Une vision durable de la santé

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  • Publication
  • 09 oct. 2024

Amélie Graffan, associée audit, en charge des sujets de durabilité en santé, et Sylvain Lambert, associé responsable des activités développement durable de PwC France et Maghreb, prennent ensemble la parole dans le magazine Pharmaceutiques, pour mettre en avant les défis et les opportunités de la transition climatique dans le secteur de la santé. Ils insistent sur la responsabilité de chacune des parties prenantes et appellent à renforcer les collaborations.

Comment ont évolué les activités de développement durable au sein de PwC ?

Sylvain Lambert - PwC fête ses 30 ans d'expertise sur les sujets de développement durable. Au départ, nous étions deux dans ce département, avec, pour premier client, Rhône-Poulenc, groupe historique de la chimie et de la pharmacie. Aujourd'hui, nous sommes environ 400 collaborateurs de tous les métiers du cabinet : auditeurs, consultants, avocats, etc. Le constat, c'est qu'en 30 ans, nous avons accompagné un sujet qui n'intéressait initialement que les scientifiques et quelques ONG à un défi incontournable pour le monde. Notre conviction, c'est que pour un cabinet comme PwC, il n'est pas question de le traiter par un simple catalogue d'offres. Et notre réponse – au-delà de l'expertise apportée à nos clients –, c'est de prendre régulièrement la parole sur ces questions, d'apporter des éclairages à travers de nombreuses études, d'ouvrir de nouvelles discussions, de partager des convictions et d'encourager les collaborations entre les différentes parties prenantes.

Amélie Graffan - C'est un enjeu stratégique pour les industries de santé. Encore plus en France, où le secteur repose sur une hétérogénéité d'acteurs, autant dans les spécialités que dans la forme et le niveau de maturité, avec plus de 2.000 entreprises, dont un laboratoire qui compte parmi les premiers groupes mondiaux, plusieurs grands industriels et de nombreuses PME et start-up. Il faut y ajouter les payeurs, les acteurs réglementaires, les hôpitaux, les soignants, les patients… Mais aussi les investisseurs qui jouent un rôle essentiel dans les orientations de la R&D et dans la surveillance de la durabilité des projets.

Au sein de PwC, ces questions de durabilité sont-elles aujourd'hui intégrées à l'ensemble des sujets traités par les équipes ?

Sylvain Lambert - Il y a trois ou quatre ans, les questions de développement durable étaient traitées par une équipe dédiée au sein du département Consulting. Mais l'évolution des sujets et les questions toujours plus larges de nos clients nous ont poussés à revoir notre organisation. Aborder le développement durable aujourd'hui, c'est faire appel à des fiscalistes, des auditeurs, des spécialistes de la data, de la transformation d'entreprises, de la réglementation, etc. Notre mot d'ordre désormais, c'est "transversalité" et c'est aussi l'effet miroir de ce qui se passe chez nos clients. La durabilité ne peut être traitée comme un sujet classique, tel que le RGPD par exemple. Elle touche l'humanité tout entière et la moindre des choses est de lui accorder une place dans toutes les fonctions de l'entreprise.

Amélie Graffan - Nous avons en effet la conviction chez PwC que ces sujets de durabilité doivent infuser dans toute l'organisation de l’entreprise. Chaque collaborateur, chaque équipe doit s'en imprégner, jusqu'aux différents niveaux de gouvernance. Au sein des directions financières par exemple, la durabilité a déjà évolué d'une déclaration de performance extra-financière, qui était davantage un exercice de communication, à un reporting dédié, qui devient un sujet de performance de l'entreprise. La sémantique évolue et le changement culturel s'opère. Les directions financières sont déjà le réceptacle des parties prenantes. Elles savent collecter, organiser, analyser la donnée et répondre sur la performance de leur entreprise.

Les industriels de la santé sont-ils bien engagés dans ces transformations ? 

Amélie Graffan - L'hétérogénéité du secteur est aussi visible dans les pratiques. Si certains acteurs sont en pointe, la majorité ne réalise pas encore de bilan carbone par exemple. Ce retard est notamment lié à la maturité du secteur, qui n'était pas nécessairement perçu par le passé comme l'une des industries les plus polluantes. Néanmoins, selon le think tank The Shift Project, 8 % des émissions de gaz à effet de serre en France sont attribuables à la santé. Il y a donc un premier sujet à adresser sur le niveau de connaissance des entreprises et sur les questions à prioriser. Ce point est d'autant plus important que les industries de santé sont aussi soumises à une attention croissante des parties prenantes. Elles sont très réglementées et sujettes à de nouvelles politiques sur les remboursements ou dans les appels d'offres, qui prennent en compte de plus en plus de critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG). Les investisseurs aussi sont bien plus attentifs à la transformation durable. Ils veulent plus de visibilité sur la chaîne de valeur et sur les mesures mises en place pour l'adapter aux enjeux du changement climatique.

Quelle influence peuvent jouer les investisseurs dans la transformation durable de la santé ?

Sylvain Lambert -  Afin de comprendre les attentes des investisseurs, PwC publie chaque année une étude mondiale, la Global Investor Survey, à partir des témoignages de 200 fonds de toutes tailles de 35 pays. Dans la dernière édition (2023), les investisseurs jugent à près de 80 % que les questions de durabilité sont des sujets stratégiques qui doivent être traités en COMEX. En outre, 70 % estiment que cela doit aussi faire partie des critères de rémunération variable des dirigeants. Ces sujets ont aussi été compris par les acteurs du private equity, qui investissent dans les nombreuses sociétés non cotées du secteur de la santé, dont les start-up. Parmi eux, 80 % estiment que les questions de développement durable sont totalement alignées avec la recherche d'une performance financière. Pour 70 %, c'est même un élément majeur de création de valeur. Ce changement de paradigme montre donc que le développement durable n'est plus un risque à gérer, mais bien une valeur potentielle à créer. Les investisseurs deviennent à minima sollicitant, avec des questions précises sur la politique du groupe, et pour certains très actifs. Avec le risque, pour ces asset managers, de sortie plus tôt d'un investissement s'ils jugent les réponses insuffisantes…

Ce changement de paradigme montre que le développement durable n'est plus un risque à gérer, mais bien une valeur potentielle à créer.

Sylvain Lambert, Associé responsable des activités développement durable de PwC France et Maghreb

Ce levier de pression est-il important dans l'industrie pharmaceutique ?

Sylvain Lambert - Il est immense ! D'autant que la santé a besoin d'investissements et que le secteur est devenu un actif très attrayant. Tous les investisseurs veulent soutenir l'innovation médicale, mais ils s'interrogent : « L'entreprise dans laquelle j'investis sera-t-elle suffisamment solide pour résister à toutes ces évolutions ? A-t-elle suffisamment anticipé à travers son pipeline et ses orientations en R&D pour répondre aux défis d’un monde sous contrainte climatique avec de nouvelles maladies ? Son management est-il bien conscient de ces enjeux ? » Tout doit être prêt désormais. D’ailleurs, les banques aussi réorientent de plus en plus leurs crédits sur des mécanismes de green bonds, également appelés « obligations vertes ». Certains de nos clients ont jusqu’à 75 % des éléments de remboursement de leur dette liés à ces critères.

Amélie Graffan -  Nous avons la chance d’avoir en France un tissu très performant de jeunes biotechs, qui attire énormément d'investisseurs. Mais pour les entreprises aussi, il est essentiel de choisir les bons partenaires. Cette attention aux critères ESG et plus largement à l’adéquation de l’entreprise avec les grands enjeux à venir peut les aider à naviguer. La France est un pays qui attire aussi les investissements de grands laboratoires pharmaceutiques. Le sommet Choose France de mai 2024 a mis en lumière l’accélération de la transformation du secteur. Des acteurs pharmaceutiques internationaux américains, anglais, danois, italiens y ont annoncé des investissements industriels significatifs sur le thème de la décarbonation. Le fait que les grands laboratoires s’emparent aussi clairement du sujet est un moteur pour la transformation du secteur et doit représenter un avantage compétitif pour la France.

 L’Europe peut s’ériger en modèle grâce à sa directive Corporate Sustainability Reporting Directive (CSRD).

Amélie Graffan, Associée audit, en charge des sujets de durabilité en santé

Les industriels doivent-ils aussi revendiquer leur responsabilité environnementale et sociale dans un monde en manque de leadership sur ces sujets ?

Sylvain Lambert - Le Baromètre de confiance Edelman met en lumière des éléments sur cette question. Il montre que les citoyens jugent les entreprises compétentes et éthiques pour agir sur les défis environnementaux, tandis que les ONG sont reconnues comme éthiques, mais moins compétentes, et les gouvernements moins compétents et moins éthiques… Il y a sans doute un peu de « politique-bashing » derrière cette vision, mais elle met en avant les attentes des populations à l’égard des entreprises. Elles sont incitées à prendre la parole, à faire de l’advocacy. D’ailleurs, les dirigeants hésitent moins à s’impliquer davantage et à inscrire clairement leur action dans la transition climatique. Le monde se complexifie, et nous avons besoin de nouveaux leaders pour faire évoluer les comportements. Nous croyons beaucoup aux coalitions entre l’entreprise, ses fournisseurs et ses clients. Ces questions nécessitent un travail en commun sur l’ensemble de la chaîne de valeur. Personne n'a raison tout seul.

Amélie Graffan - Bien sûr, le rôle des autorités reste aussi central pour donner un cadre réglementaire clair et efficace. Et l’Europe peut s’ériger en modèle grâce à sa directive Corporate Sustainability Reporting Directive (CSRD). Elle pousse les entreprises à structurer leurs communications sur le sujet. Cette directive est extraterritoriale. Toute entreprise ayant une activité importante en Europe y sera soumise. Ainsi, des laboratoires pharmaceutiques installés aux États-Unis, en Angleterre ou en Suisse préparent déjà leur reporting de durabilité, selon les normes de la CSRD. Il y a un vrai effet d'émulation et un leadership européen sur le sujet.

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Sylvain Lambert

Sylvain Lambert

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Amélie Graffan

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