 11,6% et celui du mois d’août 2023 à 6,1%. Ce fléchissement s’explique principalement par le reflux de l’inflation énergétique. Néanmoins, les Allemands font face à une inflation qui les tétanise. Ils ne veulent pas revivre la période d’inflation galopante qu’ils ont connue il y a un siècle.
Le moral des industriels a de même été entaché par cette poussée inflationniste. Les carnets de commande marquent un recul important et l’indice PMI manufacturier confirme cette tendance, enregistrant un point bas de trois ans. Cette faible dynamique est constatée pour toutes les grandes catégories de biens : biens de consommation, biens intermédiaires et biens d'investissement. De nombreuses entreprises allemandes font preuve d'attentisme et cherchent à réduire leurs stocks.
Ainsi, l'incertitude économique et géopolitique, conjuguée au resserrement des conditions financières, pèse sur la demande et empêche l’économie allemande de rebondir - elle qui souffre, depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine, d’une sous-performance inquiétante. L’évolution des indicateurs économiques laisse penser que la croissance du PIB de l’Allemagne pour les deux derniers trimestres de l’année 2023 restera en territoire négatif.
Le passage à vide conjoncturel de l’Allemagne est en réalité la conséquence de choix stratégiques passés qui déstabilisent l’activité. La sortie du nucléaire, décidée par Angela Merkel en 2011 après le désastre de Fukushima, a nécessité d’autres sources d’approvisionnement énergétique. L’Allemagne s’est alors massivement tournée vers le gaz en provenance de Russie. Grâce aux prix attractifs de ses importations de gaz russe, elle a pu développer une industrie compétitive à forte valeur ajoutée en ayant délocalisé en amont une partie de sa production de pièces détachées dans les pays d’Europe centrale et orientale (PECO). En actionnant ces deux leviers (énergie bon marché et coûts moins élevés de la main-d’œuvre des PECO), l’industrie allemande a pu produire du haut de gamme à prix compétitifs.
Or, la période récente, qui a cumulé une crise sanitaire et une crise énergétique, nous montre quels risques un pays court à trop dépendre du reste du monde. La croissance allemande est trop arrimée à sa demande extérieure. Pourtant, la zone euro a créé un marché de libre-échange autour d’une monnaie unique pour y développer le commerce localement afin de moins dépendre du reste du monde.
Ainsi, l’Allemagne devrait s'atteler à stimuler sa demande interne et miser davantage sur le potentiel du marché européen. Les ménages allemands disposent d’un des taux d’épargne les plus élevés au monde (19% du revenu disponible brut) et les marges de manœuvre financière sont réelles. En outre, l’orthodoxie budgétaire qui demeure gravée dans la constitution allemande devrait être assouplie pour permettre de stimuler plus massivement la consommation des ménages. Avec une dette publique inférieure à 66% de son PIB, l’Allemagne a les moyens de soutenir sa population et de l’inciter à dépenser davantage, en particulier des produits importés des pays de la zone euro.
Avec une dette publique à plus de 3 000 milliards d’euros en 2022, la France enregistre un des plus forts taux d’endettement des pays occidentaux. La dette publique est passée de 98% à fin 2019 à 112,5% du PIB au premier trimestre 2023 – soit un bond de plus 630 milliards d’euros, qui s’explique par le financement des mesures de soutien et de relance pour faire face aux crises sanitaire et énergétique. Or, tous les pays d’Europe ont fait face aux mêmes chocs externes. Mais la trajectoire d’endettement est moins inquiétante pour les pays du Nord, qui se sont accordés moins de souplesses budgétaires.
Le manque de rigueur budgétaire nuit à la France dans son aptitude à négocier auprès de Bruxelles sur la nécessité d’avancer dans la construction européenne.
Les pays du Nord de l’Europe, avec en tête de ligne l’Allemagne et les Pays-Bas, ont toujours vu d’un mauvais œil la gestion budgétaire de la France, qui a bien du mal à respecter les 3% de déficit public. Selon l’INSEE, le déficit public a atteint 130 milliards d’euros en 2022, soit 4,7% du PIB. L’Allemagne reste ancrée sur la nécessité d’une gestion rigoureuse pour éviter l’emballement de la dette publique.
L’orthodoxie budgétaire prônée par l’Allemagne ne fait pas recette côté Français. Au contraire, la France réclame un assouplissement des règles budgétaires pour permettre le financement de la transition écologique et technologique.
Pour le moment, les deux pays semblent camper sur leur position. Mais le changement de paradigme avec la hausse des taux ne joue pas en faveur de la France. Aujourd’hui, les conditions de financement changent la donne et risquent d’amplifier la dégradation des comptes publics.
Rappelons que, durant toute la dernière décennie, le maintien des taux d’intérêt à des niveaux bas a assuré la soutenabilité de la dette française. Les dettes obligataires des pays développés constituent des supports de placements plébiscités par les investisseurs à la recherche de placements considérés sans risque. Dans ce cadre, la dette française demeure attractive puisqu’elle est considérée sans risque.
Mais aujourd’hui la poursuite d’une gestion budgétaire moins vertueuse de la France par rapport aux autres pays européens pourrait finir par altérer l’attractivité de la dette française, d’autant que la hausse de la charge de la dette constitue un surcoût. En effet, le paiement des intérêts a pesé plus de 15 milliards d’euros supplémentaires, soit une hausse de près de 40%. Au total, la charge de la dette a atteint 53 milliards d’euros, représentant 2% du PIB, son niveau le plus élevé depuis 2016.
Ainsi, la France a intérêt à communiquer autour d’un objectif de rigueur budgétaire avec en filigrane l’objectif de stabilisation du ratio dette/PIB. Son projet de loi de finance 2024 semble aller dans ce sens avec 12 milliards d’euros d’économies annoncés. La politique fiscale exposée cherche à mettre en évidence, une fois n’est pas coutume, une nouvelle cohérence autour du financement de la transition écologique, en espérant sans doute un meilleur consentement à l’impôt. Néanmoins, reste à savoir si ces mesures seront suffisantes pour convaincre les partenaires européens sur la capacité de la France à respecter ses engagements de sérieux budgétaire, une condition incontournable pour envisager une plus grande collaboration financière des pays du Nord au sein de l’UE.
La crise sanitaire et la crise énergétique ont mis en évidence la trop forte dépendance des pays européens vis-à-vis de pays tiers. Dépendre du gaz russe a coûté extrêmement cher à l’Allemagne et la France n’a pas non plus été épargnée par la flambée du prix de l’énergie.
Il en est de même pour notre dépendance vis-à-vis de la Chine. Rappelons que l’adhésion de la Chine à l’OMC en 2001 a déclenché un vaste mouvement de délocalisation des entreprises européennes, qui ont pu ainsi bénéficier de coûts de production attractifs grâce à une main-d’œuvre bon marché. Mais le maintien de la politique chinoise du zéro Covid pendant plus de deux ans, jusqu’en janvier 2023, a déstabilisé les chaînes d’approvisionnement, fait bondir les coûts d’approvisionnements, comprimé l’offre et maintenu les prix à un niveau élevé.
“Même si nous constatons une accalmie sur le front des prix des matières premières et une reprise de l’activité en Chine, le principe de réalité oblige les pays européens à faire face aux risques liés à leur dépendance envers des pays tiers.”
Bien que depuis le début de l’année 2023 nous constatons une accalmie sur le front des prix des matières premières et une reprise de l’activité en Chine, le principe de réalité oblige les pays européens à faire face aux risques liés à ces dépendances. Les limites de la globalisation sont devenues plus prégnantes en particulier pour l’Union européenne, qui s’est construite autour du principe de libre-échange.
De même, les contraintes environnementales nous poussent aujourd’hui à emprunter de nouvelles voies de croissance, alors que la planète devient de moins en moins habitable. Face à ces défis, les puissances internationales tentent d’apporter des réponses concrètes. D’un côté, la Chine, qui ne veut plus se limiter à être l’usine du monde, ambitionne de se hisser au premier rang en matière technologique. De l’autre, les États-Unis, qui ont pris un tournant environnemental, ont déployé en août 2022 un vaste plan de soutien avec l’IRA.
S’il ne faut pas ignorer la volonté implacable de Pékin de se lancer dans la bataille de l’innovation technologique, reste qu’à plus court terme, il lui revient de panser les plaies laissées par sa politique sanitaire dévastatrice sur l’activité économique chinoise. Sa croissance s’essouffle, avec une hausse du PIB de 0,8% au deuxième trimestre 2023 compte tenu du ralentissement de la demande mondiale mais aussi de sa demande interne.
Les tensions commerciales avec les États-Unis et le mouvement de désaffection de certaines entreprises occidentales vis-à-vis de la Chine laissent penser que le commerce chinois risque d’être perturbé sur le moyen terme. Il lui faudra un peu de temps pour développer des relais de croissance à ses exportations. Ensuite, le taux de chômage des jeunes de 16 à 24 ans a bondi à 21,3% contre 12% en 2019. Enfin, l’immobilier s’enfonce dans une crise larvée, et le soutien de l’État n’arrive pas à limiter la casse. Le volume de transactions immobilières a chuté de 20% au deuxième trimestre 2023 sur un an.
Mais le risque le plus important pour les pays européens se loge dans la nouvelle politique de relance mise en place par les États-Unis. L’IRA est en effet un coup dur pour l’Union européenne. Il vise à développer la politique industrielle verte américaine au travers d’allègements fiscaux pour les entreprises produisant sur le territoire, mais aussi de subventions à la production et d’incitations à acheter local. Avec un budget de 370 milliards de dollars, il constitue une menace pour la compétitivité de nos industries. Il risque d’encourager certaines entreprises européennes à délocaliser leurs activités outre-Atlantique.
Cette distorsion de concurrence peut nuire à la croissance potentielle européenne. Pourtant, une étude réalisée par le Conseil d'analyse économique (CAE) et le German Council of Economic Experts (GCEE) considère que l'impact de l'IRA ne serait pas si inquiétant vis-à-vis de l’Union européenne. Il semble néanmoins difficile d'ignorer l'aspiration des entreprises européennes à maximiser leur rentabilité, d'autant que l'IRA leur permet d'explorer de nouveaux marchés. Or, les États-Unis restent la première puissance mondiale.
Déjà certaines firmes françaises, dans le secteur pharmaceutique notamment, se montrent sensibles à ce plan de subvention. Les entreprises sont pragmatiques et savent saisir les opportunités. La délocalisation ne leur fait pas peur, la mondialisation en est la preuve. Enfin, d’après cette étude, le principal handicap pour l’Europe serait le coût de l'énergie plus attractif de l'autre côté de l'Atlantique. Force est d’admettre que le cumul de subventions locales et de prix de l'énergie bon marché de l’IRA constitue un risque réel pour l’UE.
Dans ce contexte, l’Europe ne peut rester sans réponse. L’attente est forte : lors du Conseil européen du 15 décembre 2022, soit quatre mois après l’adoption de l’IRA par le Congrès américain, les chefs d’État et de gouvernement ont demandé à la Commission européenne de proposer début 2023 des mesures visant à améliorer les investissements climatiques et la compétitivité de l’industrie européenne.
À Davos en janvier 2023, la présidente de la Commission européenne, Ursula Von der Leyen, a présenté les contours d'un plan industriel, Net Zero Industry Act (NZIA), qui s'inscrit dans le Pacte vert pour l'Europe. Son objectif est de faire de l'Union européenne "le foyer des technologies propres et de l'innovation industrielle sur la voie de la neutralité carbone".
Reste une question essentielle : quelle est la somme allouée à cette ambition et qui paiera ce plan in fine ? Car s’il faut garantir la souveraineté technologique de l’Europe, en favorisant notamment la coopération entre les pays européens, et en particulier entre la France et l’Allemagne, il convient dans un premier temps de pouvoir en donner l’impulsion financière. Or, c’est bien là que le bât blesse.
“S’il faut garantir la souveraineté technologique de l’Europe, en favorisant notamment la coopération entre les pays européens, il convient dans un premier temps d’en donner l’impulsion financière. Or, c’est bien là que le bât blesse.”
Il a fallu qu’une crise sanitaire mette à terre l’économie mondiale pour que les pays de l’Union européenne s’accordent sur un vaste plan de relance de 800 milliards d’euros financé par l’emprunt auprès des marchés financiers au nom de la Commission européenne. Cette décision, historique compte tenu de l’ampleur des moyens déployés, devrait nous aider à rompre avec notre trop forte dépendance industrielle, mise en évidence par la crise Covid.
Rappelons qu’auparavant, la politique industrielle de la Commission européenne se limitait à une politique de la concurrence pour garantir le libre-échange. Ainsi, les pays européens se sont trouvés vassalisés par les GAFAM (Alphabet-Google, Apple, Facebook-Meta, Amazon, Microsoft), sans être financièrement capables de proposer une offre concurrente à ces mastodontes américains du numérique. À l'inverse, la Chine a fermé ses frontières à ces entreprises pour se laisser le temps de construire une offre locale avec les BATX (Baidu, Alibaba, Tencent, Xiaomi).
Face à ce revers cuisant de l’Union européenne, les membres qui la constituent ont tenté d’en tirer les enseignements pour offrir en 2020 un plan de soutien à la hauteur des nouvelles ambitions européennes et ainsi contrer les moyens colossaux déployés outre-Atlantique à cette même période.
Le risque aujourd’hui est de constater que, face à la surenchère américaine pour financer la transition écologique, les pays européens baissent les armes. Dans la vaste bataille technologique et écologique qui est lancée entre les deux premières puissances mondiales, les États-Unis et la Chine, le nerf de la guerre se cristallise autour des moyens financiers qui vont être engagés.
L’Union européenne a bien annoncé la mise en œuvre d’un fonds de souveraineté. Pour Ursula von der Leyen, ce fonds est une "solution structurelle qui permettra d’accroître les ressources disponibles pour la recherche en amont, l’innovation et les projets industriels stratégiques essentiels”.
Mais, pour l’heure, les avancées financières patinent. Le mode de financement n’a pas été établi et force est de constater que la France et l’Allemagne campent sur leur position. La France aspire à une nouvelle mutualisation de dettes alors que, côté allemand, les réticences subsistent sur l’intérêt de porter une dette commune. Par ailleurs, le commissaire européen au Marché intérieur, Thierry Breton, a déjà écarté l’idée d’une nouvelle émission d’emprunt au niveau européen et propose que le Fonds de souveraineté puise dans les 200 milliards d’euros non alloués du plan NextGenerationEU.
“L’UE évoque la nécessité d’une souveraineté technologique, mais de quoi parle-t-on exactement ? Il faut aller vers les technologies qui vont accompagner la réindustrialisation. Les usines de dernière génération sont les seules rentables aujourd’hui.”
Par ailleurs, une autre question stratégique demeure. L’UE évoque la nécessité d’une souveraineté technologique, mais de quoi parle-t-on exactement ?
Il faut aller vers les technologies qui vont accompagner la réindustrialisation. Les usines de dernière génération sont les seules rentables aujourd’hui.
Il ne peut y avoir de succès locaux en technologie ; il n’y a pas d’axe économiquement viable hors l’axe européen. Il convient ainsi de capitaliser sur les spécificités des deux côtés du Rhin. La France dispose d’une forte compétence dans l’électronique et les systèmes d’information alors que l’Allemagne a développé une vraie expertise dans le domaine industriel.
Par ailleurs, il faut faire des choix dans l’innovation. Il est illusoire de vouloir être leader dans tous les domaines. Dans le secteur technologique, les premiers restent les premiers. Ils ne sont jamais rattrapés. Les pure players américains n’ont pas eu de concurrence en Europe.
Le problème est qu’il n’y a pas de préférence européenne. Or, il faut le soutien du marché public pour se développer et atteindre une taille critique
“En matière de technologie, il ne peut y avoir de succès locaux et il n’y a pas d’axe économiquement viable hors l’axe européen. Il convient ainsi de capitaliser sur les spécificités des deux côtés du Rhin.”
Enfin, reste qu’en termes de communication vis-à-vis des entreprises européennes, l’annonce du NZIA fait pâle figure face à l’IRA. La France et l’Allemagne en ont pris conscience mais donnent l’impression de vouloir agir chacune de son côté. Pourtant, la naissance de firmes à l’échelle de l’Europe, à l’instar d’Airbus, serait indispensable pour assurer la souveraineté technologique de l’Union européenne. Les entreprises allemandes et françaises sont pragmatiques et attendent aujourd’hui l’impulsion politique et financière pour se lancer dans ce défi incontournable.
“La naissance de firmes à l’échelle de l’Europe, à l’instar d’Airbus, serait indispensable pour assurer la souveraineté technologique de l’UE. Les entreprises allemandes et françaises attendent aujourd’hui l’impulsion politique et financière pour se lancer dans ce défi incontournable.”